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Les plus récentes recherches en anthropologie de la parenté et en sociologie de la famille constituent les cadres à partir desquels ont été appréhendés les phénomènes de la procréation médicalement assistée et l’adoption. Elles permettent d’abord de situer le contexte social dans lequel s’inscrivent les phénomènes de la PMA et de l’adoption, et ensuite, de répondre à une question fondamentale dans le cadre de cette recherche : à partir de quels critères et selon quels principes les couples rencontrés circonscrivent-ils la valeur de l’enfant et définissent-ils ce qu’est un lien familial et une relation de parenté?

En anthropologie de la parenté, les études de Schneider (1980, 1984) ont été considérées incontournables et constituent, à ce titre, un des piliers de la structure conceptuelle de cette thèse; l’auteur, en remettant en question la possibilité d'une définition universelle de la parenté et en abordant celle-ci comme un ensemble de significations et de symboles, a pu démontrer comment la définition des liens de parenté en contexte américain est tributaire de la prééminence des représentations biogénétiques (une situation qu’il traduit par l’expression ‘‘blood is thicker than water’’). Par la suite, l’évolution des formes conjugales et la transformation de la famille contemporaine ont amené les anthropologues à reprendre les études de Schneider et à les approfondir sous un angle privilégiant l’analyse de la construction sociale des faits dits naturels, qualifiés en anglais de ‘‘facts of live’’ (Cadoret 2000, 2001-b, 2006; Carsten 2000-a, 2004; Franklin 1997, 2001, 2003; Franklin et McKinnon 2001; Finkler 2000, 2001; Porqueres i Gené 2009, Stone 2001; Strathern 1992-a, 2005; Weber 2002, 2005; Weston 1991). Alors que Schneider présente la substance biogénétique comme un fait immuable issu d’une nature externe (la nature comme objet n’est pas questionnée), les nouveaux auteurs montrent que la substance génétique n’est pas toujours créatrice en elle-même de relations de parenté (exemple : le don de sperme ou d’ovocytes n’est pas considéré comme suffisant pour créer de la parenté) et que les faits de nature peuvent eux aussi être abordés comme des constructions culturelles. De plus en plus, la parenté occidentale est comprise comme la division et la combinaison de faits biologiques et sociaux. Les auteurs sont alors moins intéressés par ce qui est considéré ‘‘social’’ ou ‘‘biologique’’, que par ce qui se produit et se déploie à l’intersection de ces deux dimensions. Comme le mentionne avec justesse Edwards (2009), « il ne s’agit pas d’affirmer que la nature a

manipulable en fonction des caprices et des désirs humains lui a donné une dimension tout à fait différente de celle qu’on pouvait lui prêter auparavant » (2009 : 306). Les approches plus

dynamiques de ces auteurs me permettaient de développer un cadre d’analyse qui tienne compte de la transformation des valeurs et des représentations sociales en matière de reproduction, de filiation et de parenté. Par exemple, les discussions soulevées par ces auteurs sur la filiation, la parenté, la génétique et la reproduction ont permis par la suite de bien camper les définitions que donnaient les participants de la procréation médicalement assistée et de l’adoption et de saisir les déterminants sociaux sous-jacents aux explications données.

Considérant que, sur le plan ethnographique, cette thèse se situait en contexte occidental, en l’occurrence québécois, plusieurs analyses issues de la sociologie de la famille se sont avérées pertinentes pour la compréhension de l’évolution de la famille moderne (Dagenais 2000, 2005; Singly 1996, 2003, 2007; Segalen 2008; Théry 1993, 1998, 2007; Gavarini 2001, 2002-b, 2005). Plusieurs de ces auteurs, tout en mettant en évidence les transformations et les changements qu’ont connus au fil de du temps la filiation et la famille en contexte euro-américain, rappellent que la modernité n’a pas fait disparaître la famille occidentale, mais qu’elle en a plutôt changé le sens et la forme. À cet égard, Segalen mentionne que la famille représente une « institution à la

plasticité remarquable qui a su digérer les acquis d’un individualisme positif » (Segalen 2008 :

329). La sociologie de la famille s’articule principalement autour de l’étude des trois dissociations qui ont marqué l’évolution du contexte parental et familial en Occident; soit la dissociation entre relations sexuelles et reproduction incarnée par l’arrivée de la contraception (libre sexualité sans visée reproductive); la dissociation entre conjugalité et procréation, incarnée par la précarité du lien conjugal (le mariage n’est plus nécessaire à la procréation); et finalement, la dissociation entre fonctions reproductrices et sexualité qu’incarnent les nouvelles technologiques reproductrices (la procréation peut se faire même en l’absence de toute relation sexuelle).

