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T ROUBLES DU DEVELOPPEMENT DU LANGAGE

3.2 C OMPETENCES MORPHOSYNTAXIQUES : VERSANT DE L ’ EXPRESSION

3.2.1 L A MORPHOLOGIE VERBALE

Comme   nous   l’avons   déjà   dit   précédemment,   les   difficultés   morphosyntaxiques   varient   en   fonction des caractéristiques des langues. En anglais, on observe les phénomènes suivants dans le discours des enfants dysphasiques :  l’omission  de  la  marque  de  la  troisième  personne   du  singulier  ‘-s’,  l’omission  de  la  marque  du  passé  ‘-ed’,  l’omission  des  auxiliaires  BE  et  DO   pour les formes verbales au passé (Rice & Wexler, 1996, Conti-Ramsden & Jones, 1997, Leonard, 1997, Leonard, 2007).

En français, les difficultés portant sur la morphologie verbale sont moins marquées que dans d’autres  langues,  comme  l’anglais  (Parisse & Maillart, 2004a). La production des marques de temps est retardée mais ne constitue pas un marqueur spécifique des troubles langagiers en langue française. Les recherches mettent principalement en évidence des difficultés dans la production des formes verbales composées, comme celles du passé composé ou du plus-que- parfait,  par  l’omission  de  l’auxiliaire  (Jakubowicz, 2003).  En  effet,  il  n’y  a  pas  de  différence   significative entre les enfants dysphasiques et les enfants tout-venant quant à la production et à   la   compréhension   du   présent   alors   qu’une   différence   significative   est   observée   entre   les   deux populations quant aux flexions du passé. De même, Jakubowicz & L. Nash (2001) montrent que les enfants dysphasiques, âgés entre 6;8 et 8;2 ans, ont plus de difficultés à produire le passé composé que le présent alors que les enfants tout-venant parviennent à produire les deux formes dès 6 ans. Une recherche plus récente a confirmé ces résultats sur

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des enfants plus jeunes (Royle & Thordadottir, 2008) : les enfants dysphasiques âgés entre 37 et 52 mois (âge moyen de 45,5 mois) ont des difficultés à produire les formes du passé composé dans des tâches de production induite et peu de formes sont produites lors d’interaction  en  situation  de  jeu  (2  enfants  sur  11  ont  produit  respectivement  3  et  2  types  de   formes de passé composé et 4 occurrences chacun). Contrairement aux enfants tout-venant, dans  un  contexte  où  il  est  nécessaire  d’employer le passé composé, les enfants dysphasiques emploient un autre temps - le plus souvent le présent – (e.g. :  ‘il joue du piano’  pour  ‘il a joué du piano’,   Ibid. : 35111) ou un participe passé seul, et ajoutent un nom ou produisent une structure agrammaticale.

Ces  résultats  sont  conformes  à  ceux  obtenus  par  l’étude  de  Paradis  &  Crago  (2000) sur des enfants plus âgés. Contrairement aux enfants tout-venant de même âge chronologique, les enfants dysphasiques âgés de 7;6 ans présentent des difficultés à produire le passé composé ou le futur proche comme les enfants apprenant le français en langue seconde (L2, par la suite). En revanche, les enfants L2  et  les  enfants  dysphasiques  n’ont  pas  recours  aux  mêmes   stratégies :   lorsqu’il   est   nécessaire   d’employer   le   passé   composé,   les   premiers   emploient   le   présent  alors  que  les  seconds  choisissent  le  temps  qu’il  convient  mais  ont  des  difficultés pour le   produire   (en   omettant   l’auxiliaire   principalement).   Les   enfants   dysphasiques   omettent   souvent  l’auxiliaire  à  la  3ème personne  du  singulier  ‘a’,  alors  qu’ils  produisent  la  préposition   homophone  ‘à’  (Paradis & Crago, 2001, Crago & Paradis, 2003). Toutefois, ces résultats ne sont pas toujours observés. En effet, même si les enfants dysphasiques omettent plus souvent les auxiliaires que les enfants tout-venant, Methé & Crago (1996) montrent que les enfants dysphasiques âgés entre  6;;8  et  8;;4  ans  produisent  très  rarement  des  erreurs  d’accord  entre  le   sujet  et  le  verbe.  L’emploi  de  l’infinitif  à  la  place  d’une  forme  verbale  fléchie  est  relativement   rare (Methé & Crago, 1996)  contrairement  à  ce  que  d’autres  recherches  postulent  (cf.  Théorie du  stade  de  l’infinitif optionnel de Rice et ses collaborateurs ci-dessous). De même, dans le cadre  d’une  étude  portant  sur  l’analyse  du  langage  d’enfants  âgés  de  4  ans  en  interaction  lors   d’une   activité   de   jeu   symbolique, Thordadottir & Namazi (2007) indiquent que les enfants dysphasiques font très   peu   d’erreurs   sur   les   formes   verbales,   et   aucune   différence   n’est   observée entre les enfants dysphasiques et les enfants tout-venant de même âge. La situation

