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Biologie ‘‘naturalisée’’ ou parenté ‘‘biologisée’’: une dichotomie ébranlée

2.3 La procréation assistée: penser autrement la reproduction

2.3.2 Biologie ‘‘naturalisée’’ ou parenté ‘‘biologisée’’: une dichotomie ébranlée

Les technologies reproductives qui ont émergé pour pallier à l’infertilité rendent plus complexes non seulement les représentations liées à la parenté, mais aussi les relations entre nature et culture. Plus spécifiquement, elles rendent visible la manière dont les deux perspectives se trouvent liées l’une à l’autre : « L’aide médicale à la procréation ne nous plonge pas dans le

règne contre-nature de l’artifice, d’une radicalité tout esthétique. Sa double logique de biologisation et d’artificialisation nous invite en revanche à repenser l’opposition entre la nature et l’artifice qui sous-tend nos représentations de la parenté et de la reproduction » (Fassin 2002 :

118). Plusieurs auteurs qui ont travaillé sur la question de la reproduction médicalement assistée (Carsten 2004; Delaisi de Parseval et Collard 2007; Fassin 2002; Hayden 1995; Levine 2003; Ragoné 1994; 1996; Thompson 2001; Strathern 1992, 2005; Hargreaves 2006; Bestard et Orobitg 2009) n’abordent pas la biologie et la culture en opposition l’une de l’autre, mais cherchent plutôt à démontrer comment, dans le contexte des PMA, les connexions entre le biologique et le social sont indéterminées et variables et comment elles peuvent être manipulées ou redéfinies en fonction d’intérêts individuels ou même de valeurs traditionnelles de la parenté. À ce titre, Carsten (2004) souligne l’importance pour les anthropologues de dépasser le préjugé selon lequel les acteurs impliqués dans la procréation assistée ont invariablement une compréhension essentialiste et génétique de la parenté; selon elle, la réalité s’apparente davantage à une ‘‘chorégraphie complexe de facteurs biologiques et sociaux’’ (Carsten 2004 : 179).

Certes, la valorisation de l’apparentement génétique et du lien de sang est présente dans le recours à l’assistance médicale à la procréation et participe à la biologisation de la reproduction et de la filiation. En ce sens, les technologies reproductives illustrent la considération grandissante accordée aux biotechnologies dans la configuration des identités individuelles, familiales et collectives (Birenbaum-Carmeli et Inhorn 2008 : 177). D’un autre côté, les NTR remettent en

question les présupposés fondamentaux liés à la maternité et offrent la possibilité d’envisager la reproduction davantage comme une construction culturelle que comme une donnée naturelle : « Le paradoxe de la PMA est qu’elle est animée par des idéologies contradictoires; tout en

renforçant le lien symbolique, elle répond à des demandes motivées par une idéologie biologique » (Ghasarian 1996 : 240). Dans le cas de la gestation pour autrui par exemple, les

acteurs impliqués se trouvent dans une position où ils doivent modifier leurs définitions de la famille, de la parenté et de l’apparentement biologique pour atténuer les tensions et ambiguïtés soulevées par le recours à la maternité de substitution (Ragoné 1994; 1996). Par exemple, la relation du père avec la mère porteuse (aussi mère génétique de l’enfant à naître dans certains cas), même si elle strictement non coïtale, est altérée par le fait qu’elle produit ce qui, jusqu’à tout récemment, était le résultat d’une union sexuelle, soit un enfant. Par conséquent, cette relation est symboliquement associée à l’adultère: « Une des stratégies employée par les couples

et les mères porteuses est de minimiser le rôle des maris […] la mère porteuse et la mère adoptive travaillent à l’unisson et renforcent l’idée que la maternité sociale prévaut à la maternité biologique dans la définition de ‘‘mère’’ » (Ragoné 1996 : 359-361). Une stratégie

somme toute assez contradictoire considérant que le recours à la mère porteuse est motivé par le désir d’avoir un enfant lié biologiquement à au moins l’un des deux parents. Paradoxalement, dans les cas où l’embryon implanté dans l’utérus de la mère de substitution est issu de la fusion des gamètes des deux parents d’intention, l’accent est plutôt mis sur le bagage génétique de l’enfant à naître, donc sur l’apparentement biologique et génétique. Comme le remarquent Delaisi de Parseval et Collard (2007), les débats relatifs à la mère porteuse (de substitution) sont toujours plus houleux que ceux liés à la donneuse d’ovocytes : un constat passablement surprenant considérant les représentations euro-américaines selon lesquelles la parenté est fondée sur une contribution égale du matériel génétique du père et de la mère dans la conception d’un enfant : «

Au bout du compte, la question du statut de la donneuse d’ovocytes s’avère, paradoxalement, plus complexe que celle, pourtant constamment mise au premier plan et objet de débats polémiques, du statut de la mère gestatrice » (2007 : 50).

