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La question du droit à connaître ses origines est sans aucun doute l’aspect qui a été et qui continue d’être le plus souvent soulevé dans les projets d’étude qui comparent la procréation médicalement assistée et l’adoption77 (Giroux 2009; Moore 2003; Castelli et Goubau 2005; Kirouak 2005 ; Delaisi de Parseval et Verdier 1994 ; Neirinck 2000-b). L’accès aux origines constitue une revendication de plus en plus présente dans les sociétés contemporaines : « La

revendication contemporaine de l’accès à ses origines revient à proposer qu’une personne puisse rencontrer ses parents de naissance, quand bien même la loi lui aurait désigné d’autres parents »

(Ensellem 2007 : 111). Ainsi selon Delaisi de Parseval et Verdier (1994), les enfants nés d’une PMA avec donneur se trouvent, sur le plan de la connaissance de leurs origines, dans une situation semblable à celle des adoptés dont les traces de la naissance ont été effacées.

Par contre, les législations qui entourent le droit à connaître ses origines ont encore bien du mal à aborder abandon d’enfant et don de gamète d’un même regard: « jusqu’à maintenant, il y a eu

quelques revendications et des gains en matière d’adoption, mais la question du droit aux origines dans le contexte de la procréation assistée n’a été que très discrètement débattue »

(Giroux 2009 : 369). Selon Ensellem (2007) qui a comparé, en contexte français, l’accouchement sous X et l’assistance médicale à la procréation avec donneur, cette difficulté réfère d’abord aux circonstances respectives de la venue au monde des enfants concernés : « la différence

fondamentale des circonstances de la venue au monde entre la PMA et l’adoption (l’abandon et le don) doit très certainement expliquer les raisons pour lesquelles une société ne perçoit pas de la même manière l’accès aux origines des personnes nées dans ces deux configurations »

(Ensellem 2007). Sur le plan symbolique, la distinction est tout aussi significative, puisque dans le cadre de l’adoption, non seulement l’enfant est issu d’une rencontre sexuelle entre un homme et une femme, mais la rupture du lien de filiation entre l’enfant et ses géniteurs (du moins entre l’enfant et sa mère génitrice) se produit après la naissance. L’enfant se trouve ainsi à la croisée de deux histoires, celle de ses parents biologiques et celle de ses parents adoptifs. Par contre, en cas de procréation médicalement assistée avec don de gamètes, le couple de futurs parents se trouve

77 À ce sujet, il importe de préciser que l’accès aux origines dans le cadre de la procréation médicalement assistée concerne strictement les enfants issus d’un don de gamètes et non pas tous ceux qui naissent d’une fécondation in

vitro ou d’une insémination artificielle. Delaisi de Parseval propose elle aussi de faire cette distinction « puisque les histoires un peu particulières de ces conceptions avec dons anonymes posent des questions radicalement différentes » (2001-b : 113)

impliqué dans l’histoire de l’enfant avant même la naissance de ce dernier. La société envisage alors plus difficilement comment l’enfant pourrait avoir d’autres parents que le couple qui l’a conçu et désiré (Jordana 2000). Il semble donc que malgré une certaine valorisation des origines biologiques et génétiques, la société hésite à faire basculer aussi radicalement la question des origines et de l’identité dans le champ de la biologie, une biologie privée de son caractère symbolique puisque principalement encadrée par la médecine.

Paradoxalement, la procréation médicalement assistée s’inscrit, au même titre que l’adoption il y a quelques décennies, dans une logique du secret qui engage tous les acteurs : secret sur la stérilité d’un des membres du couple, secret sur l’origine du don de gamètes (anonymat des donneurs); secret sur les circonstances de la conception de l’enfant78. L’anonymat du donneur (ou de la donneuse), légalement protégé, permet aux parents de cacher à l’enfant son mode de conception et laisse ainsi la filiation de l’enfant à l’entière discrétion des parents. Ultimement, le principe de confidentialité peut même représenter une source de motivation pour les parents qui souhaitent garder secrètes leur infertilité et les circonstances de naissance de l’enfant. À la revendication du ‘‘droit à l’enfant’’ s’ajoute la revendication du droit au secret, souvent exprimé par les parents comme le droit au respect de la vie privée : « Si le droit à la liberté de procréation

peut apparaître comme largement triomphant, c’est que le législateur a abandonné l’idée d’y intervenir tant l’individualisme y est lui-même triomphant » (Hauser 1996 : 18). Sur le plan

juridique, la contradiction principale que dévoilent les revendications liées à l’accès aux origines repose sur l’opposition entre deux types de droits pourtant considérés légitimes, le ‘‘droit des adultes au respect de la vie privée’’ d’une part et le ‘‘droit pour l’enfant à connaître ses origines’’ d’autre part: « On assiste actuellement, en matière de droit de l’enfant à connaître ses origines, à

un phénomène de crispation du droit, l’évolution législative récente étant marquée par une occultation de plus en plus sévère (particulièrement en PMA) des origines biologiques » (Furkel

