T ROUBLES DU DEVELOPPEMENT DU LANGAGE
1.0 T ROUBLES DU DEVELOPPEMENT DU LANGAGE : DEFINITION , ETIOLOGIE ET CLASSIFICATION
Au sein de cette section, nous revenons brièvement sur la définition donnée des troubles du développement du langage (cf. 1.1), les causes de la dysphasie (cf. 1.2) et sur les classifications proposées dans la littérature (cf. 1.3).
1.1 DEFINITION
La dysphasie ou les troubles spécifiques du développement du langage oral se caractérise(nt) par la diversité et la sévérité des difficultés langagières observés (Schelstraete, 2011, de Weck & Marro, 2010, Piérart, 2004a). Ces troubles sont durables et ils peuvent se manifester jusqu’à l’adolescence (Wetherell et al., 2007). Dans la littérature francophone, il est d’usage de distinguer le retard de langage et la dysphasie (de Weck & Rosat, 2003, Schelstraete, 2011). Les enfants présentant un retard de langage semblent récupérer leur retard avant 5 ans soit spontanément soit par une prise en charge, tandis que les troubles dysphasiques persistent au-delà de 5 à 6 ans malgré une prise en charge orthophonique (pour une revue de la littérature sur le retard de langage, voir Desmarais et al., 2008). Les productions verbales des enfants dysphasiques sont alors présentées comme déviantes (Gérard, 1993)8. Toutefois, la réalité clinique montre qu’il est difficile de faire la distinction entre « délai ou décalage temporel » et « déviance » par rapport à un développement typique du langage. La dysphasie représente un degré de gravité plus important que le retard de langage (de Weck, 2010e) en se caractérisant à la fois par un retard des acquisitions langagières et une déviance dans les productions. Le retard de langage et la dysphasie doivent être davantage considérés comme « les deux extrémités d’un continuum » (Schelstraete, 2011 : 13). Cette distinction entre retard de langage et dysphasie n’est pas présente dans la littérature anglo-saxonne au sein de laquelle le terme de ‘Specific language impairment’ est davantage employé et regroupe les deux cas sans les distinguer (nous reviendrons sur les différentes terminologies considérées dans la littérature dans les paragraphes suivants).
8 Le caractère aussi bien déviant que décalé des performances verbales renvoie à la notion de norme. Pour une
~ 75 ~
Selon, Silva, McGee & S. M. Williams, (1983), 7% environ des enfants de 3 ans et demi ont un déficit du développement du langage oral (- 2 écarts-types) et plus récemment, la prévalence des troubles a été estimée entre 3 et 7 % par Tomblin et al. (1997).
La dysphasie se définit « par l’existence d’un déficit durable des performances verbales, significatif en regard des normes établies pour l’âge. Cette condition n’est pas liée : à un déficit auditif, à une malformation des organes phonatoires, à une insuffisance intellectuelle, à une lésion cérébrale acquise au cours de l’enfance, à un trouble envahissant du développement, à une carence grave affective ou éducative » (Gérard, 1993 : 12). Cette définition des troubles du développement du langage indique que les troubles ne rentrent pas dans une configuration syndromique plus étendue. Il s’agit d’une définition par exclusion (Gérard, 1993, Bishop, 1997, Leonard, 1998a) dans le sens où cette pathologie correspond ainsi aux cas de ‘non explications’ (Parisse & Maillart, 2010). Ces troubles sont considérés comme spécifiques au langage. Les performances langagières de ces enfants sont inférieures à celles attendues pour leur âge et aucune cause ne peut expliquer ces difficultés.
Dans la littérature portant sur les troubles du développement du langage oral, le terme de spécificité renvoie le plus souvent à une différence quantitative entre les performances langagières des enfants et ses performances intellectuelles générales (Gérard, 2006 ; Parisse & Maillart, 2010). Toutefois, ces dernières années, la littérature remet souvent en cause la question de la ‘spécificité’ des troubles du développement du langage. Ainsi, par exemple, certaines études ont mis en évidence l’existence concomitante des difficultés d’attention (Tallal, Dukette & Curtiss, 1989), des difficultés importantes de motricité fine et globale, ainsi que des troubles praxiques, tels que des difficultés d’organisation dans l’espace et dans le temps d’activités complexes, à reproduire des séquences de gestes ou à imiter des gestes symboliques (Hill, 2001).
Les troubles observés portent aussi bien sur la production que sur la compréhension et ils touchent tous les aspects du langage (phonologique, lexical, morphologique, syntaxique, pragmatique). Les troubles sont très hétérogènes de sorte que diverses classifications (Ajuriaguerra et al., 1963, Rapin & D. Allen, 1983, Gérard, 2003) ont été proposées où différents syndromes dysphasiques sont distingués selon le déficit structurel et/ou pragmatique comme nous le verrons ci-après (cf. 1.3).
~ 76 ~
A l’hétérogénéité des troubles s’ajoute le fait que le terme de dysphasie est employé par les auteurs tantôt comme un terme générique regroupant les divers types de dysphasie (quels que soient les symptômes) tantôt comme un syndrome spécifique et un certain type de troubles (le plus souvent dysphasie phonologique-syntaxique). En outre, ce n’est pas le seul terme employé dans la littérature. En effet, les troubles du développement du langage ont été nommés de diverses manières comme aphasie développementale (Kerr, 1917, T. T. S. Ingram & Reid, 1956), dysphasie (Ajuriaguerra, 1974), troubles spécifiques du développement langage oral (Chevrie-Muller, 1996b). D’autres appellations renvoient aux niveaux affectés comme ‘grammatical specific language impairment’ (G-SLI, Bishop et al., 2000a, Van der Lely, 2004) ou ‘Pragmatic Language Impairment’ (PLI, Bishop, 2000, Bishop et al., 2000b, Frazier Norbury & Bishop, 2002), ou selon que le versant expressif ou réceptif est touché ‘Expressive Specific language impairment’ ou ‘Receptive Specific language impairment’ (Stark & Heinz, 1996). Enfin, en lien avec la question de la spécificité des troubles au niveau linguistique, d’autres appellations ont vu le jour telles que ‘Developmental language learning impairments’ (LLI, Tallal & Benasich, 2002) pour référer aux troubles du développement du langage dont les causes sont inconnues ou ‘Primary language Impairment’ ou ‘Primary language disorder’ (Kohnert, Windsor & Ebert, 2009, Thordadottir et al., 2011, McKean, Letts & Howard, 2013) pour indiquer que les troubles sont principalement langagiers mais qu’ils peuvent également toucher d’autres fonctions.