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Enfant, famille et parenté : récits individuels, repères collectifs

3.3 Le travail d’analyse des données

3.3.3 Enfant, famille et parenté : récits individuels, repères collectifs

Ultimement, le travail d’interprétation des données et de comparaison des catégories (mise en évidence des variations, des similitudes et des relations entre les catégories) devait aussi mener à la construction de cadres explicatifs. Le processus de mise en relation de l’ensemble des données a permis de voir quelles catégories, en raison de leurs contrastes (ou de leurs points de croisement), méritaient d’être abordées simultanément ou gagnaient à être confrontées. Par exemple, le code « Pourquoi un enfant2 » est étroitement lié à celui de « Vivre sans enfant3 »,

2 Définition : quelles ont été les motivations initiales en ce qui a trait à l'idée d'avoir un enfant? Cette catégorie inclut aussi les segments relatifs au fait de désirer un enfant et d’entrevoir l'adoption et la PMA comme des moyens de combler un désir d'enfant.

3 Définition : existence ou non-existence d’un moment où le couple a envisagé l'option de ne pas avoir d'enfant du tout.

puisqu’un même problème se trouve abordé sous deux angles différents et contient des propos qui se recoupent et se complètent à plusieurs égards. Autre exemple; le volet concernant les démarches entreprises en clinique d’infertilité est certainement lié au code « représentations liées à la reproduction 4», même si dans ce cas-ci, le discours se situe à deux niveaux différents. Il y a ainsi plusieurs thématiques et codes qui, au-delà de leur pertinence individuelle, méritaient sur le plan analytique, d’être placés en situation de dialogue. Dans un dernier temps, les thèmes ont été reliés entre eux de manière à former ce que Strauss et Corbin (2004) appellent des ‘‘schèmes théoriques intégrés’’, c’est-à-dire des « schèmes théoriques plus larges, explicatifs de ce que

constitue le moteur du processus central ou organisateur, c’est-à-dire les conditions explicatives du comment, quand, où et pourquoi les personnes et les organisations procèdent pour passer d’une étape à l’autre » (2004 : 42).

Si les discours tenus dans le cadre des entretiens s’articulent initialement à l’intérieur d’un espace individuel et renvoient au vécu et à la subjectivité du sujet, ils sont aussi et dans un même temps le récit ou l’histoire de la vie en société (Poirier et Clapier-Valladon 1984; Delory-Momberger 2000). Ainsi, tant le contenu des entretiens que celui des forums de discussion témoignent d’expériences de la vie en société ainsi que de pratiques profondément sociales. Selon Weber, la tâche de l’ethnographe de la parenté est de réinscrire les pratiques dans des histoires sociales multidimensionnelles et de considérer chaque cas comme le croisement de multiples histoires collectives: « c’est au croisement des histoires intrafamiliales et d’une histoire collective plus

large que se fabriquent les normes et les sentiments dans lesquels se débattent les protagonistes »

(Weber 2005 : 255). Par exemple, dans cette recherche, l’analyse des trajectoires et le croisement des récits ont permis de dégager un certain nombre de constances, comme le recours spontané à la médecine reproductive lorsque surviennent des problèmes d’infertilité ou encore la tendance chez les participants à privilégier les liens électifs aux liens biologiques et à insister sur l’équivalence entre l’enfant biologique et l’enfant adopté.

La mise en rapport de plusieurs témoignages sur l’expérience d’une même situation sociale 4 Définition : comment les participants définissent-ils et se représentent-ils la reproduction et, plus globalement le fait de faire ou d’avoir un enfant? De quelles façons l'adoption et la PMA sont-elles entrevues comme des manières de se reproduire?

permet donc de dépasser les singularités et d’aboutir à l’isolement d’un noyau porteur de sens à partir duquel peuvent être appréhendées les dynamiques internes de l’objet étudié. En ce sens, les représentations partagées (en regard de l’enfance, de la parentalité ou de la reproduction) ou l’existence de certaines constantes dans les actions ou encore dans les attitudes adoptées, témoignent de la présence d’un univers social partagé et démontrent la pertinence de croiser non seulement les récits entre eux, mais aussi de croiser les récits aux grands discours contemporains sur la parenté et la famille.

