• Aucun résultat trouvé

R EACTIONS DES ADULTES AU LANGAGE DES ENFANTS : FEEDBACK , REPRISE REPETITION , REFORMULATION

L E ROLE DES INTERACTIONS SOCIALES DANS LE DEVELOPPEMENT DU LANGAGE

1.1 « L A LOI GENERALE DU DEVELOPPEMENT CULTUREL »

2.1 C ARACTERISTIQUES DU LAE

2.1.1 R EACTIONS DES ADULTES AU LANGAGE DES ENFANTS : FEEDBACK , REPRISE REPETITION , REFORMULATION

Alors que les travaux portant sur les conduites des adultes en interaction avec un enfant sont abondants,  ceux  qui  s’intéressent  aux  enchaînements  entre  le  discours  des enfants et celui des mères sont plus rares (Veneziano, 1987a, Veneziano, 1997a). Ce sont principalement les recherches   s’inscrivant   dans   une   perspective   interactionniste   qui   se   sont   centrées   sur   la  

~ 59 ~

relation entre les productions des enfants et celles des adultes. Un des phénomènes le plus étudié est celui des reprises.

Deux formes de reprises sont distinguées : les répétitions et les reformulations ou « recasts »6. (Chouinard & Clark, 2003 ; de Weck, 2006, Conti-Ramsden, 1990 ; Saxton, 2005). Dans les interactions adulte-enfant,  ce  sont  les  formes  d’hétéro-répétitions ou  d’hétéro-reformulations qui ont intéressé les chercheurs principalement,  c’est-à-dire  la  manière  dont  l’adulte  reprend   les  propos  de  l’enfant.   La  première  forme  consiste  en  une  reprise   à  l’identique  d’une  partie   (répétition partielle) ou de la totalité (répétition totale)  d’un  énoncé  précédent  de  l’enfant.  La   reformulation se définit comme une reprise partielle ou totale avec une modification de la forme   ou   de   la   structure   linguistique   tout   en   gardant   le   même   sens   que   celui   de   l’énoncé   source (Chouinard & Clark, 2003 ; Saxton, 2005 ; de Weck, 2006). Les reformulations sont produites plus souvent suite à des énoncés non conventionnels (Chouinard & Clark, 2003). Elles  sont  donc  décrites  comme  une  forme  de  retour  sur  une  production  de  l’enfant  et  comme   une   source   d’informations   linguistiques qui lui permettront de produire une forme conventionnelle par la suite (Clark & de Marneffe, 2012).

Les répétitions et les reformulations sont fréquentes dans le discours des adultes en interaction avec de jeunes enfants (Bernicot, Salazar Orvig & Veneziano, 2006) en fonction de son développement langagier. En effet, les adultes tendent à reformuler davantage le discours des tout   jeunes   enfants   et   à   répéter   plus   fréquemment   leur   discours   qu’à   l’âge   pré-scolaire ou scolaire (de Weck, 2010b).

Même  si  elles  reprennent  les  propos  d’autrui,  les  répétitions et les reformulations véhiculent différentes fonctions dans le dialogue (Bernicot et al., 2006).  Elles  permettent  de  s’accorder   sur  la  forme  linguistique  et  sur  les  intentions  communicatives  de  l’interlocuteur  ainsi  que  de   construire les connaissances partagées entre les locuteurs (Clark, 2006, Bernicot & Clark, 2009). Ainsi, deux principales fonctions sont attribuées à ces phénomènes langagiers :  d’une   part,   ratifier   la   contribution   d’autrui,   et   d’autre   part   inclure   la   nouvelle   information   dans   la   base commune ou les connaissances partagées (Bernicot & Clark, 2009, Clark & Bernicot, 2008). Les reformulations offertes aux enfants lors des interactions permettent également de

6 Dans la littérature, on retrouve fréquemment les termes de reformulation ou de « recast ». Dans la mesure où

leurs définitions présentent des caractéristiques similaires, nous emploierons de manière indifférenciée ces deux termes.

~ 60 ~

présenter un modèle de production verbale (de Weck, 2006 ; Saxton, 2005, Chouinard & Clark, 2003).   La   proposition   de   l’adulte   sert   alors   de   données contrastées pour   l’enfant   (Saxton, 2000, Saxton, 1997)   entre   les   deux   formes   successives   d’un   même   syntagme   en   continuité  avec  la  production  de  l’enfant.

