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4.1 Le désir d’enfant : « un enfant si je veux, quand je veux! »

4.1.1 L’enfant comme expression naturelle du couple

Pour l’ensemble des participants, avoir des enfants « allait de soi » et s’inscrivait dans l’ordre normal des choses. Pour plusieurs, les enfants sont entrevus comme intrinsèques à l’existence même du couple et symbolisent l’unité de celui-ci. Le processus de ‘‘faire famille’’ est donc souvent perçu comme une étape naturelle dans le parcours conjugal :

F: C’est naturel un moment donné pour le couple d’arriver à l’étape de vouloir des enfants. Tu te dis: ‘‘Ça fait quand même plusieurs années que nous sommes ensemble, est-ce que nous passons à autre chose?’’ Je ne sais pas, c’est complémentaire à la vie, un moment donné.

H: Moi, je pense que ça fait partie d’un tout. Moi, c’est vraiment l’élément famille. Ça me semblait tellement évident que j’ai eu de la difficulté à l’expliquer (Dominic et France).

Il me semble aussi qu’on avait fait beaucoup de choses ensemble, on a été longtemps ensemble sans enfant. On a été ensemble 14 ans sans enfant, fait qu’on en a fait des affaires, des voyages, des ci, des ça. On était comme rendus là dans notre vie, on avait comme besoin de, de donner, de… c’est ça, comme un besoin de vie (Sylvianne).

Ainsi, lorsque questionnés sur l’émergence de leur désir d’enfant, les participants ont tendance, dans un premier temps, à situer leur relation de couple dans le temps, c’est-à-dire à calculer le nombre d’années passées en couple et ensuite à situer leur désir d’enfant à l’intérieur de ce cadre temporel, ce qui témoigne non seulement de l’importance accordée à l’enfant comme ‘‘incarnation de l’amour de ses auteurs’’ (Cadolle 2007), mais aussi de l’existence d’une certaine planification entourant l’arrivée de celui-ci dans le couple :

On s’est rencontré en 1999 et dès qu’on s’est rencontré, on a parlé des enfants : ‘‘En veux-tu toi?’’. Quand t’es rendu à 25 ans, tu sais déjà si t’as envie d’avoir des enfants, fait qu’on avait discuté comme ça. Après 11 mois, ça faisait seulement 11 mois qu’on était ensemble quand j’ai arrêté la pilule. Moi, je savais que c’était le bon (gars) alors, on a arrêté la pilule à ce moment-là (Laurence).

Nous sommes en couple depuis l’âge de 18 ans alors ça va bientôt faire 26 ans qu’on se fréquente. Nous sommes mariés depuis 1986. Ça va faire 23 ans que nous sommes mariés. Moi mon topo à moi, quand j’étais jeune fille, c’était … ben on s’est mariés à 21 ans … j’avais mon 1er enfant à 24 ans, le 2ième à 26 ans, le 3ième à 28 ans et mon autre à 30 ans!!! C’était mon topo! (Danielle).

Les raisons évoquées pour justifier le désir d’avoir un enfant sont multiples. Par contre, la plupart de ces raisons s’inscrivent dans un schème individualiste d’épanouissement personnel, c’est-à- dire que les motivations et les raisons sous-jacentes à la décision d’avoir un enfant relèvent davantage de la volonté individuelle et du désir personnel ou conjugal que, par exemple, d’une obligation culturelle envers les générations antérieures ou que d’un devoir social impliquant les ancêtres ou les autres membres de la famille élargie. Par conséquent, même lorsqu’elles sont abordées dans une logique de transmission, la famille et la parentalité sont entrevues comme une source potentielle de réalisation personnelle. Certains réfèrent directement à leur passé familial et à leurs expériences familiales antérieures ou actuelles pour expliquer leur désir d’enfant : « au

niveau familial, moi c’était comme une valeur, mais pas une valeur, mais en tous cas, c’est quelque chose que je voulais faire, je ne me voyais pas rester tout seul, vieux garçon ou même en couple là. J’ai beaucoup de frères et sœurs et ils ont tous des familles. Je trouve ça le fun comme dynamique et j’aurais eu l’impression de passer à côté de quelque chose. Donc ça c’est quelque chose que je voulais, des enfants » (Serge).

