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Le croisement de la PMA et de l’adoption comme lieu d’étude

Dans les sections précédentes de ce premier chapitre, je me suis principalement attardée à détailler et à décrire les situations de la procréation assistée et de l’adoption sur les plans pratique et administratif. Avant d’entamer une réflexion théorique, je voudrais présenter de façon plus pointue les dimensions que je retiens de ce portrait et que j’ai choisi de développer et de questionner à l’intérieur de cette thèse.

Ce projet de recherche s’attarde au lieu de croisement de la procréation médicalement assistée et de l’adoption et aux différentes implications qui lui sont liées d’un point de vue familial, parental et reproductif. Différents facteurs, dont la tendance à la médicalisation du processus procréatif, les délais d’attente de plus en plus longs dans la plupart des cas d’adoptions internationales (et cela sans compter les frais importants qui l’accompagnent), la complexité des démarches et l’incertitude liées à l’adoption domestique, contribuent au développement d’une trajectoire somme toute assez classique et qui consiste, pour les couples en situation d’infertilité, à se lancer d’abord dans divers essais cliniques et ensuite (du moins pour une certaine partie de ceux-ci), dans un projet d’adoption.

Dans l’ensemble, la littérature s’est beaucoup plus intéressée à l’un ou à l’autre des phénomènes (soit l’adoption, soit la PMA), et plus rarement à la dynamique entre les deux, si ce n’est pour mettre en évidence la question commune qui leur est sous-jacente : le droit de l’enfant à la connaissance de ses origines. En effet, tant l’adoption que les techniques de procréation faisant appel à un donneur (le plus souvent de sperme, mais aussi d’ovocytes ou d’embryons dans quelques plus rares cas) posent la question des origines biologiques et génétiques et alimentent considérablement le débat relatif au droit de connaître ses origines34. Le parallèle maintes fois soulevé entre PMA avec donneur et adoption en ce qui concerne la question du droit à connaître ses origines n’est pas sans intérêt, mais à trop vouloir mettre en évidence ce point d’articulation commun, on risque d’en oublier leur logique encore bien distincte en regard, non seulement des valeurs intrinsèques à leur mise en pratique, mais également des représentations sociales de la reproduction humaine qu’elles privilégient. Bref, les discussions autour de cette question ont

souvent été appréhendées sous un angle juridique ou identitaire, et plus rarement sous l’angle de la parenté et de la filiation.

Dans cette thèse, j’ai donc voulu reprendre les phénomènes de la PMA et de l’adoption et les entrevoir comme des ‘‘options’’ vis-à-vis desquelles les couples infertiles doivent se positionner: « L’adoption et la procréation médicalement assistée permettent toutes deux de satisfaire un

désir parental qui ne peut l’être naturellement. Ce dénominateur commun explique leur complémentarité : rares sont les couples qui, avant de se tourner vers l’adoption, n’ont pas d’abord eu recours à l’assistance médicale à la procréation » (Neirinck 2000-b: 25). Cette

complémentarité met également en évidence des ramifications plus complexes, puisqu’en cas d’échec(s) en traitements de fertilité, le désir d’enfant risque d’être exacerbé, ce qui, selon Lavallée (2005-b) n’est pas sans conséquence pour le milieu de l’adoption qui risque de subir indirectement les effets de la logique qui prévaut dans les cliniques médicales d’aide à la procréation.

Si l’adoption et la procréation médicalement assistée mettent toutes deux en évidence le caractère construit de la filiation, l’une ayant recours à la médecine et l’autre au juridique, il n’en demeure pas moins que les valeurs qui les légitiment sont passablement différentes. La philosophie et la législation qui encadrent l’adoption mettent de l’avant le principe du ‘‘meilleur intérêt de l’enfant’’ : leur engagement et leur responsabilité sont tournés vers l’enfant et non pas vers les couples et leur problème d’infertilité. L’adoption est donc principalement (du moins dans ses lignes directrices) orientée vers la satisfaction des besoins de l’enfant. De son côté, la procréation médicalement assistée centre ses préoccupations sur l’aspect physiologique de la reproduction et tente à tout prix de remédier à l’infertilité en ‘‘créant’’ une grossesse. Les préoccupations respectives de la PMA et de l’adoption ainsi que leur ancrage historique inégal dans les traditions des sociétés occidentales (l’adoption existe depuis beaucoup plus longtemps que la PMA) expliquent également pourquoi elles n’établissent pas, vis-à-vis des couples et futurs parents, les mêmes exigences: « Le droit de l’assistance médicale à la procréation est en partie muet sur la

qualité de l’accueil de la famille alors que le droit de l’adoption est plutôt pointilleux. On ne peut qu’être frappé par le contraste avec le poids du contrôle social en matière d’adoption » (Hauser

cas d’échec du traitement médical, se tournent vers la solution juridique de l’adoption pour trouver une réponse à leur désir d’enfant, unique moteur de cette double démarche » (2000-a:

