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L’adoption et le principe du meilleur intérêt de l’enfant

2.4 L’adoption

2.4.3 L’adoption et le principe du meilleur intérêt de l’enfant

Si l’adoption demeure créatrice d’un lien de filiation au sens strict, elle s’inscrit de moins en moins dans une démarche d’identification et de transmission au sein des générations : comme le souligne Neirinck, ‘‘l’adoption est sortie du lit de la filiation pour se couler dans celui de la parentalité’’ (2000-a : 343). Par contre, l’adoption continue de s’articuler à des règles filiatives et raconter leurs histoires de vie, et ce en dépit du fait qu’elles puissent défier, perturber ou ultimement favoriser la réécriture des versions populaires de cet épisode critique de l’histoire américaine.

68 Le concept ‘‘d’adoption ouverte’’ (open adoption) est pluriel et les pratiques qu’il recouvre sont multiples: échanges d’informations non-identifiées entre parents de naissance et parents adoptifs; rencontres face-à-face sans échange de noms; échanges de photographies, de lettres et de noms; contact entre parents de naissance, parents adoptifs et dans certains cas, enfant adopté. (Modell 2001 : 246)

69 Dans une enquête effectuée sur le type d’adoption à préconiser, 85% de Canadiens pensent que l’adoption fermée et confidentielle devrait continuer d’être disponible dans les cas où les parents adoptifs ne désirent pas avoir de contacts avec les parents de naissance : par contre, 77% approuvent l’échange de cartes et de lettres entre adoptés et parents de naissance et la majorité supporte l’adoption ouverte, dépendamment du degré d’ouverture (Miall et March 2002).

à des normes juridiques qui mettent en évidence sa double finalité; servir et protéger les intérêts de l’enfant par la création d’un nouveau lien de filiation.

Les décisions juridiques liées à l’adoption (dans les pays occidentaux) sont elles-mêmes issues d’un contexte où la conception de l’enfant s’est radicalement transformée : « Autrefois simple

maillon de la chaîne dans la transmission de la vie, l’enfant se voit aujourd’hui investi d’un rôle identitaire à l’égard des adultes » (Lavallée 2005-b : 210). Ces nouvelles conceptions de l’enfant

et de l’enfance ont donné naissance à une logique de protection de l’enfant sur laquelle se basent les décisions relatives à l’adoption : l’intérêt supérieur de l’enfant, comme condition de toute adoption, est ainsi devenu un des grands principes fixés au niveau international par la Convention internationale sur les droits de l’enfant (CIED) et par la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale (CLH)70. Cette dernière, adoptée en 1993 par 62 états (le Canada l’a signée en 1994, ratifiée en 1996 et mise en vigueur en 1997), « visait à créer un instrument multilatéral qui définirait certains principes de fond pour la

protection des enfants, établirait un cadre juridique de coopération entre les autorités des États d’origine et des États d’accueil et unifierait les règles de droit international privé en matière d’adoption internationale »71

. À travers ces deux conventions, la conception de l’adoption s’est

modifiée pour devenir presque exclusivement un mode de protection des enfants abandonnés, au détriment d’une conception de l’adoption attributive d’un lien de filiation (Collard, Lavallée et Ouellette 2006).

La Convention de La Haye établit les responsabilités respectives des pays donneurs et des pays receveurs : le respect des conditions d’admissibilité de l’enfant à l’adoption relève des pays d’origine alors que les preuves relatives aux exigences requises pour les adoptants sont à la charge des pays d’accueil. Ainsi, les pays donneurs ont le devoir de s’assurer que les parents de naissance comprennent et acceptent les implications liées au fait de céder leur enfant en adoption (comme la rupture définitive du lien de filiation). Cette Convention internationale engage

70 À titre indicatif, mentionnons qu’en 2008, sur la totalité des adoptions internationales réalisées au Québec, 52% impliquaient des pays ayant mis en œuvre la Convention de La Haye, alors que 48% concernaient des pays où la Convention ne s’appliquait pas (Secrétariat à l’adoption internationale).

71 Voir sur le site officiel de La Conférence de La Haye de droit international privé dans la section ‘‘Espace adoption internationale’’ : http://hcch.e-vision.nl/index_fr.php?act=text.display&tid=45

également les pays signataires à collaborer pour conserver les informations sur les origines des enfants adoptés et pour leur en assurer l’accès, une mesure qui témoigne de la préoccupation grandissante pour les droits des adoptés internationaux à connaître leurs origines et qui laisse présager une multiplication des retrouvailles internationales72. De plus, la Convention maintient la pratique de l’adoption internationale au-delà des alternatives locales, mais proclame le droit de l’enfant à demeurer avec sa famille d’origine : un enfant abandonné doit d’abord retrouver sa famille et demeurer avec elle dans la mesure du possible. Sinon, un placement adoptif doit être envisagé dans son pays natal; ce n’est seulement qu’en dernier recours que l’adoption internationale doit être envisagée (Yngvesson 2004 : 217).

