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E TAYAGE VERBAL : L ’ EXEMPLE DES INTERACTIONS EXOLINGUES

L E ROLE DES INTERACTIONS SOCIALES DANS LE DEVELOPPEMENT DU LANGAGE

1.1 « L A LOI GENERALE DU DEVELOPPEMENT CULTUREL »

1.4 R ELATION DE TUTELLE ET ETAYAGE

1.4.2 E TAYAGE VERBAL : L ’ EXEMPLE DES INTERACTIONS EXOLINGUES

Dans les interactions entre un locuteur natif et un locuteur non natif (Snow, van Eeden & Muysken, 1981)  qu’on  appelle  habituellement  « interactions exolingues »3, on peut observer des phénomènes langagiers qui sont susceptibles de favoriser un apprentissage langagier. Comme les interactions adulte-enfant,   il   s’agit   d’interactions   asymétriques   (Matthey, 1996/2003).   Dans   ce   type   d’interaction,   pour   réduire   l’asymétrie   des   compétences   linguistiques entre les deux sujets, le locuteur natif a deux objectifs :   d’une   part,   se   faire   comprendre,   et   d’autre   part,   donner   à   son   interlocuteur   les   moyens   de   s’exprimer   et   de   communiquer (Py, 2000).

Pour se faire comprendre, le locuteur natif intervient en adaptant son discours au niveau linguistique de son interlocuteur. Cette adaptation peut prendre les caractéristiques du langage des adultes vis-à-vis   des   enfants   dans   le   cours   d’une   interaction   (cf.   section   2).   Au   niveau   prosodique, les locuteurs natifs ont un débit ralenti, font plus de pauses, ont une accentuation exagérée. Au niveau syntaxique, des ajustements sont également observés comme la suppression  de  la  copule,  de  l’article,  du  pronom  sujet   (M. H. Long, 1996, Ferguson, 1971, Snow et al., 1981). Ces omissions sont réalisées car le locuteur présuppose que leur production   entraverait   la   compréhension   de   l’énoncé   par   le   locuteur   non   natif.   D’autres   éléments peuvent remplacer ces omissions comme les gestes (Kida & Faraco, 2013).

Pour donner des moyens linguistiques à son interlocuteur, le locuteur natif peut être amené également   à   s’adapter   en   offrant   des   lexèmes,   à   employer   des   questions   fermées   (vs. ouvertes), à reformuler ses propos par exemple. Ces offres peuvent être auto ou hétéro-

3 La notion de « exolingue » semble parfois problématique et  il  n’y  pas  de  consensus  sur  ce terme : pour certains

auteurs,  ce  terme  n’a  de  sens  que  pour  des  interactions  entre  un  natif  et  alloglotte,  pour d’autres, cela correspond à toutes interactions au sein desquelles il y a une asymétrie linguistique y compris les interactions parent-enfant ou médecin-patient   (de   Pietro,   1988).   Notre   objectif   étant   de   montrer   d’autres   exemples   où   des   ajustements   langagiers   peuvent   également   se   mettre   en   place   dans   l’interaction,   nous   ne   développerons   pas   plus   cette   question.