355). L’adoption, de son côté, s’est transformée au fil des siècles et constitue aujourd’hui une institution étroitement encadrée par le droit et soumise de manière répétitive au consensus social. Ce qui n’est pas le cas pour la PMA, plus récente comme mode d’accès à la parentalité. Non seulement les nouvelles méthodes reproductives posent-elles de nombreux défis éthiques, juridiques et politiques, mais elles demeurent difficiles à encadrer en raison même de leur position à la croisée de la médecine et de la reproduction, cette dernière étant aujourd’hui considérée relever de l’ordre du privé et de l’intime, et plus particulièrement d’un droit naturel, celui de fabriquer librement ses propres enfants. Sur le plan discursif, on peut aussi noter l’existence d’une opposition entre PMA et adoption, opposition à travers laquelle la PMA revêt un caractère ‘‘égoïste’’ (narcissisme de l’engendrement) et l’adoption une certaine forme de ‘‘pureté’’ (charité et don de soi). Pourtant, en pratique, les adoptants eux-mêmes admettent qu’adopter constitue un projet pour soi et non un geste humanitaire.

De l’ensemble de cette situation découlent nombre de questions qui touchent non seulement à l’univers filiatif, mais aussi à la reproduction, au désir d’enfant, à la paternité et à la maternité : La médicalisation de l’infertilité et le fait d’avoir recours aux nouvelles technologies reproductives poussent-ils les parents à considérer l’adoption comme une forme inférieure d’accès à la parentalité ? Comment les couples vivent-ils le passage entre un milieu qui de prime abord valorise le biologique et les interventions médicales et un autre, celui de l’adoption, où le lien social et affectif domine? Comment les hommes et les femmes naviguent-ils à travers cette transition complexe de leur vie? De quelle manière les couples, tout au long de leur cheminement vers l’adoption, ont-ils défini, redéfini ou ajusté les paramètres de la parenté et de l’apparentement? Le passage entre les deux modes de parentalité que sont l’adoption et la procréation médicalement assistée implique nécessairement un changement dans l’attitude des couples adoptifs. Mais cette situation implique aussi une transition complexe quant à la manière de considérer l’enfant lui-même et de le conceptualiser dans le projet parental, d’où l’importance de dépasser le mode comparatif et d’aborder la relation PMA-adoption comme un point d’articulation autour duquel gravitent un ensemble de désirs individuels, de forces culturelles et d’institutions sociales.

La grande question générale de cette thèse pourrait donc se poser comme suit : Considérant la valeur accordée à l’enfant dans les sociétés contemporaines ainsi que celle généralement attribuée à l’idée de « faire famille », comment des couples ayant vécu des problèmes d’infertilité ont-ils cheminé entre, d’une part, les nombreuses possibilités offertes par la médecine reproductive et, d’autre part, l’option de l’adoption, pour finalement en arriver à la décision d’adopter? Le processus entier traîne une interrogation centrale, celle du désir d’enfant et du projet parental et c’est pourquoi l’adoption, dans cette étude, n’est pas entrevue comme une fin en soi, mais comme le début d’une expérience parentale qui à son tour devient objet de réflexion.

La famille occidentale et les cadres dans lesquels se déploie l’ensemble des relations de parenté se sont profondément transformés au cours des dernières décennies : l’approche conceptuelle développée dans ce chapitre vise une meilleure compréhension des nouvelles dynamiques sociales à l’œuvre dans le champ de la parenté. La direction théorique privilégiée s’inscrit en continuité des approches actuelles de l’anthropologie de la parenté, lesquelles, par la flexibilité qu’elles affichent, permettent d’aborder les phénomènes de la PMA et de l’adoption à l’intérieur d’un cadre commun capable de tenir compte de l’évolution et de la transformation de la famille occidentale, de ses modes de reproduction et de la place de l’enfant en son sein. Parallèlement, les choix théoriques reflètent aussi un désir de se distancier des approches plus statiques et trop centrées sur les statuts et les rôles assignés à l’intérieur de l’espace parental, ou encore des approches plus fatalistes qui abordent la famille moderne en termes d’éclatement ou de recul. La préoccupation centrale, d’un point de vue théorique, est d’arriver à saisir les mouvements et les subtilités qui se jouent à la frontière de la parenté biologique et sociale.

Ce chapitre reprend donc les principaux thèmes annoncés dans le chapitre introductif (la parenté, la famille, la procréation médicalement assistée et l’adoption) et les situe dans un espace théorique. Au final, les concepts retenus permettent de poser un regard renouvelé sur les phénomènes de la PMA et de l’adoption et de cerner les processus sociaux qui interviennent dans les représentations de la famille et de l’enfant, dans les décisions relatives à la reproduction du corps social et dans la création des liens de parenté.

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