M ODES D ’ INTERVENTION ORTHOPHONIQUE DANS LE CAS DES
3.3 M ETHODES COMBINANT PLUSIEURS MODES D ’ INTERVENTION
Certaines recherches ont évalué l’efficacité de traitement combinant divers modes d’intervention. Par exemple, Leonard et al. (2006) ont proposé à 25 enfants dysphasiques âgés entre 3;0 et 4;4 ans (M=3;5 ans) des traitements ciblés soit sur la 3ème personne du singulier –s (N=15) soit sur l’auxiliaire is/are/was. Ces traitements se basent sur la mise en place de deux procédures (quel que soit le groupe d’enfants). Ainsi chaque session propose aux enfants deux activités : tout d’abord, une activité de lecture d’une histoire racontée à l’aide de jouets et d’accessoires au sein de laquelle la forme cible (soit –s soit is/are/was) est produite (procédure de type stimulation ciblée), ensuite une deuxième activité au sein de laquelle l’adulte et l’enfant jouent ensemble et l’adulte reformule les énoncés de l’enfant (procédure de type ‘recast’/reformulation). 96 sessions (4 sessions par semaine) ont été proposées par enfant. Les résultats indiquent que ce mode d’intervention facilite l’emploi des formes morphosyntaxiques ciblées (même si tous les enfants ne les maîtrisent pas totalement). Les morphèmes ciblés par l’intervention sont les seuls à augmenter significativement pendant l’étude dans le discours des enfants. Mais, les effets observés sur les formes cibles favoriseraient l’acquisition d’autres morphèmes. Par exemple, le traitement focalisé sur l’auxiliaire aurait un effet sur le verbe copule confirmant ainsi d’autres études (Hedge, 1980).
D’autres recherches ont également montré l’efficacité de la combinaison des diverses techniques d’intervention comme par une méthode directe et intensive (une session de 4 heures par semaines pendant 24 semaines) mise en place par des orthophonistes pour des enfants présentant des troubles du développement du langage âgés entre 43 et 50 mois (âge moyen = 46,75 mois) ayant un retard d’au moins 1;;6 ans en compréhension et/ou en production. Les orthophonistes emploient différentes techniques : le modelage, les recasts et les imitations sur demandes. Les résultats montrent que les enfants améliorent leurs compétences langagières tant en expression (au niveau lexical) qu’en compréhension (au niveau lexical et grammatical, Gallagher & Chiat, 2009).
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Smith-Lock et al. (2013a) ont observé une méthode d’intervention combinant plusieurs techniques (l’instruction directe de type métalinguistique, la stimulation ciblée, les recasts, l’imitation sur demande) avec 19 enfants présentant des troubles du développement du langage âgés de 5 ans. Ils ont proposé des sessions d’une heure par semaine pendant 8 semaines en petit groupe. Le traitement avait pour cible les pronoms he et she, le possessif ‘s et le passé (past tense, –ed ). Les résultats indiquent qu’il y a une différence significative des performances des enfants entre les pré-test et post-test sur les formes ciblées. Toutefois, ils n’observent pas de transfert sur des formes ou des structures syntaxiques non ciblées pour lesquelles les performances semblent similaires au cours des deux périodes. Par ailleurs, le traitement a été plus efficace avec les enfants ne présentant pas de troubles articulatoires. En effet, six enfants n’améliorent pas leurs performances malgré les traitements et cinq d’entre eux ont des troubles articulatoires qui interfèrent avec la production des formes cibles. Plusieurs facteurs sont exposés pour expliquer l’efficacité du traitement selon les auteurs : l’identification des formes grammaticales dont l’enfant a besoin et donc propre à chaque sujet, la présentation répétée de modèles de la forme cible suivie de multiples opportunités pour chaque enfant de produire les formes cibles, les feedbacks des praticiens et l’opportunité donnée aux enfants de s’auto-reformuler. Par ailleurs, en proposant les mêmes traitements mais à des fréquences différentes (18 enfants dans un groupe à exposition ‘massive’ auxquels il a été proposé 1 session par jour pendant 8 jours et 13 enfants dans un groupe à exposition ‘distribuée’ auxquels il a été proposé 1 session par semaine pendant 8 semaines), ils ont remarqué que les enfants du groupe à exposition ‘distribuée’ ont présenté de meilleures performances que ceux du groupe à exposition ‘massive’ (Smith-Lock et al., 2013b). L’analyse par sujet a montré que le traitement a eu un effet positif sur 46% des enfants du groupe à exposition ‘distribuée’ et sur 17% des enfants du groupe à exposition ‘massive’. Ainsi, pour les enfants présentant des troubles du développement du langage, le traitement proposé est plus efficace à une fréquence hebdomadaire (vs. quotidienne).
