M ODES D ’ INTERVENTION ORTHOPHONIQUE DANS LE CAS DES
3.4 I NTERVENTIONS ORTHOPHONIQUES ET ACTIVITES LANGAGIERES
Ces recherches montrent que les méthodes mixtes, constituées de divers modes d’intervention, sont efficaces dans le cas des troubles du développement du langage (Jacoby et al., 2002). Une étude a montré que les techniques employées par les orthophonistes étaient souvent influencées par les activités en cours et que loin d’être opposée, elles peuvent être complémentaires. Cette étude a déjà été présentée en partie dans le Chapitre précédent (cf. Chapitre II, paragraphe 6.2.1). Bruce, Hanson & Nettelbladt (2007) ont observé le style interactionnel et les stratégies de sollicitation d’orthophonistes en interaction avec des enfants
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TDL dans deux conditions : une conversation où la seule consigne donnée était d’encourager l’enfant à parler de photos de famille, d’images ou de jouets l’intéressant, et un exercice de grammaire portant sur une forme ou une structure syntaxique particulière. Chaque orthophoniste (N=7) interagit avec un enfant TDL (N=11) âgé entre 3;6 et 5;0 ans (âge moyen de 4;3ans). Au total, 22 interactions ont été enregistrées (2 enregistrements par dyades). Dans le cadre de l’exercice, les orthophonistes utilisent significativement plus la structure cible que dans l’autre situation mais ce n’est pas le cas pour les enfants. Dans la conversation, ces derniers parlent davantage, ont un MLU (en nombre de mots) plus élevés. S’agissant des stratégies employées par les orthophonistes, des différences en fonction de l’activité sont observées. En effet, en conversation, les orthophonistes font davantage de feedback et suivent davantage le focus attentionnel des enfants que lors d’un exercice de grammaire. En revanche, dans cette activité, le degré des sollicitations produites par les orthophonistes est plus élevé. En effet, ils / elles demandent plus souvent aux enfants d’exécuter des actions. Les formes à l’impératif sont plus nombreuses lors de l’exercice qu’en conversation. Ces sollicitations sont principalement observées lorsque les orthophonistes offrent une cible grammaticale en modèle (par exemple, les prépositions). Suite à cette offre, ils / elles demandent à l’enfant de placer les jouets en fonction de la forme cible dans différentes positions. Les questions sont présentes tant en conversation qu’en exercice. Ces auteurs considèrent que ces deux situations sont totalement complémentaires pour le traitement des troubles du développement du langage. Par ailleurs, ils mettent en évidence l’importance des relations sémantiques des énoncés des orthophonistes avec ceux des enfants (Bruce et al., 2007).
Les activités observées dans l’étude de Bruce, Hanson & Nettelbladt (2007) ont des caractéristiques conversationnelles différentes et par conséquent les orthophonistes interviennent différemment. Dans le cadre d’une autre recherche portant sur les interactions orthophoniste-enfant dysphasique, Rodi (2011) s’est interessée à la situation de jeu symbolique. Elle a montré que cette situation était propice à la mise en place d’échanges de type ‘Séquences Potentiellement Acquisitionnelles’ (de Pietro et al., 1989, cf. Chapitre II, paragraphe 6.2.2) notamment par la participation active des enfants dysphasiques à l’activité. Elle a mis en évidence différentes stratégies de la part des orthophonistes dans ces échanges telles que les hétéro-reformulations ou hétéro-répétitions, fréquemment, auto-initiées par les
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orthophonistes et les ébauches ou les demandes de complétion pouvant atteindre tous les aspects linguistiques (phonologique, morphosyntaxique, lexical, pragmatique et discursif). De plus, ces stratégies pouvaient être rendues plus saillantes par des accroissements de l’intensité ou un allongement sur la syllabe ou le phonème problématique, avec un geste de type Borel- Maisonny (Borel-Maisonny, 1966a), avec une segmentation syllabique, un ralentissement du débit. Ces observations rejoignent celles de Bruce et al. (2007) sur les interactions orthophoniste-enfant lors de conversation.