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déclenchées. Dans le cas des offres auto-déclenchées, le locuteur plus compétent intervient à la  place  énonciative  du  locuteur  moins  compétent  dans  le  but  de  l’aider  à  communiquer. de Pietro, Matthey & Py (1989) ont décrit ces cas de figure comme des « putsch énonciatifs » dans  l’interaction.  Dans ces cas de figure, les locuteurs sont amenés à se centrer alors sur la forme du message. Il y a un changement de focalisation sur le code (processus de bifocalisation, Bange, 1992). Ces   interventions   ne   sont   pas   isolées   et   s’inscrivent   dans   le   cours   de   l’échange.   Les   recherches   sur   l’acquisition   d’une   langue   seconde   ont   permis   de   mettre en évidence une relation entre une difficulté de communication (ou pannes conversationnelles)   et   l’acquisition   de   nouveaux   savoirs communicationnels. En effet, la question   est   de   savoir   comment   la   résolution   de   cette   difficulté   peut   amener   l’apprenant   à   acquérir de nouvelles compétences (Mondada & Pekarek Doehler, 2000). Ces études ont le plus  souvent  repris  à  l’analyse  conversationnelle  les  notions  de  séquences latérales (Jefferson, 1972) et de réparation (Schegloff, Sacks & Jefferson, 1977). Ces notions ont inspiré notamment  l’analyse  des  ‘séquences  potentiellement  acquisitionnelles’ (de Pietro et al., 1989 ; Matthey, 1996/2003, Py, 1995),   des   ‘séquences   analytiques’   (Kraft & Dausendschön-Gay, 1993), ou  des  ‘séquences  explicatives’  (Gülich, 1990). Dans la suite de notre discussion, nous proposons de nous centrer sur les « Séquences Potentiellement Acquisitionnelles » (SPA, par la suite). Nous nous intéressons particulièrement à ces séquences car elles présentent une structure récurrente et permettent de rendre compte des processus acquisitionnels dans le cours  de  l’échange.  Nous nous sommes inspirée de la description de ces SPA (cf. infra) dans notre analyse pour rendre compte de processus interactionnels similaires en rééducation orthophonique (cf. Chapitre X).

Les SPA sont définies de la manière suivante :

« Ces séquences [qui] articulent deux mouvements complémentaires : un mouvement d’autostructuration,   par   lequel   l’apprenant   enchaîne   de   son   propre   chef   deux   ou   plusieurs   énoncés, chacun constituant une étape  dans   la  formulation  d’un  message,  et   un   mouvement   d’hétérostructuration,   par   lequel   le   natif   intervient   dans   le   déroulement   du   premier   mouvement de manière à le prolonger ou à le réorienter vers une norme linguistique qu’il   considère comme acceptable » (Py, 1990 : 83).

de Pietro et al. (1989)   partent   du   principe   selon   lequel   les   processus   d’acquisition peuvent avoir lieu seulement par la présentation de modèles mais que ces processus sont favorisés par

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les échanges conversationnels et les enchaînements (ou mouvements discursifs) créés entre les discours des locuteurs. Le locuteur natif apporte de nouvelles formes par un mouvement d’interprétation   des   productions   du   locuteur   apprenant.   Trois mouvements ont été mis en évidence : des mouvements d’autostructuration (produits par le locuteur apprenant avec les moyens dont il dispose), des  mouvements  d’hétérostructuration en intervenant sur le discours précédent (dans le but de proposer une reformulation,  aider  l’apprenant)  et  des mouvements de double interprétation orientant  l’intervention  hétérostructurante  du  natif  et  sa  prise  en  charge   éventuelle  par  l’apprenant.  En  ce  sens,  le  mouvement  hétérostructurant  est  déjà  une  première   interprétation   de   l’énoncé   source   de   l’apprenant à laquelle ce dernier peut donner une interprétation  au  mouvement  hétérostructurant.  Nous  proposons  d’illustrer  ces  mouvements  à   partir  d’un  exemple  extrait  de  de Pietro et al., 1989 (cf. Exemple 1).

Exemple 1 – Séquence extraite de de Pietro et al., 1989 : 3

Il  s’agit  d’une  séquence entre un alloglotte et deux locuteurs natifs. Elle est déclenchée par un mouvement d’autostructuration   (A3)   encouragé par N1. Par la suite, un mouvement d’hétérostructuration   est   réalisé   par   le   deuxième   locuteur   natif   (ligne   4)   et   accepté   par   l’alloglotte  en  5  par  la  reprise du  mouvement   d’hétérostructuration.   La  séquence  est   réussie   grâce aux interprétations possibles de N2 en 4 et de A en 5.