Les répétitions et les reformulations sont souvent décrites dans la littérature comme favorisant le  développement  langagier,  notamment  en  raison  de  l’attention  portée  par  les  enfants  à  ces   phénomènes de reprises. Cette attention se manifeste par la répétition (uptake) de la forme offerte  ou  par  des  acceptations  explicites  du  discours  de  l’adulte  (Chouinard & Clark, 2003, Clark & Chouinard, 2000, Demetras, Post & Snow, 1986, Farrar, 1992, Saxton, 2000). Il y a alors  un  travail  d’appropriation  de  la  part  des  enfants.  Veneziano  (1997b) a montré le rôle de la  reprise  ou  de  l’imitation  dans  les  échanges  conversationnels entre une mère et son enfant pour le développement langagier.

Exemple 2 – Echanges mère-enfant extrait de Veneziano (2009) : 4

Cas 1 Cas 2

En effet, elle a mis en évidence 1) le rôle de la reprise par  l’enfant  (E2)  de  l’interprétation  de   la  mère  (M1)  de  l’énoncé  source  de  l’enfant  (E1  dans  l’échange E1-M1-E2, E1=E2, cf. cas 1, Exemple 2)  pour  l’acquisition  lexicale,  et  2)  le  rôle  de  la  reprise  imitative  d’un  autre  mot  non   produit  précédemment  par  l’enfant  et  présent  dans  l’énoncé  de  son  interlocuteur  (E2  ≠  E1,  cf.   cas 2, Exemple 2), pour le développement syntaxique et  la  production  d’énoncés  à  plusieurs   mots.  Dans  les  deux  cas,  l’enfant  porte  une  attention  particulière  sur  un  segment  linguistique   produit  par  la  mère  dans  le  cadre  d’un  contexte  pragmatico-discursif.

Bernicot & Clark (2009) ont observé des dyades mère-enfant âgé de 2;3 ans (N=24) et de 3;6 ans (N=17) en situation naturelle. Les phénomènes de reprises sont fréquents, que les enfants soient âgés de 2;3 ans ou de 3;6 ans. En effet, les mères produisent  plus  d’une  répétition  par   minute (1,19 répétition avec les enfants âgés de 2;3 ans et 1,45 répétition avec les enfants de 3;;6   ans).   En   revanche,   ces   répétitions   n’ont   pas   les   mêmes   fonctions   dans   les   échanges   conversationnels selon   l’âge   des   enfants.   Effectivement,   à   2;;3   ans,   les   mères   vérifient   l’intention   communicative   de   leurs   enfants   ou   reformulent   leurs   propos   en   proposant   une  

~ 61 ~

forme   linguistique   conventionnelle   alors   qu’à   3;;6   ans,   elles   répètent   le   discours   des   enfants pour  ratifier  l’énoncé  ou  ajouter  une  nouvelle  information.  Les  reprises  dans  les  interactions   mère-enfant   n’ont   donc   pas   les   mêmes   fonctions.   En ce sens, il   s’agit   d’un   processus   dynamique  qui  s’adapte  aux  besoins  des  enfants.

De nombreuses études montrent que les types de reformulations varient  en  fonction  de  l’âge   des enfants également. En effet, les adultes tendent à se focaliser davantage sur des aspects phonologiques avec les jeunes enfants. Puis la part de ces reformulations phonologiques diminue et celle des reformulations lexicales augmente dans les interactions (Clark & Chouinard, 2000, Leroy-Collombel, 2009).   Par   ailleurs,   lors   de   l’observation   d’une   dyade   mère-enfant, Leroy et al. (2010) ont constaté que, entre 1;09 et 2;04 ans, la mère reformule de moins   en   moins   directement   le   discours   de   l’enfant   et   elle   le   sollicite   davantage   à   s’auto- reformuler.   L’analyse   des   données   montre   une   augmentation   d’auto-reformulations dans le discours   de   l’enfant. Les demandes de reformulations facilitent alors la construction discursive (Salazar Orvig, 2000). Les énoncés conventionnels sont de plus en plus co- construits dans le dialogue au  fur  et  à  mesure  du  développement  langagier  de  l’enfant.  

