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C ARACTERISTIQUES DU LANGAGE ADRESSE AUX ENFANTS DYSPHASIQUES Même si les recherches s’accordent à dire que le langage adressé aux enfants dysphasiques est

T ROUBLES DU DEVELOPPEMENT DU LANGAGE

6.1 L E LANGAGE ADRESSE AUX ENFANTS DYSPHASIQUES : LES INTERACTIONS ADULTE ENFANT

6.1.1 C ARACTERISTIQUES DU LANGAGE ADRESSE AUX ENFANTS DYSPHASIQUES Même si les recherches s’accordent à dire que le langage adressé aux enfants dysphasiques est

différent de celui adressé à des adultes, des résultats contradictoires sont observés quand on le compare au langage adressé à des enfants tout-venant. En effet, alors que certains considèrent que ce langage modulé est semblable à celui adressé à des enfants tout-venant (Conti- Ramsden & S. Friel-Patti, 1983, 1984, Rondal, 1983, Whitehurst et al., 1988, Paul & Elwood, 1991),   d’autres   estiment   qu’il   est   différent   (Cross, 1981, Piérart, 1990, Conti- Ramsden & Dykins, 1991, Conti-Ramsden et al., 1995, Keith E. Nelson et al., 1995, Piérart & A. Leclercq, 2005).

Considérons comme exemple le cas des reformulations dans le langage adressé aux enfants dysphasiques et tout-venant. Certaines recherches constatent que les parents des enfants dysphasiques reformulent également le discours de ces derniers (Fey et al., 1993, M. S. Camarata, Keith, E. Nelson & N. M. Camarata, 1994, Keith E. Nelson et al., 1996). Ces

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reformulations sont parfois décrites comme étant moins complexes (Conti-Ramsden, 1990), de nature différente (de Weck, 2001) et moins fréquentes que celles adressées à des enfants tout-venant (Conti-Ramsden, 1990, Keith E. Nelson et al., 1995).   Cependant,   d’autres   recherches ont montré que les mères des enfants dysphasiques présentent davantage de conduites étayantes au niveau linguistique, en privilégiant les reformulations, que les mères des enfants tout-venant de même âge chronologique ou plus jeune (Ingold et al., 2008, nous reviendrons sur la question des reformulations au  paragraphe  6.1.2).  D’une  recherche  à  une   autre, des similarités ou des différences sont observées.

Ces  divergences  s’expliquent  en  partie  par  des  différences  méthodologiques.  Certains  travaux   étudient des enfants dysphasiques et des enfants tout-venant appariés selon le niveau linguistique   ou   selon   l’âge   chronologique.   De   plus,   les   populations   observées   ne   sont   pas   toujours comparables (McTear & Conti-Ramsden, 1992). Certaines études regroupent dans une même population des enfants présentant des profils très hétérogènes. En outre, si on regardait ces résultats dans une perspective   interactionniste,   on   s’intéresserait   à   l’effet   d’autres  aspects,  tels  que  l’activité  ou  l’interlocuteur.  En  effet,  l’étayage varie en fonction de l’activité  (Ingold et al., 2008). Dans ce cas, les résultats divergents peuvent être induits par le fait que les activités ne sont pas les mêmes.

De manière générale, les recherches tendent à montrer une certaine similarité entre le langage adressé aux enfants dysphasiques et aux enfants tout-venant et les principales spécificités observées sont le plus souvent liées à leurs difficultés linguistiques. Ainsi, Vigil, Hodges & Klee (2005) considèrent que les productions des mères des enfants dysphasiques sont semblables sur le plan quantitatif mais diffèrent sur certains aspects conversationnels.

Parmi les similarités relevées entre les deux types de dyades, on peut relever un débit de parole plus lent ou une syntaxe plus simple (cf. Chapitre I, paragraphe 2.1). Nous ne revenons pas sur ces caractéristiques qui ont déjà été décrites au chapitre précédent. Nous nous centrons seulement sur les spécificités observées dans les dyades mère-enfant dysphasique.

Dans un dialogue,  les  locuteurs  peuvent  soit  avoir  l’initiative  de  l’échange en introduisant, par exemple, de nouveaux thèmes dans   le   discours   soit   réagir   au   discours   de   l’autre.   Ces   mouvements dialogaux ont souvent été décrits pour observer la manière dont les mères ou les pères interagissent avec leurs enfants avec ou sans troubles du développement du langage

