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2.3 La procréation assistée: penser autrement la reproduction

2.3.3 La reproduction médicalisée : infertilité, corps et science

Les plus radicaux prévoient la disparition de la grossesse intra-utérine et soutiennent que l’utérus artificiel apporterait un progrès dans la ‘‘dénaturalisation de la reproduction’’ (Atlan 2005). Selon Aumercier, le malheur de l’ectogenèse ne serait « pas tant d’offrir une nouvelle façon

d’engendrer, que de transformer la grossesse ordinaire en une expérience animale, concurrencée par un dispositif qui souligne en contraste la souillure de la femelle » (2007 : 94). Quoique

encore de l’ordre de la science-fiction, l’idée d’un utérus artificiel extérieur au corps de la femme s’inscrit néanmoins dans une logique bien réelle, celle de la médicalisation de la reproduction : «

La logique technicienne pénétrant la procréation résulte d’un processus de rationalisation de la société, processus englobant et affectant la presque totalité des dimensions de la vie humaine, dans les sociétés occidentales en particulier » (Daudelin 2002: 360).

L’avènement de la FIV (fécondation in vitro) marque un repère incontournable dans le développement de la médecine reproductive: la grossesse de Lesley Brown et la naissance de sa fille Louise en 1978 constituaient la preuve que les cliniciens pouvaient dorénavant pallier à certains problèmes reproductifs féminins et ainsi donner la chance aux femmes dites infertiles de procréer40. Pourtant, les taux de réussite de la FIV sont assez décevants : même si environ 85%

des patients arrivent au résultat de production d’œufs fertilisés in vitro, seulement 25% à 27% de ces derniers vont aboutir à une grossesse, et 21% à une grossesse viable (Baker 2000 : 79). Aborder la question de la procréation médicalement assistée dans l’espace de la parenté nous amène donc inévitablement à snous questionner sur le rapport que la reproduction et la maternité entretiennent avec la science. Cette dernière proclame son autorité sur les questions relatives à la grossesse et à la reproduction : « C’est un fait : la médecine et la science ne cessent de nous

asséner leur vérité biologique sur les sujets que nous sommes : elles nous disent, tests génétiques à l’appui, qui est le père, mais aussi qui sont le criminel et le coupable. Elles nous délivrent dans l’œuf, les mystères de notre devenir génétique » (Gavarini 2002-a : 94).

Malgré leur caractère prétendument ‘‘naturel’’, plusieurs des technologies reproductives, particulièrement celles qui impliquent une tierce personne, continuent de soulever un certain scepticisme, voire des résistances assez rigides au sein de plusieurs autres sociétés41 : « L’enjeu

pour chaque culture est de choisir dans les biotechniques de pointe, ce qui est congruent avec son système de croyances sur la nature, sur le sens de la vie humaine et sur les relations de parenté » Ghasarian 1995 : 92). Plusieurs anthropologues, depuis quelques années, étudient

40 En ce qui concerne la technique de l’IAD (insémination artificielle avec donneur), celle-ci a été mise au point par le biologiste Sherman en 1953; pendant longtemps, cette technique utilisée couramment dans le domaine de la reproduction animale, est demeurée très peu populaire chez l’espèce humaine, principalement en raison de son association symbolique à l’adultère (Gavarini 2001).

41 Dans un livre intitulé Infertility Around the Globe: New Thinking on Childlessness, Gender and Reproductive

Technologies (Balen et Inhorn 2002), divers auteurs abordent l’infertilité dans une perspective globale et

s’interrogent sur l’impact de l’exportation des NTR (conçues en Occident et transférées vers de nouveaux espaces culturels) et sur les dilemmes, les contradictions et les débats qu’elles peuvent susciter dans ces nouvelles localités.

l’impact des nouvelles technologies reproductives dans divers contextes culturels42. Toutes ces études fournissent des illustrations fascinantes du pouvoir de la culture dans l’interprétation et dans l’utilisation des NTR ainsi que leur enchevêtrement aux différents concepts de parenté.