Une autre étude a également observé deux méthodes d’intervention différentes selon que les interventions des orthophonistes sont contextualisées ou décontextualisées (S. L. Gillam, R. B. Gillam, Reece, 2012). Dans le cadre des interventions contextualisées (CLI), le traitement proposé utilise de multiples entraînements à des formes et/ou des structures cibles à partir de diverses activités, qui ont un sens et qui se réfèrent de manière cohérente à des personnes, des objets et des actions. Lors de ces activités, le clinicien offre des modèles et sollicite des structures langagières. Ce traitement se base sur une approche socio-interactionniste qui considère que l’enfant apprend grâce à des locuteurs plus compétents qui lui offrent des modèles et lui apportent une forme d’assistance dans des interactions naturelles et familières et non de manière isolée. Une des caractéristiques importante dans ce traitement est la continuité thématique entre les interventions de l’enfant et ceux de l’adulte. Dans le cadre des interventions décontextualisées (DLI), il est proposé aux enfants une série d’activités courtes ciblant des formes et des structures syntaxiques spécifiques. Au sein de ces activités, il y a très peu de continuité thématique entre les interventions de l’adulte et de l’enfant. Par exemple, ils utilisent une activité au sein de laquelle l’enfant doit décrire une image en utilisant le past-tense puis une autre activité où il doit expliquer la différence ou le point commun entre deux termes. L’étude a porté sur trois groupes d’enfants : un groupe d’enfants TDL ayant un traitement de type CLI (N=8, âge moyen=7;;8), un groupe d’enfants TDL ayant le traitement de type DLI (N=8, âge moyen= 7;;11) et un groupe d’enfants TDL contrôles sans traitement (pendant une période de vacances, n=8, âge moyen=7;10). Tous les enfants présentent les mêmes performances au début de l’étude. Les résultats montrent que les enfants ayant reçu un traitement de type CLI ou DLI présentent des performances plus élevées en post-test pour les mesures grammaticales et discursives que les enfants du groupe contrôle. Par ailleurs, le traitement de type CLI a eu plus d’effets sur les compétences des
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enfants que celui de type DLI. Il semblerait alors que le traitement, se focalisant sur diverses formes et structures langagières dans des activités ayant un sens et un fort degré de continuité thématique, présente une meilleure efficacité que des traitements se focalisant sur des formes décontextualisées (S. L. Gillam, R. B. Gillam, Reece, 2012). Ces résultats confirmeraient ainsi ceux déjà observés de Swanson et al. (2005). Cette étude montre que l’imitation de phrases et l’aspect décontextualisé de ce type de traitement n’améliore pas l’utilisation de formes grammaticales ciblées pour des enfants d’âge scolaire présentant des troubles du développement du langage.
Certaines recherches se sont ainsi intéressées davantage aux propriétés de l’interaction qui favorisent le développement langagier. Robertson & Ellis Weismer (1999) ont évalué les effets d’une intervention interactive prise en charge par des orthophonistes sur des enfants présentant un retard expressif ou réceptif de langage âgé de 21 à 30 mois (m=25,6 mois, N=11, groupe expérimental) comparé à un groupe contrôle (N=10) de même âge (m=24,6 mois) en attente d’un traitement. Ces séances durent 75 minutes chacune et sont proposées deux fois par semaine pendant 12 semaines aux enfants du groupe expérimental. Ce sont des séances en petit groupe avec au maximum 4 enfants. Le traitement interactif proposé met l’enfant au centre de l’intervention et se focalise principalement sur le vocabulaire et sur la combinaison de 2 à 3 termes dans un énoncé à travers différentes techniques. Celles-ci sont fortement liées aux productions, aux actions des enfants et au contexte d’interaction en décrivant verbalement les actions de l’enfant ; en répétant leurs productions et en ajoutant une information sémantique ou grammaticale pertinente (expansion), en reformulant leurs propos (recasts) et en rendant plus saillant le vocabulaire ciblé en le positionnant en début ou fin d’énoncé, par exemple. Suite au traitement, il a été constaté que les performances des enfants se sont améliorées notamment au niveau lexical avec un répertoire lexical et une diversité lexicale plus grande en interaction, au niveau morphosyntaxique avec une longueur moyenne des énoncés plus grande.
Par ailleurs, Robertson & Ellis Weismer (1999) ont observé des effets indirects de ce traitement interactif sur d’autres niveaux de fonctionnement du langage sur les compétences phonologie avec un pourcentage d’énoncés intelligibles supérieur en post-test qu’en pré-test (cf. 3.1.2, Girolametto et al., 1997) ou sur les habiletés sociales. Ce type de recherche a notamment permis de mettre en place des guidances parentales où des cliniciens aident les
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parents à interagir avec leur enfant et leur donnent les moyens d’intervenir par certaines techniques telles que les recasts, les expansions, etc. (par exemple, le programme Hanen, cf. Girolametto & Weitzman, 2006, ou le current parent focused early intervention, cf. Ciccone et al., 2012). Ces programmes ont montré la pertinence de mettre en place une guidance parentale notamment pour le développement lexical et les compétences interactionnelles.