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L’étude des trajectoires à travers l’entretien de type biographique

3.2 Récits et expériences : le recueil des données

3.2.1 L’étude des trajectoires à travers l’entretien de type biographique

Dans cette recherche, l’objectif général de l’entretien était d’amener les gens à discuter du parcours qui les a menés vers l’adoption, donc d’aborder une partie de leur vie de manière rétrospective et de décrire leurs expériences en regard des procédures médicales, de leur décision d’adopter et de leur vie de parents. Comme l’étude se préoccupait aussi de saisir l’expérience de la transition entre la procréation médicalement assistée et l’adoption, il fallait amener les participants à s’exprimer et à définir dans leurs mots le passage entre ces deux ‘‘modes d’accès’’ à la parentalité.

Selon Poupart (1997), l’entretien de type qualitatif constitue une « porte d’accès aux réalités sociales », il permet d’explorer le sens que les informateurs donnent à leurs propres actions et de découvrir leurs représentations du monde. Pour l’anthropologue qui, de tout temps, a favorisé le développement d’un savoir où prime l’analyse des représentations et de l’intentionnalité des acteurs humains, l’entretien apparaît comme l’un des meilleurs moyens pour faire émerger la complexité des intentions et des particularités humaines : « L’interviewé est vu comme un

informateur clef susceptible précisément d’informer non seulement sur ses propres pratiques et ses propres façons de penser, mais aussi, dans la mesure où il est considéré comme ‘‘représentatif’’ de son groupe ou d’une fraction de son groupe, sur les diverses composantes de sa société et sur ses divers milieux d’appartenance » (Poupart 1997 : 181). L’influence de

l’approche biographique a aussi été déterminante dans la réalisation des entretiens. Puisque la problématique de recherche s’intéressait aux stratégies déployées et aux expériences vécues dans un espace temporel particulier, le type d’entretien mené s’apparente au récit de vie, celui-ci étant défini comme « une forme particulière d’entretien, l’entretien narratif, au cours duquel un

chercheur demande à une personne dénommée ‘‘sujet’’ de lui raconter tout ou partie de son expérience vécue » (Bertaux 1997 : 6). En ce sens, l’auteur soutient que le récit de vie se

rapporte soit à une vie dans son ensemble, soit à des tranches de vie : « il y a du récit de vie dès

qu’il y a description sous forme narrative d’un fragment de l’expérience vécue [ou] dès lors qu’un sujet raconte à une autre personne, chercheur ou pas, un épisode quelconque de son expérience vécue » (1997 : 9-32). Les entretiens menés concernaient une période précise de la vie

des participants (soit celle entre le désir d’enfant et l’adoption) et impliquaient une importante liberté dans les récits, deux composantes qui rapprochent les entretiens réalisés du récit de vie. Par contre, le fait d’interroger une thématique particulière de la vie des informateurs et le fait également d’insister sur certaines questions plus précises éloignent les entretiens réalisés du récit de vie comme tel. En ce sens, la méthode adoptée me semble plus près de l’entretien semi-dirigé ancré dans une approche biographique que du récit de vie.

Globalement, les entrevues prenaient la forme d’un récit chronologique et suivaient une trajectoire assez linéaire qui dans ce cas-ci commençait par une réflexion sur l’apparition du désir d’avoir un enfant au sein du couple, se poursuivait avec la rencontre de problèmes d’infertilité, puis avec le vécu lié à la PMA et à l’adoption, et se terminait avec l’expérience de la parentalité. De manière très ouverte, les participants commençaient l’entretien en parlant de leur situation conjugale actuelle et passée et en discutant de leur désir d’avoir un enfant (le nombre d’années passées en couple, le moment où l’idée d’avoir un enfant a été soulevée). Ils enchaînaient en évoquant les difficultés rencontrées en regard de leur infertilité. Après avoir fait état des différentes démarches entreprises sur le plan médical et de leur éventuelle décision d’interrompre celles-ci, les participants abordaient ensuite la question de l’adoption (l’idée d’adopter, le deuil de l’enfant biologique, les défis de l’adoption). C’est surtout en fin d’entretien que des questions plus précises sur leur statut de parents, sur leurs représentations de la PMA et de l’adoption, et sur leur passage du milieu médical au milieu adoptif leur étaient posées.

Le schéma d’entrevue (annexe 1) comprenait divers types de questions: certaines référaient directement à la trajectoire des participants et aux différentes expériences qui ont jalonné leurs parcours vers l’adoption; d’autres questionnaient leurs perceptions et leurs représentations; alors que certaines, plus introspectives, leur demandaient de poser un regard d’ensemble sur leur vécu. L’ordre des questions, tel qu’il apparaissait dans le schéma d’entrevue, n’était évidemment pas toujours respecté; en cours d’interview, les informateurs pouvaient aborder les grandes thématiques dans l’ordre qui se présentait naturellement à eux. Par contre, une importance particulière a été accordée au respect de questions plus précises du schéma d’entrevue : par exemple, les participants devaient expliquer les raisons pour lesquelles ils avaient abandonné les démarches médicales, ils devaient également établir des comparatifs entre les milieux médical et adoptif et s’exprimer sur l’influence des facteurs génétiques et biologiques dans l’établissement de la personnalité de leur enfant. Cette rectitude a permis par la suite de mieux circonscrire l’ensemble des données et d’éviter un morcellement de celles-ci. En ce sens, une vérification de la globalité des questions du schéma d’entrevue se faisait à la fin de chacun des entretiens. De plus, la relative uniformité entre les entrevues quant aux questions posées a permis d’atteindre plus facilement un certain degré de saturation4, qui à son tour est venu déterminer le nombre d’entretiens5 menés.

Au final, l’élaboration du schéma d’entrevue et sa réalisation sur le terrain incarnaient des préoccupations théoriques transversales: elles devaient permettent aux acteurs de réfléchir aux événements qui ont ponctué leur cheminement vers l’adoption, de s’exprimer sur les priorités et les valeurs qui ont motivé leurs actions et décisions, et de se positionner sur ce qui leur semblait déterminant dans le processus de ‘‘faire famille’’. Ainsi, l’entretien, beaucoup plus qu’un simple exercice de questions-réponses, devait porter en lui l’explication à un questionnement beaucoup plus général qui, dans ce cas-ci, concernait la reproduction, le désir d’enfant et la construction des

4 Selon (Glaser et Strauss 1967 : 65), « la saturation théorique constitue le point auquel aucune donnée additionnelle

à partir de laquelle le chercheur peut développer les propriétés d’une catégorie n’a été trouvée. Quand il voit des exemples similaires encore et encore, le chercheur devient empiriquement confiant qu’une catégorie est saturée ».

5 Dans une étude menée en 2003 et impliquant 60 entrevues avec des femmes de deux pays d’Afrique de l’Ouest (Nigeria et Ghana), Guest et al. (2006) ont documenté le degré de saturation et de variabilité des données au cours de leurs analyses : ils en sont venus à la conclusion que dans la plupart des recherches où le but est de comprendre les expériences et les perceptions communes dans un groupe d’individus relativement homogène, 12 entrevues devraient suffire (Guest et al., 2006: 79).

liens de parenté dans la société occidentale, en l’occurrence québécoise. Chacun des entretiens a été suivi de réflexions qui ont constitué les bases des premières analyses; par exemple, après la réalisation des 5-6 premiers entretiens, certaines questions du schéma d’entrevue ont été reformulées dans le but de les rendre plus accessibles aux informateurs ou encore de manière à éviter certaines répétitions.

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