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4.2 L’infertilité : « un enfant si je veux, quand je veux mais si je peux »

4.2.2 L’infertilité : une maladie, un état, un symptôme?

Techniquement, comme on l’a déjà mentionné, l’infertilité est définie comme une difficulté à

concevoir un enfant après un an de relations sexuelles régulières, sans contraception et avec le même partenaire. À cette définition doivent être ajoutées certaines considérations historiques et

sociales. L’infertilité demeure un concept récent qui a progressivement (mais non totalement) remplacé celui de stérilité. Au fur et à mesure que s’est développée la médecine reproductive, la stérilité, considérée comme un état irrémédiable, a cédé sa place à l’infertilité, laquelle ne réfère non plus à l’impossibilité de concevoir un enfant, mais plutôt à une difficulté de concevoir celui- ci dans les délais déterminés par le projet de conception du couple : « Cette notion relativement

récente d’infertilité tend à dissoudre la notion plus ancienne de stérilité, d’autant plus que les techniques de manipulation de gamètes et d’embryons projettent l’idée qu’il n’y a plus de stérilité incontournable. Il est, en effet, de plus en plus rare qu’une personne ou un couple se voit donner un diagnostic de stérilité » (Ouellette 1993 : 239). Ainsi, depuis l’apparition des

nouvelles technologies reproductives et plus particulièrement encore de la fécondation in vitro, la notion d’infertilité a remplacé celle de stérilité comme façon de désigner l’incapacité reproductive : « L’infertilité réfère à un état médical et social liminal dans lequel la personne

affectée navigue entre la capacité et l’incapacité reproductive : ‘‘l’infertile’’ est la personne qui n’est pas encore enceinte mais qui souhaite mener une grossesse à terme et avoir un bébé » (De

Lacey et Sandelowski 2002 : 35). Par ailleurs, les cliniques d’aide à la procréation répondent aujourd’hui à des demandes qui dépassent largement le cadre médical et biologique de l’infertilité et qui relèvent davantage d’une forme d’infertilité sociale : c’est le cas par exemple des femmes seules ou des couples lesbiens qui choisissent d’avoir recours à l'IAD (insémination artificielle avec donneur de sperme), ou encore, dans d’autres pays, des couples gays qui ont recours au don d’ovocytes et/ou à une mère porteuse.

Mais la définition de l’infertilité ne fait pas l’unanimité. Selon la perspective féministe adoptée par la Fédération Québécoise pour le Planning Familial (FQNP), l’infertilité pourrait aussi être considérée comme un état, celui de ne pas être mère (ou de ne pas être mère une fois de plus). Cet état en soi ne serait pas problématique pour une femme qui ne veut pas fonder une famille et qui, par le fait même, n’est pas préoccupée par l’absence d’enfant. Par contre, l’infertilité lorsqu’elle est associée à un désir d’enfant non comblé et à un délai de conception de plusieurs mois ou de plusieurs années se présente sous un angle différent (FQNP 2006 : 8).

Les avancées en médecine reproductive participent également au mouvement de médicalisation de l’infertilité et tendent à présenter celle-ci comme une maladie ou comme un symptôme d’une ou de plusieurs dysfonctions organiques ou hormonales qui nécessitent non seulement un diagnostic, mais aussi des traitements et une intervention directe sur les parties défaillantes des corps concernés. Ce point de vue est partagé par certains participants, dont Marie-Claire qui compare l’infertilité au cancer:

On a un ami, lui il nous disait : ‘‘vu que tu ne peux pas en avoir naturellement, tu ne te dis pas : ‘‘peut-être que je ne devrais pas en avoir’’. Pour nous, c’était comme ‘‘là non, on va l’essayer’’. C’est comme si t’as le cancer, il y a des médicaments, il y a la technologie plus avancée maintenant; pourquoi tu la refuserais? C’est la même chose: maintenant ils ont trouvé des technologies qui permettent de fertiliser l’embryon, et après ça, ils te l’implantent directement. Nous autres, dans notre tête, c’était ‘‘pourquoi dire non?’’. On peut comparer ça à quelqu’un qui est malade, et il y a la technologie qui avance fait que dans le fond on en profite, c’est tout (Marie-Claire).

Mais le statut de l’infertilité demeure controversé : une vision de l’infertilité basée sur la maladie est revendiquée par certains couples infertiles qui souhaitent par exemple, sensibiliser le public à leur situation et encourager le système de santé à prendre en charge les traitements en clinique d’infertilité ainsi que les coûts qu’ils impliquent. Par contre, la définition de l’infertilité comme ‘‘désordre médical’’ comporte d’autres implications souvent sous-estimées par les couples: elle confine ‘‘l’infertile’’ dans un rôle de patient et crée inévitablement des attentes chez ces couples qui font confiance à la médecine pour les guérir : « Les couples infertiles considèrent souvent leur

infertilité comme une maladie chronique en raison justement de l’existence des nombreuses NTR (nouvelles technologies reproductives) difficilement contournables, mais qui n’arrivent pourtant pas, dans bien des cas, à les guérir » (De Lacey et Sandelowski 2002 : 43). Ainsi, chez les

participants, certains refusent de qualifier l’infertilité de maladie, même s’ils reconnaissent les douleurs et les déceptions qu’elle entraîne:

F : Toi t’arrives (chez le médecin) et t’es juste comme, tu voudrais juste quelque chose de normal à tes yeux, et tu dis ‘‘mais pourquoi je ne l’ai pas’’. Mais pour eux autres (les médecins) tu n’as pas tant de problèmes que ça. Maintenant je comprends que, je comprends qu'elle (la gynécologue), elle n’avait pas le temps de…

H: C’est parce que c’est plus des problèmes psychologiques et émotifs, tu n’es pas malade quand tu n’as pas d’enfant. Il n‘y a rien qui dit que le corps est sensé automatiquement avoir des enfants. C’est ça, c’est de même, c’est ton destin, et t’as les cheveux noirs, t’as les cheveux blancs, t’as les oreilles décollées… (Serge et Josée).

La médicalisation de l’infertilité s’inscrit spontanément dans un contexte de valorisation du progrès médical dans lequel les médecins apparaissent comme des personnes devant remédier à la maladie. Comme le rappelle Becker (2000), la plupart des personnes qui vont en procréation médicalement assistée sont assez jeunes et en santé; elles n’ont pas encore été confrontées à la possibilité que le médecin ne puisse les guérir et s’imaginent d’entrée de jeu que celui-ci va trouver une solution à leur infertilité. Cette idée de la ‘‘médecine miraculeuse’’ est d’ailleurs encore plus palpable dans les forums de discussion où les femmes s’encouragent et se soutiennent dans leurs démarches et traitements en infertilité : « Finalement, mon message est pour vous dire

de ne pas baisser les bras. N'écoutez pas que les mauvaises histoires; des belles, il y en a. Entourez-vous de positif et faites-vous confiance. La nature tout comme la médecine font des miracles »3. La propension à situer l’infertilité à l’intérieur de l’analogie ‘‘machine brisée, parties à réparer’’, à endosser une interprétation physique de l’incapacité reproductive et à rechercher une solution médicale à cette incapacité constitue indéniablement une tendance très forte chez les couples infertiles. Par contre, les hommes et les femmes concernés ne parlent jamais de leur infertilité strictement en termes mécaniques : comme nous le verrons ultérieurement, leur infertilité est toujours abordée dans une optique et un esprit plus larges qui concernent leur identité, leur couple, leurs familles élargies et la société dans laquelle ils vivent.

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