Les NTR s’inscrivent finalement dans un cadre où sont revendiquées tantôt la prééminence de la génétique et tantôt la force du lien social. Comment expliquer, sinon que par un enchevêtrement paradoxal, que l’enfant né des nouvelles technologies avec donneur soit, dans plusieurs cas,

reconnu légalement et socialement comme le fruit de l’acte sexuel de ses parents, et ce sans qu’aucune information légale ne puisse révéler que l’acte en question est tout à fait fictif? Par exemple, un couple qui a eu recours au don de sperme pour pallier à l’infertilité du père peut maintenir dans le secret les circonstances de la naissance de l’enfant. Ainsi, malgré l’accent mis sur le caractère social du lien d’apparentement (entre le père d’intention à l’enfant), la loi en elle- même permet aux parents de ne pas divulguer à l’enfant les circonstances de sa naissance et de relier artificiellement celles-ci à la filiation charnelle. Comment expliquer, sinon que par l’analyse de la frontière mouvante entre le biologique et le social, que les couples qui ont recours aux NTR se voient décrire la technologie tantôt comme un simple moyen de donner un coup de pouce à la nature et tantôt comme un moyen de dénaturaliser et d’ ‘‘assister’’ la biologie reproductive39? Les couples qui ont recours à la fécondation in vitro par exemple décrivent souvent celle-ci comme un processus naturel (la FIV ne requiert pas la contribution d’un tierce partie et procède donc comme la nature le ferait), mais entretiennent aussi envers cette technique une sorte d’émerveillement qui participe à la construction de son caractère ‘‘extra-ordinaire’’ (Franklin 1997).

En ce sens, les cliniques d’aide à la procréation constituent des lieux significatifs où s’articulent définitions biologiques et définitions sociales de l’apparentement: « les cliniques sont des sites où

certaines bases de la différenciation de parenté sont priorisées alors que d’autres sont minimisées, le but ultime étant que les parents qui y ont recours et qui payent pour des traitements d’infertilité puissent accéder, au même titre que les autres parents, à une descendance légitime » (Thompson 2001 : 175). Les mises en scène qui se jouent dans ces

cliniques illustrent la flexibilité des pratiques scientifiques et biologiques. À l’intérieur du champ des nouvelles techniques reproductives, la biologie devient un symbole continuellement reconfiguré. Dans une étude (Hayden 1995) portant sur les mères lesbiennes ayant eu recours au don de sperme, l’auteur montre comment celles-ci emploient les notions de biologie, dans le contexte de l’insémination artificielle, pour articuler leur propre sens de la parenté : « Dans le

39 Selon Daudelin, la naturalisation et l’artificialisation de la procréation sont les deux processus symboliques qui caractérisent les NTR : La naturalisation de la procréation constitue une tentative de réduction de la distance et correspond à ce qu’il faut conserver de la procréation naturelle sous peine de perdre le sens de ce qui est fait avec la technique. Dans ce processus, la nature consiste en un ensemble d’éléments apparentés à la procréation ‘‘normale’’.

L’artificialisation de la procréation quant à elle consiste à maintenir la distance entre la procréation naturelle et les

processus de construction de leurs familles, les mères lesbiennes affirment l’importance du sang (substance biogénétique et apparentement biologique) comme symbole d’unité et défient dans un même temps la supposition culturelle américaine selon laquelle la biologie est la base naturelle sur laquelle est construite la parenté » (Hayden 1995 : 389). Ainsi, en ayant recours à

l’insémination artificielle (au lieu de l’adoption), les femmes lesbiennes réifient l’importance de la continuité génétique dans la construction des relations de parenté, mais dénient toute paternité au propriétaire de la substance génétique impliquée. Tout en mettant l’accent sur l’importance du lien social dans les relations entre apparentés, les couples lesbiens qui, par exemple, souhaitent utiliser le même échantillon de sperme pour une deuxième grossesse (dans le but d’établir une certaine stabilité génétique dans la famille), adoptent une position qui contredit en quelque sorte la valeur initialement accordée aux liens sociaux. Les NTR, en rendant visibles et manipulables les faits de la procréation, conduisent ceux qui en font usage « à expérimenter consciemment les

processus de la nature et la possibilité de la manipuler » (Bestard et Orobitg 2009 : 278). Dans le

cas des donneuses d’ovocytes en contexte espagnol, ces auteurs montrent comment celles-ci se trouvent devant l’obligation « de séparer la procréation biologique de la reproduction sociale » (un travail dit de ‘‘désubstantialisation’’) et comment les receveuses, de leur côté, doivent « unir

la procréation biologique à leur reproduction sociale » (un travail dit de ‘‘resubstantialisation’’)

(2009 : 279). Selon les auteurs, c’est la juxtaposition du langage altruiste (don libre) et la compensation économique (les donneuses reçoivent une compensation financière de près de 1000$) qui permettent un déplacement des relations de parenté, lesquelles sont recentrées sur la receveuse et sur les enfants résultant du don.

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