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T ROUBLES DU DEVELOPPEMENT DU LANGAGE

6.1 L E LANGAGE ADRESSE AUX ENFANTS DYSPHASIQUES : LES INTERACTIONS ADULTE ENFANT

6.1.2 R EACTIONS DES ADULTES AU LANGAGE DES ENFANTS

Les principales spécificités du discours des mères des enfants dysphasiques se situent tout particulièrement sur le plan pragmatico-discursif et plus précisément dans la manière dont elles réagissent au discours de leur enfant. Les recherches se sont surtout intéressées aux expansions, extensions et reformulations. Les définitions de « expansion » et de « reformulation »   se   recoupent   partiellement   (cf.   Chapitre   I,   paragraphe   2.2.1).   L’expansion  

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reprend la signification   de  l’énoncé  précédent   de  l’enfant   en  le  reformulant   dans  un  énoncé   grammatical  et  complet.  Les  extensions  se  différencient  des  expansions  car  il  y  a  l’ajout  d’un   nouvel élément de signification (R. Brown & Bellugi, 1964, R. Brown, Cazden & Bellugi, 1969). De manière générale, les auteurs notent que les mères des enfants dysphasiques produisent   moins   d’expansions   suite   aux   énoncés   des   enfants,   et   moins   d’extensions   sémantiques que les mères des enfants tout-venant (Cross, 1981, Vigil et al., 2005). Toutefois, lorsqu’on  ramène  le  nombre  d’expansions  et  d’extensions  au nombre  d’opportunités  que  les   mères  ont   (en  se  basant   sur  la  quantité  de  langage  produit),   alors  il  n’y   a  pas  de  différence   entre les deux types de mères (Paul & Elwood, 1991). Par ailleurs, les expansions tendent à augmenter de manière parallèle au développement linguistique des enfants (mesuré sur la base du MLU)  et  de  l’intelligibilité  du  discours  des  enfants  (Yoder et al., 1997).

Suite au discours des enfants, les mères peuvent réagir de différentes façons. Nous avons relevé  les  cas  d’expansions et  d’extensions précédemment,  mais  d’autres  formes  sont  décrites   dans   la   littérature.   Nous   nous   proposons   d’observer   deux   phénomènes   plus   précisément : le cas des reprises (ou répétitions) et des reformulations ou des « recasts » et les demandes de clarification.

6.1.2.1 Reformulations et répétitions

Là encore, des résultats contradictoires sont observés. En effet, certains auteurs montrent que les mères des enfants dysphasiques produisent moins de reformulations et proposent moins de feedbacks que les mères des enfants tout-venant (Peterson & Sherrod, 1982, Conti-Ramsden, 1990, Conti-Ramsden & Dykins, 1991). En revanche, d’autres   nuancent   davantage   leur   propos en montrant que la fréquence des reformulations est similaire mais que leurs fonctions diffèrent en fonction des dyades (de Weck, 2000, de Weck, 2001, Rezzonico et al., 2014). Comme  nous  l’avons  indiqué  précédemment,  les  recherches  s’accordent  à  dire  que  les  parents des enfants dysphasiques reformulent le discours de ces derniers (Fey et al., 1993, M. S. Camarata et al., 1994, Keith E. Nelson et al., 1996) comme ceux des enfants tout-venant. Cependant, certaines spécificités sont observées. Elles seraient plus simples, de nature différente et moins fréquentes que celles produites par des mères des enfants tout-venant.

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Conti-Ramsden   (1990)   a   mis   en   évidence   une   corrélation   entre   le   degré   d’intelligibilité   des   propos  de  l’enfant  et  la  fréquence  d’utilisation  des  recasts par la mère. Plus la mère comprend l’énoncé  de  son  enfant,  plus  elle  sera  en  mesure  de  lui  offrir  des  reformulations.  En  revanche,   si   le   discours   de   l’enfant   est   inintelligible,   alors   elle   ne   pourra   pas   intervenir   et   réagir   à   ce   discours. Ainsi, il a souvent été montré que les mères réagissaient moins, fournissaient moins de feedbacks à   leur   enfant   par   manque   d’intercompréhension   entre   les   locuteurs   dans   le   dialogue (Conti-Ramsden & Dykins, 1991).