Pour comprendre et situer les questions relatives au processus d’individualisation et de démocratisation de l’unité familiale, nous retenons les analyses de Singly (1996, 2003, 2007) et de Dagenais (2000, 2005) qui permettent, dans le contexte de la présente recherche, de mieux comprendre pourquoi et comment le désir d’enfant, le projet parental et les démarches en PMA ou en adoption sont abordés comme des événements privés et personnels. De son côté, Théry

(1993, 1996, 1998) avec la notion de ‘‘démariage’’ a largement contribué à illustrer les impacts de la transformation du rapport au mariage sur la filiation et la famille. La contribution de Gavarini (2001, 2002-b, 2005) semble elle aussi incontournable: cette dernière s’est particulièrement intéressée à la position de l’enfant au sein de la famille moderne et au caractère inconditionnel du lien filiatif qui contraste avec la fragilité et le caractère révocable du lien conjugal. De manière générale, les éléments théoriques et conceptuels mis de l’avant par ces sociologues de la famille ont été utilisés pour mieux comprendre d’où provient la valeur accordée à l’enfant dans nos sociétés modernes et aussi pour mieux expliquer les différentes connexions mises de l’avant par les participants entre la conjugalité, la famille et l’enfant.

Dans la plupart des cas, les anthropologues qui ont abordé les enjeux et les représentations liés à la procréation médicalement assistée (Birenbaum-Carmeli et Inhorn 2008; Bestard 2004; Becker 2000; Clarke 2007; Cussins 1997; Delaisi de Parseval et Collard 2007; Edwards et Salazar 2009; Franklin et Ragoné 1997; Hayden 1995;; Levine 2003; Lundin 2001; Melhuus 2009; Ragoné 1996, 2004; Shore 1992; Strathern 1992-b, 1995, 1999; Thompson 2001, 2002) ont insisté sur cette oscillation entre les dimensions biologique et sociale de la parenté. Ils ont démontré que la PMA impliquait divers enjeux identitaires et collectifs qui, à leur tour, exigeaient de voir au-delà d’une tendance à la biologisation de la filiation. Qu’ils se soient attardés à des cas particuliers en insistant sur la dimension ethnographique (expérience des couples en milieu clinique, points de vue des femmes qui acceptent d’être mères porteuses, construction des liens de parenté dans les familles ayant eu recours à l’IDA) ou qu’ils aient abordé le champ des NTR sous un angle plus général en proposant des réflexions théoriques, ces auteurs ont tous traité d’une façon ou d’une autre des bouleversements et des transformations que ces nouvelles techniques reproductives impliquent pour les définitions de la parenté et de la filiation et pour les représentations liées à la reproduction. Dans la mesure où cette thèse s’intéressait à la dimension ‘‘vécue’’ de l’infertilité et aux expériences que font les individus de la PMA, les positions de ces auteurs et les analyses qu’ils ont développées permettaient de dépasser l’aspect médical et biologique de la PMA et de montrer que celles-ci s’inscrivent dans un cadre culturel toujours particulier (Inhorn et Van Balen 2002, Treymayne 2001, Birenbaum-Cermeli et Inhorn 2008, Ghasarian 1995) et que les hommes et les femmes impliqués dans des démarches de procréation assistée ne parlent jamais de leurs difficultés de conception strictement en termes mécaniques, mais privilégient plutôt un point de

vue qui réfère à leur identité, à leur couple, à leurs familles élargies et à la société dans laquelle ils vivent.