1996 : 56). Globalement, selon Giroux (2009), ce décalage entre l’adoption et la PMA quant au droit à connaître ses origines s’expliquerait principalement, par le fait que l’on « réfléchit surtout

à partir des réalités des parents et du donneur […] et non en se posant la question sous l’angle des droits de l’enfant » (2009 : 368).

78 L. Camborieux estime que seuls 10 à 15% des enfants issus d’une PMA avec donneur connaissent les circonstances de leur conception (cité par Ensellem 2007).

Dans les normes qui régissent la reconnaissance du droit à connaître ses origines, les règles d’anonymat et de confidentialité sont à ce jour beaucoup plus rigides en milieu médical qu’en milieu adoptif. Dans le cas de la procréation assistée avec donneur, aucun des partis impliqués ne doit être mis en contact : « contrairement à l’adoption, la loi ne prévoit pas la possibilité, même

lointaine ou hypothétique, de retrouvailles possibles. Des renseignements médicaux peuvent être transmis confidentiellement en cas de préjudice grave, mais aux seules autorités médicales. Le secret des origines demeure pour l’enfant hermétique » (Philips Nootens et Lavallée 2003 : 352).

Le fait également que cette confidentialité, dans le cas de la procréation médicalement assistée, soit imposée par le corps médical est hautement critiquable; cette attitude, à bien des égards, satisfait l’intérêt des parents et celui des milieux médicaux (elle permet aux cliniques de gérer la circulation des gamètes sans devoir porter une attention particulière aux conséquences psychiques de celle-ci), mais interroge très peu l’intérêt de l’enfant à naître. Mis de l’avant dans le but de privilégier une filiation sociale (au lieu d’une filiation strictement génétique), le principe de la confidentialité a tout de même pour effet d’empêcher l’enfant de connaître ses origines biologiques. En adoption, les législations sont aujourd’hui beaucoup plus souples et le contrôle de l’information sur les circonstances relatives à la naissance des adoptés fait aussi l’objet de débats et de revendications au sein de la société et des groupes d’acteurs impliqués, ce qui n’est (encore) pas le cas dans les procréations médicales avec donneur. Une situation sujette à changement si les enfants issus de ces techniques, une fois adultes, revendiquent le droit d’accès à leurs origines et réclament la levée de l’anonymat79.

Delaisi de Parseval (1994, 2008-a) est probablement l’auteur dont les revendications sont les plus connues : elle propose de sortir de la logique du secret et d’instaurer une démarche de vérité qui permette de concilier les intérêts de tous et qui ne brime pas les droits d’un des partis. Concrètement, l’auteur souhaite que la filiation des enfants nés de PMA avec donneur cesse d’être associée à la filiation charnelle et qu’elle soit reconnue pour ce qu’elle est, une filiation volontaire qui implique des procédures d’adoption (adoption de l’enfant du conjoint) et une

79 Quelques pays occidentaux, dont la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Australie, la Suède et les Pays-Bas ont procédé à une levée (partielle ou complète) de l’anonymat des donneurs de gamètes. Cette levée du principe de confidentialité s’accompagne, pour chaque pays, d’une législation qui dicte le niveau d’ouverture accepté. (voir les articles de Furkel 1996; Joyal 2006; Delaisi de Parseval 2002).

reconnaissance juridique du lien filiatif80. L’auteur soutient également que l’opposition entre le droit à connaître ses origines et le droit à l’anonymat et à la confidentialité est un faux dilemme qui peut être dépassé par une démarche de transparence qui consisterait à établir un système dans lequel la confidentialité, avec l’accord de l’enfant et du donneur ou de la donneuse, pourrait être levée. Ce principe d’ouverture, basé sur un accord réciproque, n’amputerait pas les parents adoptifs de leur pleine reconnaissance juridique et permettrait aux enfants qui le souhaitent d’avoir accès à la connaissance de leurs origines, ce qui constitue, selon Ensellem, une conciliation acceptable de deux logiques contradictoires : « quand bien même une personne

adoptée serait amenée à rencontrer ses parents de naissance, la loi n’institue aucun lien juridique entre eux […] le rapport de l’enfant à ses parents de naissance tend à être légalisé, mais il demeure désinstitutionnalisé en raison de l’absence de lien juridique » (Ensellem 2007 :

116). Les désaccords relatifs à la question du droit à la connaissance de ses origines, tant en PMA qu’en adoption, incarnent essentiellement un conflit d’intérêts entre différents acteurs poursuivant des objectifs divergents.