Dans un ouvrage portant sur l’utilisation des NTR en Israël, S. M. Kahn (2000), montre comment celles-ci soulèvent de profondes questions sur les thèmes des origines, de la transmission du caractère religieux et de la culture traditionnelle. Puisque chez les Juifs, l’identité s’établit par le biais de la mère, le don d’ovule soulève l’inconnu généalogique alors que le don de sperme n’est pas considéré problématique. L’auteur mentionne que dans le milieu des années 1990, il y avait déjà en Israël (un pays considéré pro-nataliste), plus de cliniques de fertilité par personne que dans n’importe quel autre pays. Un autre exemple pertinent est celui rapporté par Iqbal et Simpson (2006) concernant la communauté pakistanaise musulmane de la Grande-Bretagne : dans cet article, les auteurs exposent les difficultés et les tensions auxquelles font face les couples infertiles de la communauté et expliquent comment les NTR occupent un espace controversé. D’un côté, ces techniques vont à l’encontre de certains principes musulmans et défient sérieusement certaines valeurs morales de la communauté, mais à d’autres égards, elles s’inscrivent en accord avec la valorisation des liens de sang et la valorisation du lien génétique qui prévalent en matière de reproduction dans la communauté (Iqbal et Simpson 2006). En ce sens, les découvertes en médecine reproductive ne sont jamais totalement déconnectées du contexte social ambiant43; elles s‘inscrivent plutôt dans des croyances et des représentations préalablement existantes, d’où l’importance pour les anthropologues, selon Balen et Inhorn (2002), de « considérer la reproduction humaine comme un phénomène biologique socialement

constitué et culturellement variable à travers le temps et l’espace ».

Certains auteurs reprochent à la médecine reproductive son caractère envahissant et sa tendance à rationaliser et à individualiser la maternité et la naissance. Dans un article portant sur l’expérience des femmes qui ont eu recours à l’amniocentèse, R. Rapp (1991) tente de

42 En contexte chinois (Handwerker 2002), vietnamien (Pashigian 2008), sri lankais (Simpson 2004), égyptien (Inhorn 2003); libanais (Clarke 2007); espagnol (Orobitg et Salazar 2005); lituanien (Cepaitiene 2009); italien (Bonaccorso 2004); hongrois (Sandor 2009); norvégien (Melhuus 2009).

43 À ce sujet, voir également le livre édité par Tremayne (2001) et intitulé : ‘‘Managing Reproductive Life. Cross-

démédicaliser les discours relatifs aux NTR et de rendre disponibles à la discussion les implications qui lui sont reliées. L’auteur souhaite montrer comment les choix en matière de reproduction, loin d’être strictement individuels ou psychologiques, s’inscrivent plutôt dans un registre de significations locales relatives à la grossesse, à la maternité et à l’identité de genre (Rapp 1991). Dans le cas de la médecine reproductive, il est difficile de faire abstraction de la pression mise sur les corps, particulièrement sur les corps des femmes44. Au même moment où la femme jouit d’une plus grande liberté en matière de reproduction, c’est paradoxalement à elle qu’incombe l’entière responsabilité des traitements d’infertilité ou des interventions sur le fœtus. Une responsabilité qui implique non seulement une invasion du corps physique, mais aussi des procédures parfois risquées : « Trouver pourquoi un couple n’arrive pas à se reproduire implique

la plupart du temps d’assimiler le corps de la femme à une topographie familière et ensuite de localiser les déviations physiques ou fonctionnelles pertinentes et hors normes » (Cussins 1997 :

79). Le corps de la femme se trouve transformé en objet d’étude; le centre d’attention des cliniciens n’est pas la personne dans son ensemble, mais plutôt l’organe jugé dysfonctionnel (Greil 2002). Donc peu importe lequel des deux membres du couple a effectivement un problème, ultimement, c’est tout de même la femme qui échoue à devenir enceinte et c’est son corps qui est au cœur des interventions. Par contre, ces mêmes interventions sont associées à un ‘‘couple en traitement’’ et à un ‘fœtus en devenir’’. En ce sens, l’investissement médical, quoiqu’il implique directement les organes reproducteurs féminins, est entrevu comme la recherche d’une solution à l’infertilité du couple et ensuite comme un effort de production d’une grossesse. Selon (Van der Ploeg 2001) qui s’est intéressée à la transformation de l’individualité féminine en contexte de PMA, certaines techniques reproductives comme la fécondation in vitro et la chirurgie fœtale font du couple et du fœtus des entités traitables; les pratiques discursives relatives aux technologies et aux corps rendent alors acceptable, voire naturel, le fait de traiter les problèmes de l’enfant ou de l’homme au moyen d’interventions sur le corps de la femme (Van der Ploeg 2001). Dans un même mouvement d’individualisation, l’unité organique entre le fœtus et la mère ne peut dorénavant plus être prise pour acquise et le fœtus tend progressivement à être considéré comme un ‘‘nouveau type d’entité individualisé’’ (Franklin 1999). L’existence même de cet embryon ou de cet ‘‘enfant à naître’’ demeure abstraite, confinée dans la sphère de la