Après avoir analysé le discours des mères, Bernicot & Clark (2009) ont également observé le troisième   tour   de   parole   dans   l’échange   conversationnel qui suit les répétitions des mères. Suite à ces répétitions, les enfants reprennent une  partie  ou  l’ensemble  de  l’énoncé  de  l’adulte   dans  60,15%  des  cas  à  2;;3  ans  et  dans  49,20%  des  cas  à  3;;6  ans.  Ces  répétitions  n’ont  pas  les   mêmes  fonctions  selon  l’âge  de  ces  derniers.  A  2;;3  ans,  elles servent à ratifier le discours des mères  alors  qu’à  3;;6  ans,  elles permettent d’offrir  une  nouvelle  information  et  de  poursuivre  le   discours.  Les  enfants  s’approprient  donc  le  discours  d’autrui  pour  poursuivre  l’échange  ainsi   que les règles formelles du langage en répétant les formes conventionnelles offertes par les reformulations (Veneziano, 1998).

Ces recherches montrent la nécessité de  considérer  le  discours  de  l’adulte  et  celui  de  l’enfant   de manière complémentaire et non isolée, comme le font de nombreuses études. Par exemple, Veneziano (1997a, 1997b) étudie la manière dont les interprétations de la mère (par des phénomènes   d’expansion ou   d’extension)   et   d’imitation   de   l’enfant   dans   des   échanges   conversationnels réciproques (vs.   des   échanges   d’imitation   simple)   créent   des   conditions   favorables  à  l’acquisition  du  premier  lexique.  

~ 62 ~

Les échanges conversationnels qui se construisent entre un adulte et un enfant évoluent progressivement en fonction des connaissances linguistiques de ce dernier. Veneziano (2009) a  distingué  quatre  types  d’échanges  en  fonction  du  type  de  réaction  de  la  part  de  l’enfant :

i. l’enfant  ne  poursuit  pas  l’échange. Celui-ci est alors constitué de deux tours de parole de  l’enfant  et  de  la  mère : E1-M1.  Ce  type  d’échange  est  dominant  jusqu’à  14-15 mois. ii. il  poursuit  l’échange par une auto-reprise du mot produit précédemment : E1-M1-E2 où   E2=E1   (cas   d’échange   réciproque,   cf.   cas   1,   Exemple 2).   Ce   type   d’échange   est   fréquent  jusqu’à  16  -18 mois.

iii. il   poursuit   l’échange par une hétéro-reprise d’un   mot   produit   précédemment   par   l’adulte : E1-M1-E2  où  E2≠E1  (cas  d’échange  discursif,  cf.  cas  2,  Exemple 2).

iv. il  poursuit  l’échange par  une  production  spontanée  d’un  nouveau  mot : E1-M1-E2-M2 où  E2≠E1≠M1  (cas  d’échange  discursif).

Les échanges discursifs (cas iii et iv) deviennent plus fréquents à partir de 16-18 mois (Veneziano, 2009).  Progressivement,  l’enfant  parvient  à  se  décentrer  tout  d’abord  de  sa propre production,   puis   de   celle   de   sa   mère.   Les   conduites   de   la   mère   et   de   l’enfant   reflètent   l’engagement   mutuel   des   locuteurs   dans   l’interaction   et   l’attention   partagée   sur   un   même   élément  lexical.  Les  échanges  d’imitation  simple  ne  corrèlent  pas  avec le  rythme  d’acquisition   lexical entre 14 et 17 mois (Veneziano, 1997a). Ces résultats signifient que ce sont les enchaînements discursifs sur  un  même  objet  d’attention   partagé  par  les locuteurs qui aident les   enfants   dans   leur   développement   langagier.   Ce   n’est   pas   seulement   la   façon   dont   les   adultes interagissent avec les enfants qui doit être considérée, mais ce sont aussi les capacités des adultes à fournir des interprétations aux énoncés des enfants et les capacités de ces derniers  d’y  répondre  qui  doivent  être  étudiées  dans  les  processus  acquisitionnels (Veneziano, 2009).

Outline

Documents relatifs