T ROUBLES DU DEVELOPPEMENT DU LANGAGE
2.3 C OMPETENCES METAPHONOLOGIQUES
La conscience phonologique se définit comme des capacités de pouvoir effectuer une analyse sur la parole par des unités plus petites, telles que le mot, la syllabe ou le phonème, et de pouvoir réaliser des opérations sur ces unités (omission, déplacement, fusion) (Chevrie- Muller, 1996a). Il s’agit donc d’une compétence métalinguistique (Gombert, 1990). L’acquisition de cette compétence est assez tardive et progressive.
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Pour évaluer les compétences métaphonologiques des enfants, divers types de tâches sont employés, tels que identifier la syllabe ou le phonème commun à deux mots (e.g. « quel est le même son long qu’on entend dans couteau et dans coussin ? », Sanchez, Magnan & Ecalle, 2007), discriminer le phonème ou la syllabe initiale / finale d’un mot ou d’un pseudo-mot en l’associant à un autre mot ou à un phonème isolé (e.g. ‘poupée ça commence par /p/ ou par /b/’, ‘on entend le même son au début de poupée et de robot’), donner un mot rimant avec un autre mot (e.g. ‘Listen to the end of the word. Think of a word that rhymes with -', J. Bird & Bishop, 1992), etc.
De manière générale, les enfants à développement typique réussissent une tâche phonémique vers l’âge de 6 ans alors que la segmentation syllabique est réussie dès 4 ans (Liberman et al., 1974, Alegria & Morais, 1989, Byrne, 1992, Morais et al., 1979). Les études portant sur les enfants dysphasiques indiquent que ces derniers ont des performances relativement faibles dans les tâches de conscience phonologique principalement au niveau phonémique (Joffe, 1998, Briscoe, Bishop & Norbury, 2001), et des scores inférieurs à ceux des enfants tout- venant de même âge chronologique (J. Bird & Bishop, 1992, Major & Bernhardt, 1998, A. Hesketh et al., 2000, Sanchez et al., 2007). Cette difficulté est plus importante lorsque le phonème cible s’inscrit dans un groupe consonantique (Leybaert et al., 2004). Elle est également intensifiée lorsque la tâche cible des mots de la langue en se centrant sur l’aspect sémantique et non métaphonologique (Sanchez et al., 2007) contrairement aux enfants tout- venant qui ne se laissent pas distraire par le sens. Les enfants dysphasiques présentent donc des difficultés à réfléchir sur la langue et à se détacher de la fonction référentielle. Il a été également montré qu’ils avaient une difficulté de la « stabilité » du phonème ce qui marquerait une difficulté à segmenter le mot en sous unité (sous-syllabique) (D. Bird, Bishop & Freeman, 1995). Toutefois, pour d’autres chercheurs, ce résultat est la preuve que les catégories phonétiques sont moins bien définies pour les enfants dysphasiques (Mody, Studdert-Kennedy & Brady, 1997).
Même si l’ensemble des recherches portant sur les compétences métaphonologiques tendent à montrer certaines difficultés des enfants dysphasiques, les profils de ces derniers ne semblent pas homogènes. Certains chercheurs montrent que ce ne serait qu’un sous groupe d’enfants dysphasiques qui auraient des faibles performances aux tâches métaphonologiques (Catts,
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Hogan & Frey, 2003). Les enfants présentant des troubles phonologiques sévères ont des difficultés à réaliser les tâches de conscience phonologique (Webster & Plante, 1995, D. Bird et al., 1995, Major & Bernhardt, 1998). Major & Bernhardt (1998) observent des différences individuelles parmi les enfants de leur étude, d’âge pré-scolaire, présentant des troubles phonologiques modérés à sévères (N=19) (comme Magnusson & Nauclér, 1989; 1993). La relation entre sévérité des troubles phonologiques et les capacités métaphonologiques n’est pas totalement établie. En effet, certains enfants ayant des scores de Pourcentage de Phonèmes Correctes (PPC) et de Pourcentage de Voyelles Correctes (PVC) relativement élevés ne peuvent pas réaliser certaines tâches métaphonologiques, alors que des enfants ayant des scores faibles de PPC et de PVC peuvent les effectuer. Ainsi, de nombreux auteurs montrent qu’il y a des ‘bons parleurs’ avec de mauvaises performances métaphonologiques et de ‘mauvais parleurs’ avec de bonnes performances métaphonologiques (A. Hesketh et al., 2000, Leitao, Hogben & Fletcher, 1997, Magnusson & Nauclér, 1993). Toutefois, Magnusson & Nauclér (1993) notent que tous les enfants n’ont pas les mêmes symptômes et que certains aspects langagiers semblent être plus importants dans le développement de la conscience phonologique que d’autres. Les enfants ayant une bonne compréhension du langage et de bonnes productions syntaxiques ont plus de chance d’avoir de bonnes performances aux tâches de conscience phonologique. De même, Major & Bernhardt (1998) indiquent que les enfants ayant de bonnes compétences soit en phonologie soit en morphosyntaxe parviennent à accomplir les tâches métaphonologiques. Ainsi, des enfants ayant des troubles phonologiques modérés et une bonne syntaxe, ont des compétences suffisantes pour réaliser des tâches métaphonologiques, mais les enfants ayant des troubles phonologiques sévères et une bonne syntaxe ne parviennent pas à accomplir des tâches métaphonologiques. Par ailleurs, le type de troubles phonologiques peut également avoir une influence sur les performances métaphonologiques des enfants (Magnusson & Nauclér, 1989; 1993) : les enfants avec des troubles syntagmatiques (‘syntagmatic disorders’ produisant des processus d’ajustement de type assimilation et métathèse) sont plus susceptibles de présenter des difficultés dans les tâches de conscience phonologique et d’avoir des difficultés au niveau du langage écrit que les enfants ayant des troubles paradigmatiques (‘paradigmatics disorders’, faisant des processus d’ajustement de type omission et substitution).
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Sanchez et al. (2007) soulignent la nécessité d’avoir des études longitudinales pour évaluer l’évolution des compétences métaphonologiques des enfants dysphasiques par rapport à celles d’enfants sans troubles du langage dans le but de déterminer si ces difficultés sont compensées avec l’âge (indiquant un simple retard dans leur développement) ou si elles perdurent dans le temps.