S’il est vrai que la médecine reproductive et les NTR amputent la reproduction humaine de son caractère symbolique, il semble tout aussi vrai d’affirmer que ce sont encore essentiellement des ‘‘persistances de type symbolique’’ (soit l’idée que seule la fusion des corps d’un homme et d’une femme peut engendrer et reproduire l’espèce humaine) qui expliquent la résistance de la société à reconnaître le donneur ou la donneuse de gamètes comme membre participatif à la filiation et à l’identité de l’enfant à naître. Dans un contexte social qui insiste sur l’importance et la valeur du principe électif dans les relations familiales, il peut sembler contradictoire de constater l’énergie déployée pour sortir de l’anonymat les donneurs de gamètes, considérant que ces derniers n’ont, fondamentalement, aucune envie de devenir parent. Mais selon Séraphin (2007), la recherche de ses origines « ne serait pas tant une recherche de l’auteur du matériel

génétique qui nous a donné naissance que la recherche d’une histoire personnelle et familiale qui a conduit à sa naissance » (Séraphin 2007 : 12). Une logique qui serait d’ailleurs

sensiblement la même chez les adoptés qui ont retrouvé, après parfois plusieurs années de recherches, leur parenté biologique: selon Carsten (2000-b) qui a étudié le phénomène des

80 L’auteur propose également que le terme de ‘‘co-géniteur’’ soit attribué au donneur de sperme dans le cas d’une insémination artificielle avec donneur (IAD) (Delaisi de Parseval 2001-a).

retrouvailles, l’idée selon laquelle les motivations des adoptés qui cherchent à rencontrer leurs parenté d’origine révéleraient des visions fortement ‘‘génétisées’’ de la parenté et de la personne s’avère fortement biaisée81. Les adoptés admettent que ces retrouvailles leur ont permis d’établir une continuité entre leur passé, leur présent et leur futur, mais la plupart d’entre eux insistent sur l’importance du quotidien (efforts et soins consacrés sur une base régulière) et du partage d’événements communs dans l’établissement des liens de parenté (Carsten 2000-b).

La pression à l’ouverture qui traverse actuellement l’adoption dans les sociétés occidentales risque de gagner éventuellement le domaine de la procréation médicalement assistée. Sur ce point, l’avenir demeure incertain et il faudra sans doute attendre que les enfants de la médecine reproductive, devenus adultes, se prononcent eux-mêmes sur cette question. Entre temps, les changements rapides dans le champ de la médecine reproductive ainsi que l’émergence d’une logique ‘‘d’options à la procréation’’ affectent nécessairement notre manière de penser, non seulement la parenté et nos relations au genre humain, mais aussi nos représentations de l’engendrement et de la naissance.

81 Dans une récente étude menée auprès d’enfants issus d’IAD, Melh (2008) fait un constat similaire : la plupart des enfants nés d’un don de gamète (aujourd’hui devenus adultes), tout en étant bien conscients que les gènes ne déterminent pas à eux seuls la personne, déplorent l’anonymat qui accompagne la procédure de don dans la mesure où il prive les enfants nés d’une IAD ou d’un don d’ovocyte d’une partie de leur histoire.

Conclusion. La PMA et l’adoption : comparer, distinguer, relier

Les relations mises en scène dans la parenté occidentale ont appelé à une série de redéfinitions. L’adoption et, plus récemment, la procréation médicalement assistée ont participé aux remises en question et aux interrogations des sociétés contemporaines sur le contenu des relations de parenté et sur la forme changeante de la filiation. D’un point de vue anthropologique, tant les nouvelles technologies reproductives (NTR) que l’adoption s’inscrivent dans le champ des études sur la parenté; d’une part, elles sous-tendent un ensemble d’interrogations qui touchent la reproduction humaine, la filiation et le rapport à l’enfant; d’autre part, elles exigent de dépasser une dichotomie simpliste qui consisterait à ramener sans nuance la procréation médicalement assistée dans le champ de la nature et l’adoption dans celui de la culture.

