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La génétique : version moderne de l’apparentement biologique?

2.1 Regard sur l’anthropologie de la parenté

2.1.3 La génétique : version moderne de l’apparentement biologique?

Depuis maintenant quelques années, les études sur la parenté portent une attention particulière aux enjeux que posent la présence grandissante de la génétique et le développement biomédical dans la définition et les représentations des liens d’apparentement. Franklin (2003) soutient que la

8 Par exemple, l’auteur souligne que l’expression ‘‘la chair de ma chair’’ en parlant des liens de parenté, n’est qu’un symbole, mais un symbole considéré ‘‘vrai’’ aux yeux de la plupart des Euro-Américains, d’où sa pertinence sociale et analytique (Strathern 1995 : 349)

distinction entre faits sociaux et faits biologiques doit être revue pour pouvoir rendre compte des types de connexions et de relations produites dans le contexte des nouvelles génétiques9, l’idée étant de mettre à jour les transformations induites par le dépistage des maladies génétiques, par différentes techniques utilisées en procréation médicalement assistée, par les tests d’ADN et, plus globalement, par l’idée du partage d’une génétique commune entre apparentés.

La prégnance de la génétique et la puissance de l’industrie biomédicale contribuent à la redéfinition des liens de parenté dans les sociétés occidentales. Selon Strathern (1995), les Euro- Américains ont appris que les gènes assument une fonction essentielle dans la création de nouvelles personnes: Il y a toujours eu, dans les croyances traditionnelles sur la parenté, l’idée d’une gradation, c’est-à-dire une supposition selon laquelle un individu reproduit en partie ses propres caractéristiques et, selon Strathern, « ce savoir primitif sur l’héritage des caractéristiques

s’est déplacé vers un savoir sur l’organisation génétique » (Strathern 1995 : 356). Ainsi, en

termes personnels et sociaux, la connaissance des parents génétiques devient considérablement importante pour les individus. Les explications biomédicales renforcent les présupposés selon lesquels la famille et la parenté sont ancrées dans des liens génétiques, lesquels posséderaient une permanence qui transcende le temps. Par exemple, C. Legrand (2009) s’est intéressée à l’exercice de la généalogie en contexte irlandais; elle montre comment les sources archivistiques, traditionnel support du savoir généalogique, sont aujourd’hui utilisées en parallèle avec les tests d’ADN. L’auteur met en lumière le partenariat qui s’est établi entre les généticiens et les quêteurs de parents et regroupe les activités qui en découlent sous le vocable ‘‘généalogie génétique’’ (Legrand 2009).

Pour illustrer ce processus, Finkler parle de ‘‘médicalisation de la famille et de la parenté’’ (2000; 2001) : « la biomédecine, comme institution de la vie moderne investit le champ de la

parenté et ramène celle-ci aux voies traditionnelles basées sur les liens de sang, une tendance qui s’avère contraire aux changements contemporains », lesquels font davantage la promotion des

liens librement choisis et de l’idéologie du choix (Finkler 2001 : 238). Cette tendance à la médicalisation de la famille et de la parenté va de pair avec l’idée, de plus en plus acceptée dans

9 Évidemment, le champ de la génétique couvre plusieurs sphères de la recherche et ne se résume pas au cadre médical ou à celui de la santé humaine : la génétique concerne également les domaines de la biologie animale, de l’agronomie et de l’environnement.

les sociétés occidentales, selon laquelle un individu est intrinsèquement le résultat de ses gènes et de son ADN, eux-mêmes transmis par ses propres parents : « Les liens génétiques semblent

aujourd’hui tenir une valeur symbolique similaire à celle du lien de sang. Les gènes semblent donc jouer un rôle de plus en plus important dans la conceptualisation de ‘‘qui est connecté à soi-même’’ » (Lebner 2000 : 373). L’idée de proximité entre gènes, identité et famille a

certainement été facilitée par l’autorité déjà établie de la science dans la conceptualisation de la parenté en Occident. Sur le surinvestissement de la science, Irène Théry mentionne à juste titre que « l’invocation de la vérité et de la science [pour la désignation du parent] doit être

analysée comme l’expression d’un désarroi culturel, une recherche éperdue de certitude dans un contexte où notre système de parenté a cessé d’aller de soi » (Théry 2002-b : 214).

Comme la génétique est de plus en plus soulevée pour expliquer les tempéraments, les maladies et les comportements humains en général (Ettorre 2005 ; Nelkin et Lindee 1995 10), il semble donc approprié de se demander comment de telles explications influencent la compréhension que les gens se font de la parenté et de la famille. Alors que l’extension de l’information liée à la génétique peut être envisagée comme la preuve que la parenté tend vers la ‘‘génétisation11’’, l’analyse de la signification réelle de la génétique aux yeux des acteurs impliqués nous replonge dans le vieux dilemme de la définition de la parenté. Par contre, Edwards (2009) invite à la prudence : selon l’auteur, le ‘‘sang’’ ne coïncide pas toujours complètement avec les ‘‘gènes’’. C’est le cas par exemple lorsqu’un enfant naît d’une mère porteuse; même s’il n’est pas relié génétiquement à cette femme (lorsque les ovules proviennent de sa mère d’intention), il peut tout de même être considéré comme connecté avec celle-ci par le sang: « L’idée de sang partagé

comme élément constituant le lien parental est une notion européenne douée d’une grande puissance mais, bien qu’elle soit souvent considérée comme une expression biologique par excellence, on ne peut la réduire spécifiquement à la biogénétique, ni plus généralement à la biologie » (Edwards 2009 : 321).