D’une   recherche   à   une   autre   et   d’une   situation   à   une   autre,   la   part   des   reformulations produites par les mères des enfants dysphasiques tend à être inférieure (Conti-Ramsden, 1990, Conti-Ramsden et al., 1995, Saxton, 2005), similaire (de Weck, 2000), ou supérieure (Ingold et al., 2008, Rezzonico et al. 2014) à celle produite par les mères des enfants tout-venant. Ces différences  de  fréquence  peuvent  s’expliquer  de  diverses  manières.  Premièrement,  l’ensemble   de ces recherches ne se sont  pas  intéressées  aux  mêmes  activités.  Or,  l’activité  a  une  influence   sur les interventions des locuteurs et sur la manière dont les locuteurs interagissent. Pour preuve, le taux de reformulation varie en fonction de la situation : il est supérieur en situation de  lecture  de  livre  qu’en  situation  de  jeu  symbolique ou  d’un  jeu  de  devinette  (Rezzonico et al., 2014).   Deuxièmement,   les   enfants   n’ont   pas   tous   le   même   âge   dans   le   cadre   de   ces   recherches.  En   effet,   par  exemple,  dans  l’étude  de  Conti-Ramsden (1990), l’âge  moyen  des   enfants dysphasiques est de 4;2 ans, dans celle de de Weck (2000), les enfants ont 6 ans et dans celle de Rezzonico et al. (2014), ils ont entre 5 et 7 ans. Les enfants ont des âges différents et par conséquent des niveaux langagiers différents. Or, nous avons vu précédemment que la part des reformulations dans le discours des mères varie en fonction du niveau linguistique des enfants en diminuant au fur et à mesure de leur développement (Bernicot & Clark, 2009, Morgenstern, Leroy-Collombel & Caët, 2013). En outre, on a également constaté une relation entre la production de recasts par les mères et le degré d’intelligibilité  des  enfants.  On  peut  alors  supposer  que  l’apparente  contradiction  des  résultats   n’est  en  fait  que  la  marque  de  l’ajustement  des  mères : lorsque les enfants dysphasiques sont jeunes   et   ont   un   niveau   linguistique   moins   avancé,   comme   dans   l’étude   de Conti-Ramsden (1990), alors les mères ont tendance à produire moins de reformulations que les mères des enfants tout-venant car les énoncés de leurs enfants tendent à être inintelligibles. En revanche, à  un  stade  plus  avancé,  comme  dans  l’étude  de  de  Weck  (2000) et Rezzonico et al. (2014), ces

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mères reformulent autant les propos de leurs enfants que les mères des enfants tout-venant car les énoncés des enfants dysphasiques sont de plus en plus intelligibles. Elles peuvent également reformuler davantage les propos de leurs enfants car ils présentent des difficultés linguistiques importantes, notamment aux niveaux phonologique et morphosyntaxique (cf. section  2  et  3),  que  leurs  pairs  d’âge.

Parallèlement à la fréquence des recasts, les recherches se sont également intéressées aux types de reformulations produits par les mères et leurs fonctions dans le dialogue. Par exemple, dans une situation de dialogue injonctif, les mères des enfants dysphasiques produisent davantage de reformulations syntaxiques et les mères des enfants tout-venant reformulent davantage les propos de leurs enfants au niveau lexical dans le but de les aider à dénommer le matériel nécessaire (de Weck, 2000). Cette différence est principalement liée aux difficultés linguistiques des enfants dysphasiques. Par ailleurs, les premières produisent davantage de répétitions totales (66,2%) et les secondes de répétitions partielles (62,1%). Cette  divergence  s’explique  par  le  fait  que  les  enfants  produisent  des  énoncés  syntaxiquement   différents. Les enfants dysphasiques produisent des énoncés plus courts (constitués parfois d’un  seul  terme)  et  leurs  mères  se  voient  alors  contraintes  de  reprendre  totalement  l’énoncé   pour que son intervention soit adéquate. Les enfants tout-venant produisant des énoncés plus longs et   plus   complexes,  leurs  mères  peuvent   en  reprendre  seulement   une  partie.  S’agissant   des fonctions des répétitions et des reformulations dans le dialogue, les mères des enfants tout-venant  les  emploient  pour  réguler  l’interaction  et  pour  contribuer  au  partage de la base commune, et les mères des enfants dysphasiques les emploient aussi pour améliorer la textualisation  et  la  planification  et  permettre  la  poursuite  de  l’échange.

