T ROUBLES DU DEVELOPPEMENT DU LANGAGE
5.2 L ES COMPETENCES PRAGMATIQUES
Dans la littérature portant sur les troubles du développement du langage, les aspects pragmatiques mis en évidence concernent principalement l’implication dans l’échange verbal (Conti-Ramsden & Gunn, 1986). Les enfants dysphasiques sont souvent décrits comme présentant moins d’habilités sur le plan communicationnel que les enfants tout venant de même âge (Hadley & Rice, 1991a, Conti-Ramsden, Hutcheson & Grove, 1995), même si d’autres études n’observent pas de différences significatives entre les deux populations (Fey & Leonard, 1984, Leonard, 1986b).
De nombreuses recherches se sont intéressées à la gestion adéquate des tours de parole ou des thèmes. Elles montrent que les enfants dysphasiques ont des difficultés à initier des conversations et/ou à introduire de nouveaux thèmes (J. Radford & Tarplee 2000), alors qu’ils possèdent des compétences linguistiques suffisantes (Conti-Ramsden & Gunn, 1986). Malgré une participation au dialogue similaire à celles d’enfants tout-venant lors d’interaction adulte- enfant (Conti-Ramsden & S. Friel-Patti, 1984), les enfants dysphasiques sont souvent considérés comme étant « passifs » (Conti-Ramsden et al., 1995, Hadley & Rice, 1991b, Leonard, 1986a). En dialogue, ils se positionnent le plus souvent en réaction lorsqu’ils interagissent avec leurs mères (Conti-Ramsden et al., 1995), ils produisent moins d’initiatives que leurs pairs (Conti-Ramsden & S. Friel-Patti, 1983, Hadley & Rice, 1991a) et ils ont plus de difficultés à intervenir dans la conversation (Craig & Evans, 1993). A l’inverse, d’autres recherches ont observé que les enfants dysphasiques produisaient trop d’initiatives qui apparaissaient comme inappropriées (Bishop & Adams, 1989, Adams & Bishop, 1989).
D’autres aspects ont été étudiés dans les interactions avec un enfant dysphasique, tels que la question des pannes conversationnelles (Fujiki, Brinton & Sonnenberg, 1990), la formulation
~ 119 ~
de demandes de clarification (Donahue, Pearl & Bryan, 1980), la capacité à répondre à des demandes de clarification (Brinton & Fujiki, 1982).
S’agissant des pannes conversationnelles, Fujiki, Brinton, Sonnenberg (1990) montrent que les enfants dysphasiques de 9 ans et les enfants tout-venant (de même âge ou de même niveau linguistique) produisent une proportion similaire de chevauchements en interaction avec un adulte. Lors de chevauchements initiaux (en début de tour de parole), la fréquence et le type de réaction est similaire pour les trois groupes d’enfants. En revanche, lorsque les chevauchements sont internes, les enfants dysphasiques produisent moins de réparations que les deux autres groupes d’enfants.
Les études portant sur les demandes de clarification se sont intéressées aux réactions des enfants aux demandes de clarification et à la formulation de demandes de clarification. Les enfants dysphasiques présentent plus de difficultés à répondre adéquatement aux demandes de clarification que leurs pairs. De plus, cette difficulté est plus importante lorsque dans une même séquence l’interlocuteur produit à la suite plusieurs demandes de clarification (jusqu’à trois demandes) à propos d’un même contenu. Deux hypothèses sont avancées par les auteurs : soit les enfants dysphasiques ont des difficultés à se représenter les besoins de l’interlocuteur soit ils se trouvent dans l’impossibilité de reformuler leur énoncé source ou d’ajouter les informations nécessaires permettant la compréhension à cause de leurs difficultés linguistiques (Brinton et al., 1986, Brinton, Fujiki & Sonnenberg, 1988, Fujiki et al., 1990). Lorsqu’une panne conversationnelle surgit dans le dialogue, le locuteur peut être amené à faire une demande de clarification. Il a été constaté que les enfants dysphasiques posent aussi moins de questions de clarifications que leurs pairs (S. Merrison & A. J. Merrison, 2005, Donahue et al., 1980).