10 Ces auteurs se sont plus particulièrement intéressés aux métaphores génétiques et aux différentes représentations qu’elles mettent de l’avant, soit la caractérisation des gènes comme essence de l’identité; la promesse que la recherche sur la génétique améliorera la prédiction des comportements humains et de la santé humaine; l’idée que les gènes peuvent être situés dans l’espace et qu’ils peuvent être capturés par le regard, mesurés et cartographiés; idée que les gènes sont fondamentaux dans l’explication des comportements sociaux des humains.

11 Le terme de génétisation a été avancé par Abby Lippman (1993); il désigne une partie du processus plus large qu’est la médicalisation et concerne tout autant les implications biomédicales que politiques dans la manière de liés les antécédents génétiques aux maladies et aux comportements.

S’intéressant à la signification des tests d’ADN (en tant que méthode de détermination des bases génétiques de la paternité et des liens de parenté), Freeman et Richards (2006) ont tenté d’évaluer l’impact de cette technologie sur le statut socio-légal et culturel attribué au biologique dans la définition de la paternité : « Alors que les tests d’ADN promettent de dévoiler la ‘‘vérité’’ de nos

origines biologiques et confirment ainsi l’importance de la biologie dans la détermination de la parenté, il est aussi grand temps de se demander jusqu’où les relations de parenté peuvent être réduites à une affaire de relation génétique et de partage de séquences génétiques » (Freeman et

Richards 2006 : 69). Certes, la génétique crée de nouvelles connexions et cause aussi certaines surprises puisque des gens se trouvent liés de manière inattendue (Strathern 2005), par exemple par le biais des maladies génétiques (Konrad 2003; Akesson 2001) ou par les tests de paternité12 par ADN (Obadia 2000). Si la génétique ne laisse pas le choix de reconnaître la parenté constituée par l’ADN et par les connexions génétiques, les personnes concernées ont le choix de s’investir ou non dans ces relations (Strathern 2005 : 26). Les réponses fournies par les tests génétiques peuvent renforcer, défier ou laisser intactes les notions collectives et personnelles existantes d’identité et de famille : l’histoire familiale réfère davantage aux vies et aux actions de nos ancêtres qu’à la transmission de séquences génétiques (Nash 2004; Strathern 2005; Freeman et Richards 2006). Gavarini (2002-a) le mentionne avec justesse : « le gène n’est ni vrai ni faux ». Il parle le langage génétique et non pas un langage humain. Par conséquent, s’appuyer sur les gènes et sur son corollaire, l’ADN, pour fonder une preuve de filiation (comme dans le cas des tests de paternité) demeure une entreprise risquée. Ainsi, ce qui importe, c’est d’abord de savoir quelle utilisation les gens font de ces informations sur la génétique et sur les nouvelles connexions ainsi créées (Carsten 2007).13 Dans une étude menée auprès de couples ayant suivi les

12 Au cours des dix dernières années, les progrès scientifiques en matière de tests de paternité se sont avérés révolutionnaires grâce à la mise au point de tests d’identification par empreinte génétique (tests d’ADN) qui permettent désormais de confirmer avec une certitude quasi absolue la filiation biologique. Pour éviter que le recours aux tests génétiques ne puisse servir à remettre continuellement en question la filiation des enfants, la législation québécoise donne préséance à la réalité socio-affective plutôt qu’à la réalité biologique : « lorsque l’enfant aura été

élevé et traité par le mari comme le sien et que l’acte de naissance attestera cette réalité socio-affective, celle-ci prévaudra […] Elle triomphera sur la vérité biologique et permettra d’éviter une utilisation automatique des tests d’ADN en matière de filiation, et ce, dans le meilleur intérêt de l’enfant » (Obadia 2000 : 495-496).

13 Dans cet article, Carsten questionne les effets de ces nouveaux types d’informations sur les liens familiaux. L’auteur explore les conséquences liées au fait d’acquérir de nouvelles informations sur sa parenté et s’attarde principalement à l’utilisation que les gens font de ces nouvelles informations (Carsten 2007).

procédures de fécondation in vitro avec donneuse d’ovule dans des cliniques de fertilité de Londres et auprès de personnes présentant des prédispositions génétiques à la maladie d’Huntington, Konrad (2003) se demande comment les individus composent avec les implications que peut avoir sur la parenté la connaissance anticipée d’informations génétiques. Considérant le développement accéléré des nouvelles génétiques ainsi que leur impact sur les reconstructions généalogiques et sur les cultures d’apparentement en général, l’auteur propose aux anthropologues de s’intéresser à la signification de la généalogie dans l’espace de la biomédecine contemporaine.

Chose certaine, la question de la génétisation, considérée par plusieurs auteurs comme le retour d’anciens mouvements eugénistes, est particulièrement pertinente dans le présent contexte d’étude, non seulement parce qu’elle intervient dans les choix relatifs à la PMA et à la reproduction en général, mais aussi parce que l’existence possible d’un biais contre les familles qui ne partagent pas de liens biologiques (biais basé cette fois sur le non partage du matériel génétique), concernerait directement les familles adoptives.

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