Prenant position en faveur du maintien de l’unité et de la préservation familiales, Altstein et McRoy (2000) soutiennent que des interventions et un support appropriés peuvent encourager les parents à s’occuper adéquatement de leurs enfants. Les auteurs critiquent la logique à partir de laquelle les autorités américaines (le service de protection de l’enfance américain) retirent un enfant de son milieu familial d’origine pour le transférer dans une famille adoptive sans avoir au préalable fourni l’aide et le support nécessaires pour que ces familles puissent résoudre les problèmes auxquels ils font face, problèmes souvent liés à des facteurs de pauvreté (Altstein et McRoy 2000). L’équivalent sur le plan de l’adoption internationale est aussi défendu par d’autres auteurs (Selman 2004; Yngvesson 2004; Collard 2005-b; Fonseca 2000) qui s’inquiètent des relations inégalitaires qui s’installent entre les pays du Nord (receveurs) et les pays du Sud (donneurs) par le biais de l’adoption internationale: « l’adoption internationale n’est pas un

phénomène bilatéral entre États qui s’échangeraient des enfants, mais est unilatéral et, de façon prédominante, le transfert des enfants se fait des pays pauvres vers les pays riches » (Collard

2005-b : 211). L’auteur, qui s’est particulièrement attardée à l’exemple de Haïti, souligne l’importance de ne pas sous-estimer les inégalités sociales et politiques inhérentes à l’adoption internationale. La demande soutenue, voire grandissante, de couples sans enfants (et majoritairement infertiles) des pays les plus riches rencontre l’intérêt des pays donneurs pour lesquels l’adoption internationale permet non seulement d’échapper aux frais liés à l’entretien des

72 Sur la circulation des informations sur les origines des adoptés internationaux en contexte québécois: « Les

informations sur les origines des adoptés sont dispersées entre différents acteurs qui ne poursuivent pas les mêmes intérêts et ne sont pas investis des mêmes responsabilités », ce qui constitue un obstacle pour la mise en œuvre des

enfants en institution, mais également d’avoir accès à des revenus supplémentaires issus des frais payés par les adoptants (Selman 2004 : 268-270). Pourtant, comme Selman le mentionne, le montant d’argent investi par les parents adoptifs dans l’ensemble du processus d’adoption internationale représente une somme considérable qui pourrait plutôt être investie dans l’amélioration des services de protection de l’enfance des pays d’origine concernés (2004 : 270). En s’appuyant sur l’exemple de l’Inde (pays qui travaille à éviter l’abandon des enfants), Yngvesson (2004) insiste sur l’importance pour les gouvernements et les agences de placement (tant locaux qu’étrangers) de privilégier des politiques d’aide à la pauvreté avant de développer des politiques d’adoption. Bref, comme le souligne ironiquement Pierron (2003) à ce sujet, ‘‘si la stérilité d’un couple peut paraître irrémédiable, on s’accommode trop vite de l’idée que la misère l’est aussi’’.

L’ensemble des décisions relatives à l’adoption, tant sur le plan provincial qu’international, s’appuie sur le principe du meilleur intérêt de l’enfant : « l’enfant est défini comme une personne

mineure à protéger, et l’adoption, comme un transfert des droits et responsabilités parentales à l’égard de l’enfant » (Fine 2005 : 149). Ce principe ‘‘sacré’’ est pourtant la source de nombreux

désaccords, le problème principal étant de déterminer le contenu même de la notion : « l’interprétation de ‘‘l’intérêt de l’enfant’’ est bien diverse selon l’importance accordée

par les juges aux liens de sang, entraînant de ce fait des incohérences dans les décisions prises »

(Leneveu 2007 : 108-09). Dans plusieurs cas, le principe du meilleur intérêt de l’enfant se trouve perverti par une panoplie de revendications contradictoires : « La notion est incontournable au

point où toute la légitimité des différents acteurs en adoption dépend de leur souscription inconditionnelle à ce principe. Mais il s’agit d’une notion à contenu variable dont l’interprétation varie selon les époques, mais aussi selon les régions » (Lavallée 2005-b : 216).

Dans le cas bien concret de l’adoption d’enfants placés en familles d’accueil ‘‘banque mixte’’ par la protection de la jeunesse (en contexte québécois), la logique de protection de l’enfant (qui sous-tend la préservation des liens familiaux) entre en tension avec les objectifs mêmes de l’adoption, qui eux en supposent la rupture (Ouellette et Goubau 2009). Selon les auteurs, les missions distinctes et potentiellement divergentes du programme posent leur lot de risques et d’ambiguïtés.

Finalement, l’idée selon laquelle toute décision concernant l’enfant doit d’abord être prise en fonction de son intérêt et de son bien-être fait l’unanimité. Par contre, tous ne s’entendent pas sur la définition à donner au concept et sur les éléments qui doivent être privilégiés.

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