• Aucun résultat trouvé

Au Québec : nouveau contexte pour l’union civile et la filiation

2.2 La famille en Occident

2.2.5 Au Québec : nouveau contexte pour l’union civile et la filiation

Il semble pertinent de situer concrètement la position du Québec relativement aux questions de filiation et de parenté, d’autant plus que la province a adopté en juin 2002, une nouvelle loi en matière de famille et de filiation qui, aux yeux de plusieurs chercheurs en droit de la famille, peut être qualifiée de révolutionnaire tant elle « déconstruit les fondements de certaines institutions

changements si marqués, qu’elle est susceptible, selon Tahon « d’entraîner des conséquences

importantes pour la représentation de la famille au Québec et de la place des hommes en son sein » (2004 : 156). En accordant le droit aux femmes seules et aux couples lesbiens d’avoir

recours à l’assistance médicale à la procréation pour avoir un enfant, la loi instituant l’union

civile et établissant de nouvelles règles de filiation reconnaît la monoparenté et la biparenté

homosexuelle, c’est-à-dire qu’elle cautionne l’éventualité qu’un enfant naisse sans filiation paternelle et elle légalise la possibilité que sur l’acte de naissance d’un enfant québécois, il soit inscrit qu’il est fils ou fille de deux mères. Parallèlement, un enfant ne peut être fils ou fille de deux pères (autrement que par le biais de l’adoption), puisque, contrairement aux femmes seules ou aux couples de femmes, on a refusé l’accès à la procréation assistée et à la mère porteuse pour les hommes seuls et les couples gais34.

Ainsi, dans son désir d’établir une égalité entre les différents types de familles et d’instaurer une union civile qui soit accessible aussi bien aux couples homosexuels qu’aux couples hétérosexuels, la législation a surtout cherché à protéger les droits des adultes impliqués dans ce que l’on nomme aujourd’hui un ‘‘projet parental’’35. Selon Joyal (2006), le privilège accordé à la notion de ‘‘projet parental’’ et aux revendications appuyées sur le droit à l’égalité nie, au nom du désir individuel et du respect de la vie privée des adultes, le caractère social de la filiation. En citant l’exemple des femme seules et des couples de lesbiennes qui ont recours à la procréation médicalement assistée comme mode d’accès à la parenté et à la filiation, l’auteur (Joyal 2006) soutient que cette loi remet en cause nos règles anthropologiques en matière de filiation, lesquelles reposent sur un paradigme de différenciation des sexes et des générations. Le champ de la parenté se trouve ainsi sollicité pour résoudre une question qui le dépasse, soit celle du respect

34 Se trouve ainsi instauré un « nouveau système de filiation bilatérale qui exclut la filiation paternelle. Un système

de filiation inverse, qui légaliserait la possibilité que, sur l’acte de naissance d’un enfant, il soit inscrit qu’il est le fils ou la fille de deux pères, est exclu par l’actuel article 541 du Code civil qui établit que ‘‘toute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle de nullité absolue’’ » (Tahon 2010 : 117).

35 La valeur accordée au projet parental est d’ailleurs particulièrement visible dans le milieu de l’adoption (Ouellette 2000 a-b). Dans l’institution adoptive du Québec, la famille et les parents sont davantage définis en fonction de leurs capacités parentales. Et cette même tendance est aussi de plus en plus observable en adoption internationale : « les

adoptants n’y sont pas d’abord définis comme des ressources pour des enfants abandonnés, mais bien plutôt comme les acteurs principaux d’un processus de formation d’une famille […] les groupes d’adoption internationale réinscrivent explicitement l’adoption dans le registre de l’expérience personnelle et d’un projet de vie familiale »

des droits des conjoints homosexuels et de la protection des droits des enfants des familles homoparentales.