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de recueil de données aurait une influence sur le type de production des enfants : la situation expérimentale où des formes verbales sont induites est plus contraignante que la situation de jeu  symbolique  où  l’adulte  n’induit   pas  consciemment   les  productions  verbales  des   enfants.   Ainsi,   la   première   situation   induirait   plus   d’erreurs   dans   le   discours des enfants que la seconde.

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer les difficultés des enfants dysphasiques à   maîtriser   la   morphologie   verbale.   Une   d’entre   elles   est   celle   de   la   théorie du stade de l’infinitif optionnel (‘Extended Optional Infinitive period’,   EOI,   Rice, Wexler & Cleave, 1995, Rice & Wexler, 1996). Dans le cadre de la grammaire générative des principes et paramètres (Chomsky, 1981), cette hypothèse considère que les enfants – avec ou sans troubles du langage - emploient des verbes sans spécifier la valeur temporelle des formes verbales et sans savoir que les marques verbales sont obligatoires pendant une certaine période de leur développement. Cette période serait plus longue pour les enfants dysphasiques. Pour confirmer cette hypothèse, Rice, Wexler & Redmond (1999) ont proposé à des enfants dysphasiques (N=20) âgés de 6 ans une tâche de jugement de grammaticalité. Les  auteurs  s’attendaient  à  ce  que  ces  derniers  acceptent  des  formes  verbales  agrammaticales   qu’ils   produisent   régulièrement,   c’est-à-dire que leur jugement soit similaire à leur production. Les résultats confirment leur hypothèse. Ils notent par exemple que les enfants dysphasiques  acceptent  les  erreurs  morphosyntaxiques  qu’ils  produisent  fréquemment,  telles   que   l’omission   de   la   marque   de   la   3ème personne   du   singulier   ‘-s’.   Mais,   ils   détectent   les   erreurs   d’accord   qu’ils   ne   produisent   pas.   Selon   eux,   cette   étude   confirme   l’hypothèse   du   stade   de   l’infinitif   et   le   fait   que   leurs   difficultés   morphosyntaxiques   proviennent   d’une   limitation des représentations grammaticales sous-jacentes. Toutefois, cette hypothèse est remise en question notamment par les données francophones et plus précisément par la présence  de  formes  verbales  non  marquées  du  présent  et  de  l’impératif,  des  formes  infinitives   et des formes du participe passé dans les productions des enfants (Parisse & Le Normand, 2002). Par ailleurs, Maillart & Schelstraete (2007) ont, quant à elles, mis en place une étude constituée  de  la  même  tâche  de  jugement  que  celle  de  l’étude  de  Rice,  Wexler  &  Redmond   (1999). Cette tâche a donc été réalisée par des enfants dysphasiques francophones (présentant des  troubles  de  l’expression  et  de  la  compréhension,  N=16)  âgés  entre  7;;10  et  11;;06  ans.  Les   résultats   indiquent   que   les   sujets   détectent   moins   efficacement   les   erreurs   d’accord   et   de  

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temps   mais   ils   n’ont   pas   de   difficulté   à   détecter   les   violations   d’ordre   des   constituants.   Contrairement   à   l’étude   de   Rice   et   ses   collaborateurs,   deux   types   de   violation (accord et temps)   sont   difficilement   détectés.   La   confrontation   de   l’étude   Rice,   Wexler   &   Redmond   (1999) ne valide pas la théorie du  stade  de  l’infinitif  optionnel.  La  théorie  EOI  est  également   remise   en   cause   dans   d’autres   langues   comme   l’Allemand   (Clashden, Bartke & Göllner, 1997).

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