La fréquence d’exposition a également été observée pour l’acquisition de mots nouveaux. Comme nous l’avons vu précédemment avec l’étude de Gray (2003), pour acquérir de nouveaux mots, les enfants dysphasiques ont besoin d’être exposés à ces mots plus fréquemment que les enfants sans troubles du langage. Certaines recherches se sont alors intéressées à l’effet de la fréquence de l’input pour l’acquisition des mots dans le cadre des
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troubles du développement du langage (Rice et al., 1994, Windfuhr et al., 2002, Riches et al., 2005). Ces études s’inspirent principalement des travaux effectués en acquisition du langage. En effet, la fréquence (fréquent vs. rare) et le type d’exposition (massive vs. distribuée) d’items (principalement des noms et des verbes) ont été observés chez des enfants sans troubles du langage âgé entre 1;0;21 et 1;3;15 an (Swartz & Terrell, 1983) et de 2 ½ ans (Childers & Tomasello, 2002). La première étude montre que les enfants apprennent davantage de mots présentés fréquemment que ceux présentés rarement (44% vs. 29%). Toutefois, pour un même nombre de présentation, l’exposition distribuée est plus efficace que l’exposition massive d’un mot. Childers & Tomasello (2002) ont également constaté que la production de nouveaux noms est facilitée par le nombre de jours différents d’exposition (méthode distribuée). Par exemple, une présentation par jour pendant 4 jours consécutifs est plus efficace que deux présentations par jour pendant 2 jours qui est elle-même plus efficace que quatre présentations en 1 jour. Par ailleurs, la répartition temporelle des expositions, c’est-à-dire une méthode distribuée, a un effet sur la mémorisation de l’information.
La littérature présente les enfants dysphasiques comme ayant des difficultés à mémoriser l’information et les mots nouvellement acquis (Parisse & Mollier, 2008, Rice et al., 1994). Ainsi, en se basant sur les données observées en acquisition du langage et les difficultés des enfants dysphasiques, Riches et al. (2005) se sont demandés si la fréquence et l’écart temporel des expositions a un effet sur l’acquisition des verbes par les enfants dysphasiques. Ils ont observé 24 enfants dysphasiques âgés de 5;6 ans en moyenne et 24 enfants tout-venant de même niveau linguistique âgés de 3;;4 ans en moyenne. Pour évaluer l’acquisition des verbes nouveaux par ces enfants, deux facteurs ont été combinés à savoir la fréquence (12 vs. 18 occurrences) et l’écart temporel des expositions (‘présentation massive’ vs. ‘présentation distribuée’ répartie sur 4 jours). Quatre conditions expérimentales ont été constituées : 1) 12 présentations massives ([-fréquent, -distribué]), 2) 18 présentations massives ([+fréquent, - distribué]), 3) 12 présentations espacées (soit 3 présentations par jour ; [-fréquent, +distribué]), 4) 18 présentations espacées (soit 4 ou 5 présentations par jour, [+fréquent, +distirbué]). Les expérimentations ont été mises en place dans des situations de jeux. Les expérimentateurs ont présenté aux enfants quatre nouveaux verbes formés d’une structure syllabique de type CVC (dack, tam, meek et gorp). Les résultats indiquent que la condition [+ fréquent, + distribué] a un effet significatif sur l’acquisition des verbes chez les enfants
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dysphasiques mais n’a pas d’effet significatif pour le groupe des enfants tout-venant de même niveau linguistique. Quelle que soit la condition, il y a un effet de la fréquence seulement pour les enfants dysphasiques et en compréhension (vs. production). Par ailleurs, l’effet des expositions distribuées est davantage marqué pour les enfants dysphasiques, puisque leurs performances en compréhension et en production sont meilleures dans la condition [+ distribué] que lors d’une exposition massive. Le facteur d’exposition ‘distribuée’ serait donc plus fort que celui de la fréquence. Par exemple, les performances des enfants dysphasiques sont supérieures dans la condition [-fréquent, +distribué] (c’est-à-dire 12 présentations ‘espacées’/distribuées] que dans la condition [+fréquent, +distribué] (c’est-à- dire 18 présentations ‘massives’). On peut donc considérer que l’apprentissage ‘distribué’ est favorable aux enfants dysphasiques.
Toutefois, Riches et al. (2005) constatent que les enfants dysphasiques présentent de meilleures performances d’acquisition des verbes principalement dans deux conditions différentes soit suite à une exposition fréquente et non espacée ([+fréquent, -distribué]) soit suite à une exposition espacée ([-fréquent], [+distribué]). Ce paradoxe est expliqué par le fait que les deux conditions, la fréquence intensive et l’écart temporel, font appel à des mécanismes d’acquisition différents. Ils font l’hypothèse selon laquelle la stimulation massive ([+fréquent]) facilite le développement de la représentation initiale (Fast mapping) alors que la pratique distribuée permet de consolider cette représentation. Ainsi, les auteurs préconisent la combinaison des deux ‘entraînements’, dans un premier temps basé sur la fréquence, puis des sessions d’exposition distribuée pour un contexte d’apprentissage optimal.