Dans une étude où elle s’est intéressée au processus de transmission au sein de la sphère familiale et plus précisément à l’appropriation du passé familial par les frères et les sœurs appartenant à une même famille, Favart (2006) souligne que la transmission familiale n’est jamais reproduction à l’identique : elle est plutôt un processus dynamique qui implique une certaine marge de choix pour les individus concernés. Ainsi, dans certains cas, le désir d’enfant est aussi lié à une volonté de produire un modèle familial différent de celui connu à l’enfance: c’est le cas de Sylvianne et Jasmin, deux enfants uniques à qui la vie de famille a grandement manqué et qui souhaitaient avoir plus d’un enfant. Les références au passé familial sont donc de nature diverse; elles s’apparentent parfois à un désir de reproduire du semblable, parfois plutôt à la volonté de produire du différent. De façon plus globale, ces références se rapportent aussi à la notion de continuité : « Un moment donné, c’est de trouver un sens. En plus, elle (en parlant de sa conjointe), elle avait deux sœurs et ses deux sœurs sont décédées, alors elle devenait fille unique.

Quand les parents décèdent, il reste qui? Un moment donné, si tu as des enfants, tu te dis: ‘‘ben coup donc! On va vieillir et ils vont venir nous visiter!’’ (rires) » (Kevin). L’enfant symbolise la

continuité de soi, la continuité de la vie, voire même, pour certains, la continuité de la famille au sens large. Il est aussi celui à qui on transmet des valeurs, une éducation, un savoir: en ce sens, le concept de transmission est pluriel et recoupe à certains égards celui du don:

Q: Qu’est-ce qui faisait que tu te disais: ‘‘moi, c’est sûr que je veux être mère!’’?

F: Pour donner aussi à quelqu’un et pas juste nécessairement… pour l’enfant, c’est intéressant de donner la vie. Tu aides quelqu’un à devenir grand, qu’il soit naturel ou qu’il soit adopté. Tu aides quelqu’un à devenir grand. À faire une vie… c’est le fun de sentir que tu as donné la vie. C’est plaisant d’amener quelqu’un jusqu’à grand! C’est beau, à quelque part, c’est un beau désir, juste ça. Ça comble une vie aussi! Ça comble une vie… (Odile).

Le désir d’enfant se présente aussi en termes de désir de descendance : l’arrivée du nouveau-né signifie la perpétuation de l’espèce et le recul de la mort, mais elle symbolise aussi un remaniement des rapports intergénérationnels et le désir des parents de transmettre des idéaux, des valeurs et de faire revivre le passé. Cette idée est bien rendue par Nadine qui malgré la perte

de ses deux parents en bas âge (elle avait à peine 10 ans) est toujours demeurée très proche de ses frères et sœurs et de son passé familial:

J’ai quand même eu une belle enfance malgré tout: mes parents n’ont pas été là longtemps, mais la période que je les ai eus, ils ont eu le temps de nous transmettre des belles valeurs. Moi c’est là-dessus que je suis restée accrochée. Le jour où t’as des enfants, c’est ce que tu cherches à refaire: leur transmettre la fierté, la fierté de leur famille, le respect, le respect des autres. C’est là-dedans qu’on les élève. (Nadine)

Alors que certains insistent sur les aspects sociaux et générationnels de la notion de transmission, d’autres en soulignent plus spécifiquement le caractère biologique ou encore génétique: « C’est

comme inné, c’est en nous de vouloir un enfant. On voulait une famille alors, on essaye d’avoir une famille et tout cela. Et dans le cheminement, comme à peu près tout le monde, on veut avoir des enfants de notre sang. On a travaillé fort là-dessus! […] C’était le désir surtout, de fonder une famille, d’avoir quelqu’un qui aurait nos gènes et faire une suite à notre sang autrement dit. C’était beaucoup ça au départ » (Alain). Ainsi le fait de vouloir un enfant se traduit aux yeux de

plusieurs comme un besoin profondément naturel, intrinsèque à l’être humain : « Vouloir des

enfants, c’est comme le cercle de la vie. Toute la vie tu penses avoir tes propres enfants. Depuis que t’es jeune, tu veux tes propres enfants, tu les imagines, tu imagines qu’ils vont te ressembler, c’est comme la continuité » (Robin et Marie-Claire).