Dans les conversations exolingues, certaines séquences présentent donc des caractéristiques favorables au développement de compétences langagières. Comme pour les échanges parent- enfant (Veneziano, 1997b),   les   séquences   n’ont   un   potentiel   acquisitionnel   qu’à   partir   du moment où il y a des données et des prises c’est-à-dire dès lors que le locuteur non natif transforme   les   données   offertes   en   objet   potentiel   d’apprentissage   (Py, 1996). Suite à un obstacle dans le discours du locuteur apprenant (F1), le locuteur natif fait une proposition qui est la donnée du processus acquisitionnel (P) et qui est éventuellement reprise ou ratifiée par le locuteur apprenant (F2, prise). Ces trois mouvements sont les marques ou les traces du

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schéma  d’action  sous-jacent  à  un  processus  acquisitionnel  et  de  l’appropriation  d’une  forme   ou  d’une  structure  linguistique  (cf.  Exemple 1).

La  manière  dont  les  locuteurs  non  natifs  s’approprient  une  forme  ou  une  structure  peut être perçue de différentes façons et plus spécifiquement en observant les différents types de prises. Dans la littérature, on distingue : les prises « par mention » lorsque  l’apprenant  cite  la  donnée   et les prises « en usage », lorsqu’il   l’intègre   à   un autre énoncé (Albert & Py, 1986). Par exemple,  après  que  l’adulte  ait  offert  la  dénomination  ‘un  mouton’ de manière isolée dans un énoncé,   l’enfant   poursuit   le   dialogue en reprenant la dénomination dans un autre contexte ‘euh  l’a  (ap)porté au mouton’  (exemple  extrait  de  Matthey,  1996/2003 :  195).  Il  s’agit  d’un   exemple   d’une   prise   « en usage » Deux types de prises par mention sont distingués par Matthey (1996/2003) : les prises en écho (répétition à  l’identique  de  la  donnée  cf.  Exemple 1 ‘je suis rentrée’,   des   tentatives   de   répétition   de   la   donnée   ou   des   reprises   partielles)   et   les   prises par extraction (par une répétition de la donnée en modifiant le contexte immédiat). Toutes ces prises sont des formes de répétition qui ont un rôle central dans la saisie. La saisie correspond « au   traitement,   au   stockage   et   au   rappel   de   l’information » (Matthey, 1996/2003 : 174). Toute prise ne correspond pas à une saisie et toute saisie ne se manifeste pas toujours par une prise. Les différents types de prise peuvent être vus comme les différents stades des fonctions psychiques. Selon Matthey (1996/2003), les prises en écho, par l’imitation,   seraient   la   manifestation   de   la   fonction   élémentaire,   issue   du   développement   biologique,  et  les  prises  en  usage,  l’emploi  du signe dans un autre contexte énonciatif, seraient des   traces   de   l’intellectualisation   des   fonctions   psychiques   supérieures   par   des   formes   d’appropriation,   un   rapport   conscient   et   volontaire   grâce   à   la   médiation d’outils   culturels   (Matthey, 1996/2003).

Ce type de séquence montre   à   la   fois   la   manière   dont   un   locuteur   natif   s’adapte   à   son   interlocuteur et à son niveau de compétences langagières, et la façon dont un locuteur apprenant prend en charge les données offertes pour se les approprier. Ce dernier est alors considéré   comme   actif   dans   l’interaction   et   dans   les   processus   d’acquisition (Matthey, 1996/2003). Les SPA sont   considérées   comme   favorables   pour   l’acquisition   langagière.   Toutefois,  il  est  assez  difficile  de  mesurer  l’efficacité de ces échanges spécifiques (de Pietro et al., 1989). En effet, les unités mises en relief ou manipulées par les locuteurs ne peuvent pas faire  l’objet   d’un  suivi  (Vasseur, 2005).  Toutefois,  il  a  été  montré  que  la  focalisation  d’une  

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forme  particulière  dans  les  SPA  permet  son  utilisation  dans  d’autres  contextes  et  l’usage  de   compétences linguistiques diversifiées. De plus, un travail effectué sur la forme et sur le contenu de manière  complémentaire  semblerait  davantage  propice  à  l’acquisition  de  nouvelles   connaissances  linguistiques  qu’un  travail  seulement  sur  l’un  des  deux  aspects  (Fasel Lauzon, 2009).

2.0 LANGAGE ADRESSE AUX ENFANTS DANS LES INTERACTIONS ADULTE-ENFANT

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