M ODES D ’ INTERVENTION ORTHOPHONIQUE DANS LE CAS DES
3.1 L ES METHODES DITES IMPLICITES : IMITATION SUR DEMANDE , MODELAGE ET RECAST
3.1.2 M ODELAGE ET STIMULATIONS CIBLEES
La méthode du ‘modelage’ consiste à fournir à l’enfant la forme ou la structure ciblée à plusieurs reprises. Cette technique dirige l’attention de l’enfant mais ne le guide pas explicitement. La période d’un traitement par ‘modelage’ peut être suivie par une période de ‘production provoquée’ c’est-à-dire que par la suite l’enfant reprend la forme ou la structure donnée par l’orthophoniste. L’efficacité de cette méthode a été montrée dans la littérature. Par exemple, Léonard (1975) a observé la technique du modelage auprès d’enfants dysphasiques âgés entre 5 et 9 ans. Ces derniers ont reçu en modèle des énoncés constitués de l’auxiliaire ‘is’ et qui décrivent 20 photos (e.g. Daddy is sleeping). Par la suite, l’adulte encourage l’enfant à prendre une photo et à la décrire également par un énoncé similaire aux modèles offerts. Les résultats indiquent que les enfants ayant reçu des interventions proposant des modèles ont de meilleures performances aux tests portant sur l’auxiliaire is que les
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enfants n’ayant pas reçu de traitement (Leonard, 1975). Des résultats similaires ont été observés avec l’emploi de l’auxiliaire de négation don’t.
Une autre technique proche de celle du modelage est également proposée. Il s’agit de la technique des stimulations ciblées. Celle-ci ne dirige pas l’attention de l’enfant sur une forme et/ou une structure particulière qui sont offertes plus naturellement. Par exemple, Lee, Koenigsknecht & Mulhern, (1975) ont proposé à 28 enfants présentant des troubles du développement du langage âgés entre 3;2 et 5;9 ans un traitement avec une stimulation ciblée. La procédure était la suivante : un expérimentateur lit une histoire à un enfant contenant deux à trois formes linguistiques que l’enfant a des difficultés à produire. L’adulte lit quelques lignes de l’histoire puis pose une question à l’enfant. La question induit la production de formes linguistiques spécifiques dans la réponse. Cette procédure a été considérée comme efficace car elle facilite l’usage de verbes (comme will), de la négation (won’t) et des questions partielles en Wh (‘why are you going’) par les enfants en interaction.
Cette méthode a également été observée pour évaluer les effets sur les compétences phonologiques. En effet, Girolametto, Pearce & Weitzman (1997) ont regardé les effets indirects d’une méthode de ‘stimulation ciblée en matière de vocabulaire’ (Girolametto, 2004) sur les compétences phonologiques de 25 enfants âgés entre 23 et 33 mois de langue maternelle anglaise et présentant un retard de langage principalement au niveau lexical32. Les enfants sont répartis en deux sous-groupes : un groupe expérimental de 12 enfants bénéficiant du traitement et un groupe contrôle sans traitement (en attente). Le traitement a été dispensé par les mères pendant onze semaines. Ces dernières ont présenté de manière fréquente des mots cibles, sélectionnés au préalable, et sans demande explicite de réactions ou de répétitions de la part de l’enfant. Elles devaient, dans un premier temps, intégrer ces mots cibles dans des routines quotidiennes et dans le centre d’intérêt de l’enfant ou de ses activités ; puis, dans un second temps, les intégrer dans des contextes différents. L’efficacité du traitement a été évaluée trois semaines après la fin de l’intervention en fonction de l’évolution des compétences33 des enfants avant et après le traitement et en les comparant avec le groupe contrôle. Les résultats suggèrent que le traitement lexical (de mots cibles) a un
32 Plus précisément, la population est caractérisée comme des ‘toddlers with expressive vocabulary delays’. 33 Les compétences des enfants ont été évaluées par le nombre de vocalisations, la structure syllabique,
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effet indirect sur les compétences phonologiques des enfants ayant un retard de langage. Ces derniers produisent davantage de syllabes complexes que les enfants du groupe contrôle et ils produisent un nombre plus important de consonnes tant en position initiale que finale, augmentant ainsi leur répertoire phonémique. Cependant, les améliorations observées au niveau phonologique n’ont pas eu d’effets sur l’intelligibilité des formes produites par l’enfant (Girolametto et al., 1997). De manière générale, ces résultats concordent avec ceux de Culatta et al. (2005). Ces derniers se sont intéressés à une étude de cas d’une enfant, Casey, âgée de 5;9 ans présentant des troubles linguistiques et suivie pendant 9 mois. Les auteurs ont évalué l’efficacité d’un traitement phonologique basé sur la signification et dispensé par des cliniciens qui évoquent des mots fréquents et les produisent en interaction34. Une amélioration des capacités langagières notamment phonologiques a été remarquée (Culatta et al., 2005). Plus récemment, une autre étude a également testé l’efficacité d’une approche centrée sur la communication sur trois enfants présentant des troubles phonologiques modérés à sévères. Le traitement s’effectue dans une situation de lecture de livre au sein de laquelle l’adulte offre aux enfants des items cibles en modèle (par une procédure de stimulation ciblée) et des feedbacks. Deux enfants sur trois améliorent la production des formes ciblées par le traitement et pour l’un d’entre eux, un transfert d’acquis est observé en conversation (généralisation). Les performances du troisième enfant ne sont pas meilleures suite au traitement mais des changements phonologiques systématiques ont été observés dans son discours. Ainsi, les auteurs concluent que cette approche centrée sur la communication a des effets sur les compétences phonologiques des enfants présentant des troubles phonologiques (Hart & Gonzalez, 2010).
En revanche, ces résultats ne concordent pas avec ceux de Whitehurst et al. (1991a) qui ont demandé également aux mères d’offrir des mots-cibles en modèle lors d’interactions avec leur enfant présentant un retard de langage et de solliciter la répétition de ces mots. Après le traitement, les enfants emploient plus fréquemment les mots-cibles en interaction (effet au niveau lexical) mais aucune amélioration phonologique n’est observée. Les chercheurs ont évalué les compétences phonologiques à travers un test de dénomination d’images. Or,
34 De manière parallèle, les parents sont également impliqués dans la rééducation : ils utilisent les mêmes mots
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Girolametto, Pearce et Weitzman (1997) considèrent que cette épreuve ne fournit pas d’information sur le type de syllabe, le répertoire phonémique ou sur la position des consonnes et qu’elle ne reflète pas la manière dont les enfants emploient les formes en interaction (de manière non induite).