Considérant le principe selon lequel on ne peut transiger sur l’état civil d’une personne et considérant également que le droit familial doit d’abord « apporter des réponses acceptables au

double besoin de reconnaissance et d’adaptation aux situations quotidiennes, tout en préservant la cohérence générale et la lisibilité du dispositif par lequel chacun peut se repérer et s’identifier » (Séraphin 2007 : 12), plusieurs spécialistes en droit de la famille et en sciences

sociales (Dagenais 2005; Collard 2005-c; Joyal 2006; Moore 2003; Philips Nootens et Lavallée 2003; Roy 2005, Malacket et Roy 2008 ; Tahon 2004, 2010) critiquent le fait que certaines des nouvelles dispositions de la loi (dont celle qui permet à une femme seule d’avoir recours à l’insémination artificielle pour avoir un enfant qui sera condamné à n’avoir qu’une filiation unilinéaire) tendent vers la privatisation et la contractualisation de la filiation, laquelle a pourtant toujours été considérée d’ordre public et exclue du domaine contractuel. En ce sens, la nouvelle loi en matière de famille et de filiation s’inscrit dans la mouvance tout contemporaine d’affirmation grandissante du droit à la famille qui se traduit, selon Gavarini (2005) par « la

revendication affichée d’un droit à la vie familiale pour tous, quelles que soient l’orientation sexuelle et la configuration de la maisonnée » (2005 : 47). Ainsi s’entremêlent les notions de

désir d’enfant, de droit à la reproduction, et de droit à former une famille dans un contexte social où les principes de liberté individuelle, d’égalité et de défense des intérêts de l’enfant posent un certain nombre de contradictions36.

36 Murat (2008) critique sévèrement le droit de la famille (sans viser particulièrement le Québec) et reproche à ce dernier de négliger sa finalité première, soit l’encadrement de la reproduction du corps social: « Aujourd’hui, il est

surtout demandé à celui-ci (droit de la famille) de ne pas entraver la recherche du bien-être individuel, quand il ne lui est pas tout bonnement enjoint d’être l’instrument de réalisation du bonheur individuel » (Murat 2008 : 30)

Conclusion. La parenté et la famille : continuités et transformations

La parenté occidentale et plus particulièrement la famille contemporaine se trouvent aujourd’hui à la croisée de deux mouvements contraires, c’est-à-dire entre « l’élargissement de la parenté

sociale » et le « rétrécissement autour du génétique » (Godelier et Mingasson 2006) ; ce double

mouvement37 met en évidence des principes basés sur des valeurs chères à leurs sociétés d’appartenance, mais pose son lot de contradictions: « L’effondrement du mariage comme

principe organisateur de la filiation laisse ainsi dans l’incohérence nos représentations sociales et notre droit, hésitants entre la promotion du biologique et celle de l’électif » (Cadolle 2007 :

16). Influencée tantôt par des représentations naturalistes qui privilégient les liens du sang et tantôt par des modèles et des pratiques qui donnent préséance aux relations basées sur la volonté et le choix, la parenté occidentale cherche à se situer dans l’espace parental et à se redéfinir des bases communes :

« En valorisant le lien de sang, le pôle ‘’familialiste traditionnaliste’’ tente de

redonner une assise légitime au modèle de la famille nucléaire indissoluble; en valorisant le volonté, le pôle individualiste s’appuie sur les acquis des sciences humaines pour défendre une conception purement élective de la famille […] Nous sommes en quelque sorte au milieu du gué, partagés entre le sentiment qu’il faut prendre en compte la réalité concrète et éminemment diverse des situations, et le sentiment que manquent des repères symboliques forts, communs à tous » (Théry 2002-b: 216-217).

À l’heure où la génétique est évoquée pour expliquer les maladies, les comportements, voire même les habitudes inter-générationnelles, il convient de s’interroger si ce retour en force du ‘‘biologique’’ dans le champ de la parenté ne correspond pas à une version nouvelle de l’idéologie des liens de sang38; une version plus actuelle, plus scientifique et surtout plus stable.

