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Chapitre 4- Comprendre les angoisses chez les enfants allophones qui entrent

4.3 Comprendre les angoisses à travers le lien d’attachement

4.3.2 La qualité de l’attachement à l’école

Depuis les années 1990, le lien d’attachement entre les enfants et leurs enseignant-e-s et éducateurs interroge les chercheurs. Diverses méthodes d’évaluation de l’attachement des enfants à leurs enseignant-e-s et à leurs pairs ont connu le jour dont celle de Bretherton et son équipe (Bretherton et al. 1990 ; Bretherton, 2008), l’Attachment Story Completion Task (ASCT) est la plus réputée. Elle renseigne sur les modèles internes opérants des enfants (Bowlby, 1978) avec leurs figures d’attachement, mesurés à partir d’histoires à compléter par les enfants (Bretherton, 2008 ; Miljkovitch et al., 2003)47.

Les travaux qui mettent en pratique l’ASCT montrent que les enfants ayant un attachement sécurisé avec leurs parents manifestent des compétences cognitives et sociales plus avancées et qu’ils obtiennent de meilleurs résultats scolaires que les enfants avec un attachement insécure (Demogeot, 2015 ; Dunn, 2004 ; Gloger-Tippel et al., 2008 ; Mc Cartney, 2006 ; Miljkovitch et al., 2003 ; Ongari, 2008). Ceci fait sens si on pense qu’il s’agit d’enfants qui arrivent à se détacher de leur mère absente, de se sentir en sécurité à l’école et donc d’être ouvert et réceptifs aux apprentissages.

L’étude longitudinale de Teresa Jacobsen et de ses collègues (1994) auprès d’enfants et d’adolescents montrent que :

l’attachement sécurisé est un facteur prédictif significatif des habiletés de raisonnement déductif et de la motivation scolaire […]. Les sujets évitants et insécurisés-ambivalents présentent une motivation scolaire plus faible et montrent le plus de difficultés dans la réalisation des tâches cognitives.

Gloger-Tippel et ses collègues (2008, p.49) vont dans le même sens et affirment qu’:

un modèle d’attachement sécurisé en début de scolarité favorise la capacité de régulation des émotions et l’habileté à négocier les conflits avec les pairs, de telle sorte que les enfants

‘sécurisés’ font preuve de moins d’agressions physiques et de troubles anxieux-dépressifs ou encore d’hyperactivité.

Dans son étude, menée auprès de 77 enfants entre 3 et 6 ans, Ongari (2008) a trouvé que les enfants « sécurisés » construisent des relations avec leurs pairs et leurs enseignant-e-s, trouvent plus facilement leur place dans le groupe et s’adaptent mieux à la vie scolaire que leurs camarades « insécurisés ». Wendland et son équipe (2011,

47 Mesurer les styles d’attachement des enfants à leurs parents et leurs enseignant-e-s n’a malheureusement pas pu être intégré dans notre recueil de données. Toutefois, les résultats des études

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p.9) mettent en lumière le lien entre styles d’attachement et jeux symboliques lorsqu’ils disent que « les enfants ‘sécurisés’ possèdent un niveau plus élevé de jeux symboliques et de capacités représentationnelles ». Grossmann et ses collègues (2006) en Allemagne et Sroufe et ses collègues (2009) aux Etats-Unis ont trouvé également que les enfants avec un attachement sécurisé à leurs parents sont prédisposés à former des relations de qualité et des affinités réciproques avec leurs pairs. Les enfants « insécurisés ambivalents » ont plus souvent des lacunes sociales et/ou sont prédisposés à être victimisés par leurs camarades. Les « insécurisés désorganisés » ont plus tendance à être violents et/ou contrôlant. A la lumière de ces travaux, on peut considérer que l’aptitude des enfants à entrer en relation et à s’intéresser aux activités et aux jeux est fortement influencé par la qualité de leur attachement primaire à leurs parents.

