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Chapitre 8. Description des résultats selon les axes d’analyse choisis

8.2 La construction de la relation entre les enfants allophones et leurs

Le deuxième axe d’analyse se focalise sur la construction des relations des enfants allophones avec leurs enseignant-e-s (tableau 10) et leurs pairs (tableau 11).

L’analyse s’appuie sur les observations de classe et les échelles relationnelles remplies par les enseignant-e-s et l’observatrice.

Chapitre 8. Description des résultats selon les axes d’analyse choisis

Tableau 10: La construction de la relation enfants-enseignant-e-s102

8.2.1 L’appui et le réconfort dans la relation affective aux enseignant-e-s Des différences contextuelles nous ont interpellées concernant les relations en construction entre les enfants allophones et leurs enseignant-e-s (tableau 10). Dans le contexte suisse, à l’exception de Mira, au moment de la rentrée, les enfants étaient plutôt neutres, passifs et en refus de relation avec leurs enseignant-e-s et leurs contacts étaient rares et insignifiants durant presque toute l’année.

Dans le contexte hongrois, à l’exception de Lucie, les enfants recherchaient la proximité des enseignantes dès les premiers jours (Zeno et Sami) ou après un mois passé à l’école (Beatrix et Ivett).

Mira a accepté le soutien de son enseignant après quelques jours de grande détresse, et par la suite, dès qu’elle entrait en classe, elle allait directement vers lui, ne le quittait plus des yeux, cherchait sa proximité. Elle le suivait partout comme un poussin. Mira semblait trouver réconfort et confiance auprès de son enseignant, qui, de son côté,

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Légende du tableau 10

Fermeture à la relation

Ambivalence dans la relation

Ouverture à la relation

"cœur rose" Affection dans la relation

T/ T+0,1/T+1 Temps 0 : la rentrée/T+une semaine/T+un mois

T T+0.1 T+1 T+2 T+3 T+4 T+5

Enfants allophonesenSuisse Mira

Emir NON APPLIQUABLE

Nelly

Alice

EnfantsallophonesenHongrie Beatrix

Zeno Sami (T=Nov) Ivett

Lucie

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était tiraillé entre sa posture éducative plutôt distante et une posture affective répondant aux besoins de tendresse et de sécurité communiqués par l’enfant.103 Nous avons observé une complicité semblable dans la relation entre Sami et l’une de ses enseignantes (Agota) avec la différence que cette enseignante accueillait plus facilement des marques de tendresse. Sami demandait souvent à être dans les bras de son enseignante et elle le prenait volontiers. Nous avons vu également qu’Alice a créé une relation affective non pas avec son enseignante titulaire mais avec l’enseignante chargée du soutien pédagogique. Il est possible que leur affinité réciproque prenait racine dans le fait que l’enseignante avait eu ses frères et sœurs ainés dans sa classe, et qu’elle était plus en confiance avec la petite.

Beatrix de son côté, appréciait que les enseignantes s’occupent d’elle, mais elle n’exprimait pas ce besoin de manière explicite. Ivett, quant à elle, ignorait ses enseignantes en début d’année, mais quand celles-ci ne s’occupaient pas d’elle, elle semblait désorientée. Après deux ou trois mois d’école, la relation entre Ivett et ses enseignantes a radicalement changé : quand elle se sentait menacée par ses camarades ou lorsqu’elle avait besoin de réconfort, elle se réfugiait systématiquement auprès de ses enseignantes, encourageant la mise en place d’une relation de confiance avec elles. Lucie, la plus fermée à la relation parmi les enfants observés en Hongrie, avait besoin d’être mise en confiance et « tirée » dans la relation. Après chaque moment d’interruption de l’école, elle désinvestissait la relation à nouveau et les enseignantes devaient aller la chercher pour rétablir le lien (idem pour Emir).

En règle générale, les enfants qui cherchaient le contact avec leurs enseignant-e-s obtenaient leur protection, se mettaient en confiance, trouvaient réconfort, et se sentaient contenus dans la relation avec eux/elles autant en Suisse qu’en Hongrie, même si la relation enfant-enseignant-e était plus formelle en Suisse et plus axée sur les tâches scolaires. En Hongrie, les enfants qui étaient fermés à la relation en début d’année pouvaient exprimer leur besoin d’être réconfortés par leurs enseignantes quand ils étaient tristes ou s’ils avaient besoin d’aide en cas de conflit avec leurs camarades.