Comme   nous   l’avons   vu   précédemment,   Rezzonico   et al. (2014) ont observé des dyades mère-enfant avec ou sans troubles du développement du langage dans diverses activités langagières. Leurs résultats indiquent que les mères des enfants dysphasiques produisent principalement des reformulations phonologiques (64,24%) alors que les mères des enfants tout-venant produisent davantage des reformulations lexicales (58,65% vs. 17,31% de reformulations phonologiques). Encore une fois, cette différence semble liée aux difficultés linguistiques des enfants qui se situent principalement aux niveaux phonologique et syntaxique. Les « reformulations », en   tant   qu’objet   discursif, sont pertinentes pour rendre compte des influences mutuelles qui se créent dans le dialogue.

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Les reformulations sont souvent considérées comme un phénomène langagier facilitant le développement langagier. Or, pour les enfants dysphasiques,   cette   relation   n’a   pas   été   observée dans certaines situations. Par exemple, aucune corrélation   n’est   observée   entre   la   production de reformulations par les parents et la production ultérieure de certaines formes linguistiques   par   les   enfants   dysphasiques   alors   qu’elle   est   observée   pour   les   enfants   tout- venant de même âge linguistique (Proctor-Williams, Fey & Loeb, 2001). Il semblerait alors que  les  reformulations  n’aient  pas  les  mêmes  effets  sur  le  discours  des  enfants  dysphasiques   même si leurs parents produisent autant de reformulations que ceux des enfants tout-venant. En revanche, en situation clinique,  comme  mode  d’intervention, la production de recasts est favorable  pour  l’acquisition  de  formes  grammaticales (cf. Chapitre III, paragraphe 3.1.3) Ces résultats contradictoires selon les situations (familiales vs. institutionnelles) ont amené Proctor-Williams & Fey (2007) a souligné le paradoxe des recasts (Fey et al., 1999). Cependant, les enfants dysphasiques sont capables de saisir les données contrastées offertes par les reformulations en dialogue notamment à la suite de reformulations lexicales (Rezzonico et al., 2014) ou en situation de rééducation orthophonique (cf. paragraphe 6.2.2).

6.1.2.2 Demandes de clarifications

Les   demandes   de   clarifications   signalent   à   l’interlocuteur   qu’il   y   a   une   panne   conversationnelle qui doit être réparée pour le maintien de la communication. Les recherches analysant ce type de demandes travaillent le plus souvent sur des données contrôlées par l’expérimentateur   notamment   pour   voir   comment   l’interlocuteur   réagit   à   ces   demandes   de   clarification.  Mais  il  est  relativement  rare  d’observer  ce  type  de  conduite  en  situation  naturelle   notamment dans des interactions adulte-enfant dysphasique. Yont, Hewitt & Miccio (2002) ont observé des dyades mère-enfant  avec  (N=12)  et   sans  troubles  du  langage   (N=12)  d’âge   moyen de 4;1 ans. Les résultats indiquent que les mères des enfants dysphasiques produisent davantage de demandes de clarification que les mères des enfants tout-venant (368 vs. 97), ce qui suggère que les enfants dysphasiques ont plus de difficultés à se faire comprendre que les enfants tout-venant. Les demandes des mères des enfants dysphasiques suivent principalement des énoncés non conventionnels au niveau phonologique (N=125), une difficulté pragmatico- discursive  (par  la  production  d’un  énoncé  ambigu  ou  d’un  pronom  employé  de  manière  sous- spécifiée, N=112) ou un rejet du contenu sémantique (N=75). Les demandes des mères des enfants tout-venant suivent principalement une difficulté pragmatico-discursive (N=31), un

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rejet  du  contenu  sémantique  de  l’énoncé  (N=30)  ou  une  erreur  lexicale  (N=24).  L’analyse  de   l’énoncé  précédent   la  demande de clarification montre que les demandes de clarification ne sont pas seulement liées à   l’intelligibilité   du   discours   des   enfants   dysphasiques   car   même   quand ils sont intelligibles, ces demandes sont fréquentes (Yont et al., 2002). Par ailleurs, les demandes de clarification montrent la façon dont   les   mères   s’adaptent   au   discours   de   leurs   enfants pour favoriser et maintenir la conversation.

En résumé, les mères des enfants dysphasiques s’ajustent  également  de  manière  minutieuse  au   discours de leur enfant. Les spécificités observées sont principalement liées aux difficultés linguistiques des enfants dysphasiques, en particulier aux niveaux phonologique et syntaxique, ce qui explique le nombre important de reformulations phonologiques et syntaxiques à un âge avancé. Ces études sont nécessaires pour les interventions professionnelles et les conduites à tenir en interaction, en observant notamment les effets sur l’interaction.

6.2 LANGAGE ADRESSE AUX ENFANTS DYSPHASIQUES EN SITUATION DE

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