Les premiers liens d’attachement en famille ne déterminent pas la qualité des liens d’attachement que l’enfant tisse avec ses éducateurs et ses enseignant-e-s (Anderson et al, 1981 ; Pianta et al. 1997). Birch et Ladd (1997). Pianta et ses collègues (1997) et Hamre et Pianta (2001) estiment que enfants ayant un attachement sécurisé avec leurs éducateurs et/ou leurs enseignants ont des meilleures compétences cognitives et sociales. En outre, les enfants « insécurisés » avec leurs parents et

« sécurisés » avec leurs enseignant-e-s, rencontrent plus d’aisance dans les activités et les relations sociales que leurs camarades « insécurisés » n’ayant pas de relation de qualité avec leurs enseignant-e-s (O’Connor & Mc Cartney, 2006). Il est intéressant de noter que Egeland et Hiester (1995), dans une étude sur les styles d’attachement en crèche puis en école élémentaire, ont trouvé que les enfants « sécurisés » évitaient davantage le contact avec les éducateurs en crèche alors que les enfants

« insécurisés » étaient plutôt ouverts et intéressés à eux. Par ailleurs, selon ces chercheurs, leurs liens d’attachements avec les éducateurs ne prédisent pas leurs relations ultérieures avec les enseignant-e-s du primaire.

Une étude menée par Turner (1991) auprès de 40 enfants de 4 ans en école enfantine montre des styles d’attachement qui varient en fonction du sexe. Les garçons

« insécurisés » sont souvent agressifs et contrôlants avec leurs camarades et sont peu aidants, peu attentifs et peu empathiques. En revanche, les filles « insécurisées » évitent les contacts et les conflits avec leurs enseignant-e-s et leurs camarades, restent plutôt en retrait et sourient beaucoup (pour s’apaiser).

Pour mettre en évidence le lien entre l’attachement et l’adaptation aux débuts à l’école, Ranschburg (2003), considère que les enfants « sécurisés » protestent mais acceptent relativement facilement la séparation à l’entrée à l’école et créent rapidement des amitiés avec leurs pairs. Il estime que ces enfants ont acquis suffisamment de confiance et d’amour pour savoir qu’ils ne perdent pas leurs parents à jamais. Toutefois, les vacances ou les absences pour cause de maladie peuvent réanimer leurs inquiétudes. Il dit aussi que les enfants « insécurisés évitant » entrent à l’école sans contester le départ de leurs parents. Ils ne pleurent pas, ne s’agrippent pas, s’intéressent essentiellement aux jouets. Ils sont souvent agressifs avec leurs camarades, ils ne sont pas freinés par les punitions, ce qui les rend impopulaires dans la classe. Pour les enseignant-e-s, ils sont souvent difficiles à vivre.

Ranschburg décrit les enfants « insécurisés ambivalents » comme étant ceux pour qui l’entrée à l’école est la plus douloureuse. Ils pleurent, s’agrippent à leurs parents,

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contestaient leur départ. Leur détresse peut durer des semaines, voire des mois. Ils ne participent pas aux activités, ne créent pas de liens avec leurs camarades, ils les observent en retrait et trouvent réconfort auprès de leurs enseignant-e-s.

Ces approches mettent en évidence que les styles d’attachement des enfants à leurs parents et aux autres adultes constituent un champ complexe. Retenons que la qualité du lien d’attachements des enfants influe sur leur ouverture aux enseignant-e-s et aux camarades.

Dans ce chapitre, nous avons retracé les prémices de la construction du monde interne, de nature et l’évolution des premières relations ainsi que la naissance de la communication du bébé puis du jeune enfant, afin de mieux comprendre le vécu émotionnel, relationnel et développemental des enfants qui entrent à l’école et en vue de faire paraitre les réactions et les attitudes des enfants observés qui seraient directement liées à l’absence de langue commune avec leurs enseignant-e-s et leurs pairs à l’école.