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(Conti-Ramsden et al., 1995, Vigil et al., 2005). Certaines études montrent que les parents des enfants dysphasiques réagissent moins au discours de leurs enfants que les parents des enfants tout-venant (Yoder & Warren, 1998, Vigil et al., 2005). Cette spécificité serait liée au fait que les enfants présentant des troubles du développement du langage parlent moins (deux fois moins   d’énoncés)   que   les   enfants   tout-venant (Vigil et al., 2005). Leurs parents ont alors moins   d’occasions d’intervenir.   Les   parents   des   enfants   dysphasiques   produisent   proportionnellement  plus  d’initiatives  que  de  réponses  alors  que  les  parents  des  enfants  tout- venant  produisent  moins  d’initiatives  et  plus  de  réponses.  Ce  résultat  suggère que les parents des enfants tout-venant  s’engagent  davantage  dans  la  conversation  en  suivant  le  discours  de   leurs enfants et en maintenant le thème, et que les parents des enfants dysphasiques introduisent  plus  souvent  de  nouveaux  thèmes  dans  l’échange  conversationnel. En produisant davantage   d’initiatives,   ils   font   plus   d’efforts   pour   les   impliquer   dans   l’échange.   Or,   ces   initiatives peuvent provoquer une sorte de boucle inadéquate de feedback (« inadequate feedback loop », Tannock & Girolametto, 1992). En effet, les enfants dysphasiques ont besoin de plus de temps pour traiter les informations mais les enfants ne réagissant pas, les mères changent de sujet en initiant  un  nouveau  thème.  Ce  nouvel  objet  d’attention  détourne  l’enfant   du thème précédent. Si ces changements de thème sont trop fréquents, cela peut créer un effet de « contre-étayage »  et  empêcher  l’enfant  de  s’inscrire  dans  le dialogue.

Une autre caractéristique observée dans le discours des parents des enfants dysphasiques est la directivité (Conti-Ramsden, 1990, Conti-Ramsden, 1994, McTear et Conti-Ramsden, 1996, Rescorla & Fechnay, 1996). Les enfants dysphasiques sont décrits comme étant moins actifs dans  l’interaction  que  les  enfants  tout-venant.  Par  exemple,  ils  produisent  moins  d’initiatives   (cf. paragraphe 5.2). Les parents s’ajustent   au   style   interactionnel   de   leurs   enfants   en   étant   plus directifs. Ce style plus directif aurait pour fonction de combattre la « passivité » de leurs enfants   et/ou   d’attirer   leur   attention   dans   l’activité   ou   dans   l’échange. La directivité se manifeste  par  la  production  d’un  nombre  plus  important  d’initiatives  (Conti-Ramsden, 1990) et   l’emploi   d’actes   de   langage contraignants, du point de vue conversationnel, tels que des demandes ou des impératifs. Lorsque ces actes initient un échange alors les adultes dirigent les enfants dans le dialogue,   et,   lorsqu’ils   suivent   leur   discours   en   posant   des   questions,   ils   favorisent la communication (Rescorla & Fechnay, 1996). Par ailleurs, les questions adressées aux   enfants   dysphasiques   en   dialogue   sont   différentes   dans   la   forme   et   n’ont   pas   la   même  

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fonction que celles posées aux enfants tout-venant : les adultes adressent davantage de questions  partielles  aux  enfants  dysphasiques  pour  qu’ils  participent  au  dialogue  alors  qu’ils   produisent davantage de questions fermées en interaction avec des enfants tout-venant dans le but de confirmer leur énoncé (de Weck, 2001).

Cependant, on ne relève pas systématiquement des conduites plus directives de la part des mères des enfants dysphasiques. En effet, en observant des dyades mère-enfant avec ou sans troubles du langage âgé entre  5  et  7  ans,  interagissant  autour  d’un  jeu  de  devinette  par  indices,   Salazar Orvig & de Weck (2008) constatent que les mères des enfants dysphasiques ne présentent pas de conduites plus directives que les mères des enfants tout-venant. Au sein de chaque type de dyade, il y a autant de mères très ou peu « questionnantes ». En outre, les mères des enfants tout-venant tendent à faire plus de requêtes  ou  d’ordres  que  les  mères  des   enfants dysphasiques. En revanche, dans cette situation, ces dernières ont recours aux gestes de manière plus fréquente que les mères des enfants tout-venant de même âge chronologique, notamment pour redoubler la signification de leurs productions verbales (de Weck et al., 2010, da Silva & Rahmati, 2010). La multimodalité a une double fonction dans le discours de ces mères :   d’une   part,   la   mise   en   place   d’une   stratégie sémiologique (la production de gestes), similaire à celle de leurs enfants, manifestant ainsi un accordage avec leur interlocuteur,  et  d’autre  part,  elles  s’assurent  que  leur  discours  soit  bien  compris  par  l’enfant   en lui apportant le même sens de manière non verbale (de Weck et al., 2010).  Elles  s’ajustent   donc à leur niveau linguistique et à leurs éventuelles difficultés langagières.

Précédemment, nous avons vu que les parents des enfants dysphasiques réagissaient moins au discours de leur enfant (Conti-Ramsden, 1990, Vigil et al., 2005). Malgré ce nombre, leurs réactions présentent des spécificités. Observons plus précisément les caractéristiques de ces réactions.

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