Dans un article portant sur l’étude de l’infertilité chez les femmes, Parry (2005) note que le désir d’enfant biologique chez les couples n’est pas seulement lié à l’idée de reproduire ses propres gènes; il est aussi fortement lié au désir de créer un enfant qui soit la combinaison des deux membres du couple. Cette information est partagée par plusieurs participants qui voyaient initialement l’enfantement non pas seulement comme la possibilité de se reproduire, mais surtout comme la possibilité de créer un 3ième être qui incarne physiquement le couple :

C’est sûr qu’on aurait aimé ça quand même avoir un enfant biologique pour lui voir la face; quelle sorte d’enfant que ça donnerait. Un petit peu de nous deux. C’est sûr que ça doit être intéressant le feeling de ça. (Pier-Louis)

H: Mais l’objectif en faisant in vitro, c’était quand même d’avoir notre enfant naturel. À ce moment-là. Plus maintenant, parce qu’on est tellement vendus à l’adoption. Mais à ce moment-là, on voulait avoir un enfant naturellement ensemble, une petite rousse (Félicia est rousse) !…Là on ne voit plus ça, mais…

Ça ne fait pas de différence pour moi, un enfant biologique ou adopté. Maintenant, ça n’a plus d’importance mais avant… c’était plus de se reproduire. Quand tu aimes quelqu’un, tu veux un enfant qui ait les traits d’un et les traits de l’autre ». (Odile)

Les études menées par l’anthropologue M. Strathern (1992-a, 1995, 2005) et discutées plus en détail dans le deuxième chapitre montrent que le processus procréatif constitue la pierre angulaire des représentations euro-américaines sur la parenté : le nouveau-né reçoit un héritage biologique qui lui vient autant de son père que de sa mère, mais il incarne simultanément la nouveauté et l’individualité.

***

Évoquant tantôt des motivations de type ‘‘organiques’’, tantôt des motivations sociales et expérientielles, les propos de Danielle proposent une synthèse intéressante de tout ce qui agit comme sources mobilisatrices lorsqu’il est question d’enfantement: « Mais il reste que… le désir,

la flamme, le projet de couple qui est d’avoir un enfant, un moment donné il est présent, il est en toi! Tu as besoin de manger, tu as besoin de te réaliser et en tant que couple, tu as les mêmes besoins aussi. Les deux on vient de grandes familles, moi je viens d’une famille de 20 petits- enfants et Louis vient d’une famille de 14 alors pour nous, les enfants… c’était quelque chose d’important dans notre projet de couple » (Danielle).

Dans une étude au cours de laquelle elle s’est intéressée aux représentations sociales liées à l’adoption et à la procréation assistée dans la population de la ville de Kursenai (Lituanie), Cepaitiene (2009) montre l’emphase que mettent les parents sur la valeur de l’enfant en tant que point de définition du couple et de la famille: « la centralité accordée à l’enfant ne parle pas tant

de l’enfant lui-même que d’un homme, d’une femme et de leur relation » (Cepaitiene 2009 : 219).

À cet égard, les propos des participants dans la présente recherche illustrent bien comment l’enfantement et le désir d’enfant s’inscrivent dans un espace qui concerne avant tout le couple et les deux individus qui le constituent. Cette sorte de repli sur le domestique a été longuement analysée par Singly (1996, 2003, 2007) qui a privilégié dans ses analyses l’idée d’une individualisation de la famille et d’une recherche d’un idéal du ‘‘libre-ensemble’’ : « La famille

moderne s’est construite progressivement comme un espace ‘‘privé’’ où les membres de la famille ont apprécié davantage d’être ensemble et de partager une intimité, attentifs à la qualité

de leurs relations. Cette séparation progressive de l’espace public et de l’espace privé va de pair avec l’augmentation du poids de l’affectif dans la régulation des rapports intrafamiliaux »

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