De manière générale, les enfants dysphasiques présentent le même éventail d’actes de langage que les enfants tout-venant plus jeunes ou de même âge en interaction avec leur mère (Salazar Orvig & de Weck, 2008, da Silva et al., 2012). Certaines recherches se sont intéressées plus spécifiquement à la paire adjacente de type question-réponse. Même si certaines études ont montré que les enfants dysphasiques posaient moins de questions que les enfants tout-venant (Brinton & Fujiki, 1982), les chercheurs se sont davantage focalisés sur les réponses produites par les enfants dysphasiques. Globalement, ces derniers tendent à répondre par des réponses
~ 120 ~
courtes ou de manière non verbale (Rice, Sell & Hadley, 1991), et de manière moins adéquate aux questions, qu’elles soient fermées, alternatives ou partielles, que les enfants tout-venant de même niveau linguistique (Brinton & Fujiki, 1982). De plus, les enfants dysphasiques répondent moins aux sollicitations des adultes que les enfants contrôles, mais le pourcentage de non réponse n’est pas significatif (Adams & Bishop, 1989, Bishop & Adams, 1989, Bishop et al., 2000b).
Bishop et ses collaborateurs ont fait un certain nombre d’études sur les modalités de réponses des enfants présentant un troubles du développement langage en distinguant ceux présentant des troubles structuraux (par la suite, SLI) de ceux présentant des troubles pragmatiques (par la suite, PLI). Adams & Bishop (1989) ont comparé les réponses verbales ou non verbales minimales (de type ‘yes’, ‘no’ ou ‘don’t know’ ou les signes de tête ou les haussements d’épaule) et les réponses étendues (apportant des informations) de 43 enfants SLI, 14 enfants PLI âgés de 8 à 12 ans et 67 enfants sans troubles du langage âgés de 4 à 12 ans. La part des réponses verbales minimales est similaire pour tous les groupes d’enfants. Le constat est le même pour les réponses non verbales minimales. Les taux sont identiques (bien que les enfants contrôles plus jeunes présentent un taux plus élevé). Toutefois, les enfants dysphasiques ont un fort pourcentage de réponses non verbales (principalement les ‘PLI’). Les enfants PLI ne produisent pas plus d’énoncés inintelligibles que les groupes contrôles contrairement aux enfants SLI qui en produisent plus. Ce résultat est lié au fait que ces derniers ont davantage de difficultés phonologiques que les enfants PLI (Adams & Bishop, 1989). L’adéquation des réponses des enfants a également été analysée. La part de réponses inappropriées décroît avec l’âge chez les enfants tout-venant, mais ce phénomène n’est pas observé dans le discours des enfants dysphasiques. Les enfants SLI présentent un taux de réponses inadéquates plus important que les enfants tout-venant plus jeunes. Mais, ce sont principalement les enfants PLI qui ont des scores élevés de réponses inappropriées même à 12 ans (Adams & Bishop, 1989, Bishop & Adams, 1989, Bishop et al., 2000b). Cependant, la relation entre inadéquation des réponses et type de troubles (structuraux vs. pragmatiques) n’est pas nette puisqu’un enfant SLI a présenté un fort taux de réponses inadéquates, alors que les autres enfants SLI ont des scores qui se rapprochent des scores de ceux des enfants tout- venant.
~ 121 ~
Par ailleurs, même si les deux groupes d’enfants présentant des troubles (SLI et PLI) produisent moins de réponses adéquates aux questions posées par leur interlocuteur, les enfants PLI sont ceux qui réagissent le moins (absence de réponse) alors que les réponses non verbales ont également été considérées. En ce sens, ce résultat indique que les troubles pragmatiques ne sont pas directement liés aux troubles linguistiques.
Les difficultés conversationnelles des enfants dysphasiques ne semblent pas pouvoir être expliquées seulement comme des conséquences des troubles linguistiques, car les enfants qui présentent le plus de difficultés pragmatiques ne sont pas ceux qui ont le plus de difficultés linguistiques (Conti-Ramsden & S. Friel-Patti, 1984, Adams & Bishop, 1989).