Comparer l’adoption et la procréation médicalement assistée relève, d’un premier abord, d’une entreprise délicate de mise en relation de phénomènes indépendants en raison de leur articulation respective à deux logiques distinctes. Une comparaison qui, selon Jordana (2000), pose aussi le risque de réduire les origines de l’enfant à une réalité biologique, laquelle, faute d’éléments historiques suffisants, se trouverait principalement liée à une relation fantasmatique aux origines. Pourtant, à plusieurs niveaux, procréation médicalement assistée et adoption se recoupent dans le vaste champ de la famille et du désir d’enfant : « Issus de pratiques divergentes, mais destinés à

soulager les mêmes souffrances, les domaines de l’adoption et de la PMA n’ont été ni confrontés ni harmonisés. Réciproquement, leurs spécificités n’ont pas toujours été bien perçues, et les possibles influences du système d’adoption sur la pratique des PMA n’ont pas été mises en évidence » (Delaisi de Parseval et Verdier 1994 : 95). Alors que la PMA, par ses procédés et

surtout par la législation qui l’accompagne, a pour objectif d’imiter biologiquement la nature, l’adoption, quant à elle, imite fictivement la nature, mais rend évident le fait que les parents sociaux ne sont pas les géniteurs. Comme Howell le souligne en abordant le paradoxe intrinsèque au passage entre la PMA et l’adoption; « les parents créent des frontières cognitives entre des

contextes et manient avec aisance ce qui apparaît, aux yeux des anthropologues, des positions contradictoires » (Howell 2003 : 469).

Chose certaine, les deux types de démarches interrogent la place de l’enfant dans la société humaine et s’articulent dans un contexte culturel et social marqué d’une part, par un ensemble de

mutations relatives aux droits et aux représentations de l’enfant et d’autre part, par une multiplication des choix pour ceux qui désirent un enfant : « faire un enfant d’alcôve, faire un

enfant d’éprouvette ou faire un enfant du tribunal » (Lavallée 2005-b : 211). L’apparition des

NTR et leur popularité grandissante82 ont encouragé, au sein de la population, l’idée d’un droit à l’enfant. L’adoption et la PMA s’inscrivent aujourd’hui dans un contexte où le seul fait de désirer un enfant suffit à justifier son intérêt à voir le jour : « Cette idée très actuelle de projet parental et

d’engagement paternel et/ou maternel qui s’y rattache est largement répandue, pas seulement dans la PMA. Elle est aussi très présente dans l’adoption, à cette différence près que, dans ce dernier cas, on ne peut créer un enfant pour satisfaire un projet parental » (Collard et Delaisi de

Parseval 2007 : 40). Cette même tendance à inscrire la parenté dans le registre de la volonté et de l’affectivité est étroitement liée à la force du mouvement des droits fondamentaux, lesquels tendent à transformer la liberté de procréer en droit à l’enfant : « Dans cet esprit, l’adoption est

parfois présentée comme un moyen d’assurer le respect du droit fondamental de fonder une famille ou comme une composante du droit au respect de la vie privée » (Lavallée 2005-b : 212).

Métamorphosé en droit à l’enfant dans les sociétés contemporaines, le désir d’enfant contribue à la construction d’une conception objectale de l’enfant, c’est-à-dire une conception de l’enfant centrée sur le bonheur et l’épanouissement personnel des parents. Se pointe alors le danger bien réel de faire de l’enfant une pure valeur d’usage destinée à satisfaire l’équilibre identitaire et social83 de ses parents, un résultat tout à fait contraire aux objectifs mis de l’avant par les instances de protection de l’enfance et par la Convention internationale des droits de l’enfant. Entre le désir d’enfant et le ‘‘droit à l’enfant’’ que mettent en scène la PMA et l’adoption, il importe, selon Cadoré (1996), de poursuivre une réflexion éthique; d’abord de vérifier que les initiatives prises par les sujets (individus ou groupes sociaux) concernant la filiation d’un autre, n’enferment pas ce dernier dans les limites de leur seul projet; ensuite de se demander comment éviter que l’enfant ne devienne l’’objet’’ d’un contrat; et finalement de savoir si le déploiement de ces pratiques permettra ou non de donner véritablement priorité à l’enfant, par rapport au projet parental ou aux exigences de la logique médicale (Cadoré 1996)?

82 Comme le spécifie ironiquement Delaisi de Parseval et Verdier (1994) pour expliquer la popularité grandissante des nouvelles techniques reproductives, ‘‘la circulation des enfants est maintenant remplacée par la circulation des substances’’.

83 ‘‘Équilibre social’’ dans la mesure où l’enfant et la construction d’une famille continuent indirectement de faire pression sur les individus et les couples : «Dans une société où l’enfant n’a pas de prix, la détresse de ceux restés

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