De leur côté, les études anthropologiques sur l’adoption se situent dans des registres d’analyses plus variés sur le plan ethnographique. Certaines de ces études ont insisté sur les relations entre adoption et parenté et montré comment l’adoption demeure révélatrice des valeurs et positions idéologiques d’une société vis-à-vis du champ de la parenté et de la filiation (Ouellette 1996, 1998, 2000-a, 2000-b, 2003; Fine 1998, 2000-a, 2008; Leblic 2004; Yngvesson 2007). D’autres se sont davantage intéressés aux enjeux identitaires liés, d’une part, à l’influence du contexte culturel du pays d’origine de l’adopté et, d’autre part, aux voyages de retour effectués par les familles adoptives (Howell 2009; Kim 2007; Ouellette et Méthot 2003; Ouellette et Mossière 2004; Volkman 2005, 2009; Yngvesson 2004, 2005). La réflexion de certains autres auteurs a plutôt porté sur les différents moments de la construction du lien adoptif (Howell 2001, 2006) ou encore sur la circulation des enfants d’un point de vue national, international, communautaire ou intra-familial (Bowie 2004; Collard 2005-a, 2005-b; Fonseca 2000; Lallemand 1993, 2004; Leinaweaver 2009). D’autres auteurs se sont quant à eux préoccupés de mettre en lumière les paradoxes et les incohérences de certaines pratiques et procédures d’adoption (Cadoret 2009; Fine 2005; Modell/Schachter84 2001, 2009; Ouellette 2005-a, 2005-b; Ouellette et Goubau 2009; Selman 2004). Dans l’ensemble, les analyses développées dans ces différentes études interrogent la place de l’adoption et l’évolution de ses pratiques dans un contexte social (occidental) où les enjeux relatifs à l’enfant se transforment. Elles mettent aussi en évidence l’inévitable dimension sociale et élective des liens de parenté. Puisque je m’intéressais à la trajectoire de couples adoptifs qui ont eux-mêmes ‘‘naviguer’’ entre des représentations multiples de l’apparentement et qui ont nécessairement été amenés à s’interroger sur les dimensions biologique et sociale des liens de parenté, les analyses issues de ces études ont surtout été utilisées pour développer une réflexion autour des différentes implications liées à la parentalité adoptive.

Alors que les études sur la PMA ouvrent à la voie à des discussions centrées sur les thèmes de la reproduction et de la parenté, les études sur l’adoption, quant à elles, réfléchissent à partir du point de vue de l’enfant et de la famille. Par contre, toutes deux s’intéressent à ce qui intervient

dans la création des liens de parenté et ont pour point d’ancrage le désir d’enfant. Toutes deux, lorsqu’elles sont abordées ethnographiquement, permettent d’interroger et d’analyser les référents sociaux sollicités par les individus pour qualifier les liens familiaux. Dans cette thèse, les dimensions juridiques, éthiques et psychologiques de la PMA et de l’adoption ne sont pas totalement évacuées des analyses développées, mais elles ne constituent pas une priorité: j’ai plutôt choisi d’aborder les phénomènes de la PMA et de l’adoption dans une optique de complémentarité et de les entrevoir comme des phénomènes sociaux qui impliquent différentes ramifications et qui nous parlent de la famille et de la parenté contemporaines.

Le présent chapitre propose une réflexion sur le processus d’enquête, sur les positions épistémologiques privilégiées et sur le traitement et l’analyse des données. Tout au long de ce projet de recherche, le désir de reconnaître la valeur des explications des acteurs et le souci de poser des liens entre les données de manière à en arriver à une compréhension dynamique des logiques à l’œuvre ont constitué les principes guides de la démarche méthodologique: « Si

l’anthropologie est certainement un dialogue, une médiation entre Soi et l’autre, elle est aussi assurément une volonté de connaissance et une intention méthodologique » (Kilani 1994 : 62).

Reste que le terrain anthropologique, peu importe la forme qu’il prend, constitue toujours un moment-clef, une étape au cours de laquelle nos choix théoriques sont ébranlés, revus et redéfinis à la lumière de la réalité empirique.

Ce troisième chapitre aborde trois principales dimensions de la démarche méthodologique. D’abord, il pose une réflexion sur les fondements de la recherche anthropologique et explique les différents choix épistémologiques privilégiés tout au long du processus de construction de la thèse. Dans un deuxième temps, il propose une description des procédures de collecte des données. Finalement, ce chapitre expose les procédures d’analyses des données, c’est-à-dire qu’il présente les méthodes à l’aide desquelles le matériel a pu être traité et analysé ainsi que les objectifs sous-jacents au traitement des données.

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