Le mouvement de libération sexuelle qui a pénétré l’ensemble du monde occidental à la fin des années 1960 a transformé en profondeur le registre intime des relations hommes-femmes. Appuyé par la maîtrise de la procréation, par la transformation des formes familiales et par la consolidation de valeurs sociales centrées sur l’égalité et la liberté, ce mouvement allait aussi avoir un effet notable sur les représentations liées à l’enfant et à l’enfantement: « dans le même

mouvement, c’est tout l’agencement subjectif de la procréation qui évolue » (Gavarini 2001 :

208). Dorénavant, avoir un enfant s’inscrit dans une démarche de choix, les parents choisissant eux-mêmes le moment qui leur semble le plus approprié pour faire famille: l’enfant n’est plus le fruit aléatoire de la sexualité, mais devient un être reconnu comme unique, un être qui incarne l’amour de ses auteurs (Cadolle 2007 : 19). Ainsi le désir d’enfant dans la société occidentale contemporaine présente plusieurs facettes : non seulement l’arrivée d’un enfant est-elle relativement programmée, mais l’investissement affectif dont ce dernier fait l’objet ainsi que les cadres sociaux plus individualistes dans lesquels le projet parental s’inscrit sont assez récents : « Les enfants sont souhaités en tant que symboles d’épanouissement personnel et de réussite du

couple. Ces déterminants de l’actualisation du désir expliquent notamment le report de l’âge au premier enfant et le décalage entre le calendrier adopté par les couples et la période de fécondité physique » (LeVoyer 2003 : 39). Les propos de Sarah, interviewée dans le cadre de cette

recherche, décrivent bien ce contexte nouveau et changeant :

« Ma génération et celle qui me suit pensent ainsi: ‘‘Je veux quelque chose, je le veux tout de suite’’. Mais pour un enfant… il ne suffit pas de dire que tu désires un enfant. Je pense que c’est bon d’avoir à attendre pour ce projet-là et de l’avoir assez réfléchi. C’est sûr que tu peux dire que tu veux un bébé, mais il faut être conséquent… un enfant, c’est un projet de vie! Ce n’est pas un projet pour rassembler un couple là! Je fais des généralisations, mais je crois que majoritairement, les gens commencent à sortir ensemble à l’âge de 30-31 ans car ça ne commence plus à 25 ans et ça ne se marie plus à 26 ans! Alors, ça commence à penser à faire des bébés à 31-32 ans ; ils essayent pendant un an et si ça ne fonctionne pas mais… pour eux, il faudrait qu’ils aient le bébé à 34 ans. Et si ça ne fonctionne pas encore, ils disent: ‘‘Go!, on se lance dans l’adoption tout de suite!’’ » (Sarah).

Ce chapitre s’intéresse plus particulièrement à trois phases1 de la trajectoire des couples: à leur désir d’enfant, à la rencontre de l’infertilité et finalement à l’expérience en milieu clinique. Dans

1 À noter : ces phases se rapportent davantage à des périodes flexibles et ouvertes qu’à une succession chronologique stricte.

un premier temps, il s’agira de comprendre comment s’est installé et consolidé le désir d’enfant au sein du couple et aussi de saisir la valeur accordée par les participants au fait familial. La deuxième partie sera davantage axée sur le sens et le vécu liés à l’infertilité, et ce tant d’un point de vue identitaire, conjugal que social. La troisième partie introduit le monde de la procréation médicalement assistée et s’intéresse aux différentes dimensions relationnelles et aux représentations issues de la rencontre entre couples infertiles, médecine reproductive et corps médical (médecins et infirmières).

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