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T ROUBLES DU DEVELOPPEMENT DU LANGAGE

2.2 C OMPETENCES PHONOLOGIQUES DES ENFANTS DYSPHASIQUES

2.2.3 C OMPETENCES PHONOLOGIQUES : VERSANT EXPRESSIF

Deux méthodes sont principalement employées par les chercheurs pour évaluer les compétences phonologiques des enfants :  d’une  part,  une  tâche  de  répétition de pseudo-mots et  d’autre  part,  l’analyse  des  productions  de  l’enfant  dans  le  cadre  d’interaction  avec  un  adulte   (parent ou clinicien) en situation de jeu libre9. La tâche de répétition de pseudo-mots peut être employée pour évaluer différents phénomènes : la mémoire phonologique (Montgomery, 2004, Gathercole & Baddeley, 1989),   le   processus   d’accès   lexical   (Rubenstein, Garfield & Milliken, 1970), la production de parole (McCarthy & Warrington, 1984), les capacités motrices (Yoss, Gerken & Hammond, 2004)10.

La littérature relative aux troubles phonologiques des enfants dysphasiques montre  qu’il  y  a   un   retard   dans   le   développement   phonologique   et   qu’il   y   a   des   similitudes entre le profil phonologique  des  enfants  dysphasiques  et  celui  d’enfants  contrôles  plus  jeunes  (Pharr, Ratner & Rescorla, 2000). Les enfants dysphasiques et les enfants tout-venant passeraient donc par les mêmes étapes développementales   (telles   que   l’ordre   d’acquisition   des   phonèmes,   les   processus de simplifications phonologiques, Leonard, 1982, Schwartz et al., 1980), mais l’organisation   phonologique   est   plus   lente   pour   les   enfants   ayant   des troubles du développement du langage (Crystal, Fletcher & Garman, 1989). Toutefois, certaines spécificités dans les productions des enfants dysphasiques peuvent être mises en évidence.

De  manière  générale,  un  nombre  important  d’études  ont  montré  que  les  enfants  dysphasiques avaient un inventaire consonantique et vocalique plus restreint que des enfants tout-venant de même âge chronologique (Rescorla & Ratner, 1996, Pharr et al., 2000, C. P. Carson, Klee & D. K. Carson, 2003).   Par   exemple,   dans   l’étude   des   productions   d’enfants   dysphasiques   et  

9 Souvent  les  cliniciens  et  les  chercheurs  utilisent  le  terme  de  ‘langage  spontané’  pour  le  langage  employé  par  les  

enfants  dans  des  situations  d’interactions  non  contraignantes  et  par  opposition au langage induit comme lors des tests de langage.  Nous  n’employons  pas  ce  terme  ici  et  nous  en  discutons  au  Chapitre  XI.  

10 Pour une synthèse sur la manière dont cette tâche a été employée dans les différentes études, nous conseillons

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tout-venant   de   24   mois   lors   d’une   interaction   avec   leur   mère   (pendant   10   minutes,   en   jeu   libre), Rescorla & Ratner (1996) indiquent que les enfants dysphasiques produisent en moyenne 8,6 consonnes et 7,3 voyelles tandis que les enfants tout-venant produisent en moyenne 17,4 consonnes et 12,4 voyelles. Les enfants dysphasiques ont un inventaire consonantique plus restreint en produisant les consonnes suivantes : [b, d], les nasales [m,n], [h] et les semi-consonnes [w, j]. Par ailleurs, chez les enfants tout-venant, seul [ŋ]  n’est  pas   produit en position initiale mais ce qui est conforme aux caractéristiques de la langue anglaise. Cependant, trois enfants dysphasiques produisent ce phonème en position initiale, marquant ainsi une certaine spécificité et une déviance. En revanche,  il  n’y  a  pas  de  différence   significative  dans  l’usage  des  voyelles  par  les  deux  groupes  d’enfants.  De  même,  Tallal  et al. (1976) notent que les enfants dysphasiques ont plus de difficulté à produire certains phonèmes plutôt  que  d’autres,  tels  que  les  consonnes  occlusives  dans  des  syllabes  de  type  CV  ou  CVC   (vs. voyelles et consonnes nasales). Quelques erreurs en production de certaines voyelles isolées ont été observées mais ce sont principalement les voyelles courtes (vs. longues). Par ailleurs,  les  enfants  dysphasiques  qui  ont  réussi  l’ensemble  des  tests  de  perception  de  l’étude   de Tallal et al. (1976)  font  moins  d’erreurs  en  production  que  ceux  qui  n’ont  pas  réussi  un  des   tests.