44 Une situation qui amène Ettorre (2005) à insister sur l’importance pour les chercheurs de s’attarder à l’aspect ‘‘genré’’ des interventions dans le champ reproductif et de dépasser la vision mécanique du corps, une vision privilégiée dans les génétiques reproductives, mais qui offre une vue limitée du corps humain.

conception, donc davantage liée à un potentiel de vie qu’à une existence réelle ; une situation qui selon Becker (2000) pose le danger bien réel d’objectivation de l’enfant, d’autant plus que des coûts financiers importants se trouvent liés au processus de reproduction en contexte de PMA.

Même si les NTR sont souvent célébrées comme une extension des choix reproductifs, le manque d’alternative45 et la culture statistique du milieu exercent de la pression sur les femmes pour qu’elles tentent un nombre toujours plus élevé de cycles de traitements (Cussin 1997). Dans son dernier ouvrage sur l’anthropologie du corps, Le Breton aborde cette question de l’acharnement médical et en arrive à des conclusions semblables: « L’expérience montre que le possible est un

critère fondateur de la pratique scientifique. Ce qui est possible doit être réalisé, ne serait-ce qu’à cause de la lutte acharnée que se livrent les laboratoires de recherche ou les équipes médicales en quête de ‘‘premières’’» (2005 : 243). Chose certaine, les NTR impliquent de

nouvelles dépendances pour les femmes et les couple concernés, c’est-à-dire des coûts financiers, mais aussi des coûts physiques et psychologiques souvent sous-estimés46. Dans une étude menée auprès de couples dont les différentes tentatives en PMA ont échoué, Daniluk (2001) explore comment ces mêmes couples vivent avec cette expérience et lui donnent sens rétrospectivement. L’auteur affirme que la poursuite de solutions médicales est longue et stressante pour le couple, d’abord pour celui des deux qui est identifié comme la source du problème d’infertilité et ensuite pour la femme qui subit les traitements. Mais au-delà des pressions vécues sur le plan individuel, Becker (2000), une anthropologue qui a longuement étudié l’infertilité et la PMA en privilégiant une approche ethnographique, nous rappelle que la ‘‘technologie est une expression de la culture’’ et que si les NTR et les technologies en général peuvent sembler dominer la vie des gens concernés, c’est d’abord parce que la société en elle-même a infusé les NTR de ce pouvoir. Les avancées technologiques dérivent de priorités culturelles; dans le cas des technologies

45 Les NTR peuvent elles-mêmes être considérées comme productrices d’un désir d’enfant plus prononcé encore qu’il ne l’était en début de traitement. Au contraire de l’image (largement projetée dans les médias) de femmes désespérées qui entrevoient la FIV comme l’ultime chance d’accéder à la maternité, l’étude de Franklin avec des couples qui ont suivi des traitements en procréation médicalement assistée (Franklin 1997) montre que ces femmes, avant même de débuter les traitements, sont souvent déjà résignées à l’idée de ne pas avoir d’enfant et que ce sont justement cette capacité et cette résistance à vivre avec l’idée de demeurer sans enfant qui les amènent au recours à la FIV (elles se sentent protégées d’un surinvestissement émotionnel). Ironiquement, c’est souvent l’expérience même des NTR qui produit ce désespoir lié à l’absence d’enfants.

46 Par contre, d’autres auteurs dont Greil (2002), Parry (2005) et Becker (2000) insistent sur l’importance de se distancier de l’image de ‘‘la femme infertile passive’’ et de considérer les femmes comme des sujets capables d’agencéité et d’auto-détermination.

reproductives, c’est sans doute la valeur accordée à l’idéologie du progrès et à la liberté de choix ainsi que l’essor du droit à se reproduire et à ‘‘faire famille’’ qui expliquent non seulement leur croissance rapide, mais aussi leur acceptation généralisée.

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