Une version qui traduit finalement l’idée selon laquelle « l’usage généralisé des tests génétiques

pourrait asseoir une filiation plus univoque, plus inconditionnelle et plus indissoluble que toutes les institutions du droit » (Théry 2005 : 396). Est-il possible que la multiplicité des nouvelles

37 Cadoret (2000) aborde elle aussi la question du double mouvement, mais le situe plus spécifiquement au niveau de la filiation : « la filiation se détache de l’alliance matrimoniale tout comme la sexualité se détache de la

reproduction; par contre, la filiation attache bruyamment son attachement au corps reproductif qui devient peu à peu la figure incontournable de la filiation » (Cadoret 2000:15).

38 Une position que soutient Lebner (2000) lorsqu’il affirme que le symbolisme du sang (symbole de l’hérédité et d’une parenté plus ‘‘vraie’’) comme base de la parenté persiste encore, mais se trouve doublé des ‘‘gènes’’ qui, à leur tour, pénètrent le portrait » (2000 :374)

reconfigurations familiales jumelée à la difficulté de notre société à refonder des normes communes en matière parentale conduisent à une forme plus restrictive des critères de définition? En contraste avec la fluidité et la complexité de la parentalité contemporaine, « la

génétisation des relations familiales peut implicitement mettre l’accent sur la continuité dans les structures de parenté en rappelant les idéologies traditionnelles de la primauté de l’apparentement biologique » (Freeman et Richards 2006 : 80). Ainsi, on peut supposer que le

recours à des explications génétiques permet non seulement de situer avec certitude ‘‘qui est apparenté à qui?’’, mais de par son caractère transcendant (espace temps), la génétique permet également d’inscrire les relations de parenté dans une logique intergénérationnelle. Par contre, Freeman et Richards (2006), tout en s’attardant à la question des tests d’ADN comme critère de définition de la paternité, soulignent que « malgré l’essentialisme génétique promu dans les

discours des sociétés contemporaines, l’importance tacite accordée aux relations sociales dans la définition de la paternité n’a pas été évincée » (2006 : 75). Paradoxalement, la force

d’attraction qu’exerce le savoir génétique sur les acteurs sociaux agit en parallèle au principe d’autonomisation croissante de la famille par rapport à la parenté: en effet, si la famille moderne a bel et bien rompu la continuité du monde établi sur la descendance (Dagenais 2005 : 174), la présence grandissante de la science génétique ramène les individus dans une logique trans- générationnelle, mais cette fois dans un optique tout à fait autre, lequel s’appuie principalement sur ce que Finkler (2001) appelle l’« idéologie de l’héritage génétique ».

Les valeurs d’égalité, de liberté et de démocratie qui ont mené à une dynamique plus égalitaire des sexes, à une valorisation des droits de l’homme, et aussi, inévitablement, à des parentés multiples et choisies, vont sans aucun doute persister. Quant aux critères de définition de la parenté basés sur la génétique, la science et la technologie, on imagine mal comment leur influence pourrait diminuer. Par contre, il est fort à parier que les acteurs sociaux trouveront (peut-être parfois d’ailleurs de manière surprenante) des réponses et des solutions à leurs questionnements par l’agencement et la combinaison d’éléments qui apparaissent contradictoires. Il ne faudrait pas non plus sous-estimer les aspects de continuité dans les discours relatifs aux relations de parenté ainsi que la capacité des acteurs sociaux à inscrire le génétique et le culturel dans une dynamique commune qui, malgré ses allures paradoxales, permet l’atteinte d’une certaine stabilité. Chose certaine, la nécessité de prendre en compte une définition plus fluide et

plus souple de la famille et de l’apparentement s’impose: « Il faut sans doute renoncer à définir

ce qui serait un noyau dur, intemporel, anhistorique de ce qui ‘‘fait famille’’. La modestie semble de mise si l’on veut, à notre époque, caractériser un groupe familial » (Delaisi de Parseval 2001-

Outline

Documents relatifs