Les structures syllabiques préférentielles des enfants dysphasiques sont de type V ou CV alors que celles des enfants sans troubles du langage sont de type CV ou C1VC2 (Rescorla & Ratner, 1996, Paul & Jennings, 1992, Stoel-Gammon, 1991, Whitehurst et al., 1991b, C. P. Carson, Klee & D. K. Carson, 2003). Les enfants dysphasiques emploient donc davantage de syllabes ouvertes que fermées (Mirak & Rescorla, 1998, C. P. Carson, Klee & D. K. Carson, 2003). Ils préfèrent produire des schémas moins complexes. En effet, ils ont des difficultés à réaliser les groupes consonantiques (Pharr et al., 2000, Fee, 1995), ce qui se manifeste par des omissions ou des substitutions de phonèmes.

Les travaux montrent que les résultats sont semblables que les productions soient induites ou non induites. Ces caractéristiques, notamment une intelligibilité relativement faible (Rescorla & Schwartz, 1990) et le fait de parler moins (Rescorla & Ratner, 1996), ont des effets sur l’interaction   et   leur   développement   linguistique.   Dans   les   interactions   parent-enfant, si l’enfant   parle   plus,   l’adulte   pourra   reprendre   les   paroles   de   l’enfant,   les   reformuler   et   leur  

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attribuer  un  sens  ce  qui  lui  permettra  de  développer  ses  compétences.  Or,  si  l’enfant  parle  peu   et   utilise  des  formes  inintelligibles  auxquelles  il  est   difficile  d’attribuer   un  sens,  les parents interviendront moins et les enfants ne pourront pas en tirer un bénéfice langagier (Rescorla & Ratner, 1996). Comme nous le verrons dans la section 6 de ce chapitre (cf. 6.1.1), ce phénomène se répercute sur le discours de leur interlocuteur et plus précisément sur la production de reformulation (Conti-Ramsden, 1990).

A. L. Williams & Elbert (2003)  ont   identifié  un   certain   nombre  de  critères  prédictifs  d’une   persistance des troubles phonologiques sur le long terme (cf. Tableau 3) permettant de les différencier du retard phonologique.

Tableau 3 – Variables prédictives des troubles phonologiques (extrait de A. L. Williams & Elbert, 2003 : 151)

Selon William, A.L. & Elbert (2003),  les  variables  prédisant  l’évolution  des  troubles  sont : un inventaire  phonétique  réduit,  l’usage  de  structures  syllabiques  diversifiées  limité  et l’emploi   de structures syllabiques simples, un faible score de phonèmes (principalement de consonnes) corrects (PPC inférieur à .45 à 33 mois), des erreurs fréquentes comme les jeunes enfants, un nombre  important  d’erreurs  de  substitution,  des  erreurs  inhabituelles (ou atypiques) et enfin un taux plus faible de résolution (cf. Tableau 3).

Ces diverses études montrent donc que les enfants ayant des troubles phonologiques expressifs ont un développement phonologique retardé par rapport à celui des enfants tout- venant de même âge et ils présentent quelques spécificités non observées dans les productions

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des enfants sans troubles du développement du langage. Les difficultés des enfants dysphasiques  au  niveau  phonologique  sont  également  observées  dans  d’autres  langues  comme   en grec (Petinou & Okalidou, 2006), en italien (D'Odorico et al., 2007), en russe (Kavitskaya et al., 2011), en espagnol et en catalan (Aguilar-Mediavilla, Sanz-Torrent & Serra-Raventos, 2002) et également en français (Parisse & Maillart, 2007, Maillart & Parisse, 2006, Parisse & Maillart, 2004b, Maillart et al., 2004b, Maillart et al., 2004a).

Les études portant sur le développement phonologique des enfants dysphasiques francophones montrent des difficultés semblables aux autres langues. Tout comme pour les enfants tout-venant, au fur et à mesure de leur niveau linguistique, les syllabes simples de type CV et V diminuent et les syllabes complexes de type CCV et CVC augmentent dans le discours  des  enfants  dysphasiques.  Toutefois,  ils  produisent  plus  de  syllabes  constituées  d’une   voyelle isolée et moins de syllabes complexes de type CVC que les enfants tout-venant. Toujours au niveau  syllabique,  les  enfants  dysphasiques  font  davantage  d’erreurs  par  ajout  ou   omission. Au niveau phonémique, les enfants dysphasiques ont des performances plus faibles concernant le pourcentage de phonèmes corrects (PPC), le pourcentage de consonnes correctes (PCC) et le pourcentage de voyelles correctes (PVC) que les enfants tout-venant. Toutefois,   ces   différences   deviennent   significatives   entre   les   deux   populations   à   partir   d’un   certain   niveau   langagier   c’est-à-dire   à   partir   d’une   LME (longueur moyenne des énoncés) équivalente à 3 au moins (Parisse & Maillart, 2007, Maillart & Parisse, 2004). Ce résultat est spécifique   au   français   puisqu’il   n’est   pas   observé   dans   d’autres   langues   où   les   différences   entre les deux populations sont observées pour de très jeunes enfants. En outre, les difficultés des enfants dysphasiques francophones se situent davantage au niveau phonémique que syllabique.

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