Voyons maintenant les résultats obtenus d’après les échelles relationnelles (Figures 1 à 9 en annexe)104. Au premier abord, les enseignants suisses (sauf l’enseignante d’Emir – absence de données) disaient avoir une bonne relation avec les enfants allophones. Ils estimaient que les enfants manifestent beaucoup d’intérêt pour eux, et ils construisaient une relation remplie d’affection et de réconfort. Cela nous évoquait la phrase emblématique de Candide, « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Néanmoins, les observations de classe et nos estimations montraient des résultats bien plus nuancés. Pour Mira par exemple, la relation tendre et confiante avec son enseignant s’est construite progressivement. Au début de l’année, lorsqu’elle était saisie de détresse liée aux angoisses de séparation, elle montrait très peu

103 Cela fait écho aux missions éducatives divergentes dans les deux contextes et au règlement scolaire interdisant aux enseignant-e-s de toucher leurs élèves (voir chapitre 1). L’enseignant est tiraillé entre la demande de Mira d’établir une relation de confiance accompagnée de tendresse et d’une posture enseignante distante. Il en parle d’ailleurs au cours de l’entretien quand il dit qu’il encourage les relations entre les pairs plutôt que les relations fusionnelles avec les enfants.

104 Pour rappel, il s’agit d’échelles remplies par les enseignants et l’observatrice et qui estiment différents aspects de la relation que l’enfant établit avec son caregiver. Le codage détaillé des échelles

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d’intérêt pour son enseignant. D’autre part, durant les observations, surtout au début de l’année, nous avons vu très peu de marques d’affection et de réconfort entre Nelly et son enseignante ou encore entre Alice et son enseignante. De son côté, l’enseignante estimait que leurs relations étaient remplies d’affection et qu’elle était à même de les réconforter.

Dans le contexte hongrois, les échelles relationnelles ont fait émerger une progression controversée dans la construction d’une relation affective et réconfortante entre les enfants et leurs enseignants. Ivett et Lucie étaient de plus en plus en confiance avec leurs enseignantes, leurs relations devenaient de plus en plus fortes et remplies d’affection. Les enseignantes de Beatrix, Zeno et Sami estimaient toutefois qu’après deux mois d’école, l’intérêt, l’affection et la capacité à réconforter les enfants diminuaient. On peut imaginer que plus les enfants étaient à l’aise dans la classe, moins ils avaient besoin de tendresse, de soutien et de réconfort de la part de leurs enseignant-e-s. Il se peut aussi qu’avec le temps, les enseignant-e-s aient eu l'impression de jouer un rôle moins important dans la vie émotionnelle des enfants.

8.2.2 L’absence d’appui et de réconfort dans la relation affective aux enseignant-e-s

L’absence d’appui et de réconfort conduisait par moments à des attitudes particulières chez les enfants.

8.2.2.1 L’enfant livré à lui-même

Certains enfants allophones donnaient l’impression de se sentir délaissés par leurs enseignant-e-s, puisqu’ils étaient distraits, renfermés sur eux même et ne montraient pas leur besoin que l’on s’occupe d’eux. Comme ils ne cherchaient pas à entrer en relation avec l’enseignant-e, ce-cette dernier-ère donnait l’impression parfois de les oublier. Dans le portrait de Nelly (extrait d’observation du 10 novembre), par exemple, nous voyons que Nelly semblait livrée à elle-même après une scène conflictuelle avec son camarade. Il est difficile de comprendre pourquoi son enseignante ne venait pas à son aide. Il est possible qu’elle ne sentait pas de lien affectif avec l’enfant, et qu’elle ait mal lu les signaux de détresse. Il est également plausible que l’enseignante ait voulu soutenir la prise de position autonome de l’enfant et l’encourager à trouver elle-même des ressources pour résoudre les problèmes qu'elle rencontrait dans ses relations avec les autres enfants.

8.2.2.2 L’agacement projeté sur Zeno

Dans le cas de Zeno, la relation de confiance établie en début d’année avec ses enseignantes semblait se désaccorder au fil du temps (avec Agota seulement). Plus Zeno gagnait en confiance et s’affirmait à l’école, plus son attitude semblait agacer son enseignante. D’ailleurs, au cours de l’entretien, elle avouait se sentir énervée par « ses clowneries » ou lorsqu’il faisait « le pitre ». Sous le regard irrité de son

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enseignante, Zeno nous semblait souvent désorienté, perdu, figé, comme s’il ne savait pas comment se comporter. Nous nous demandions si l’image que son enseignante lui renvoyait perturbait son comportement dans la classe. Sensible à l’accueil émotionnel et au jugement de l’adulte, la manière dont l’enfant est perçu pourrait affecter son sentiment de soi et par conséquent son comportement vis-à-vis de ses camarades et de l’enseignante.

8.2.2.3 Lucie « sur-chouchoutée » par l’enseignante

Fermée à toute relation en début d’année, Lucie restait indifférente aux tentatives de rapprochement de ses enseignantes. Néanmoins, son enseignante, Elisabeth, manifestait souvent son affection pour cette enfant par des caresses (cf. portrait de Lucie). Il est possible qu’Elisabeth comprît la difficulté qu’avait cette enfant à lui faire confiance et elle lui laissait le temps de trouver sa place tout en lui montrant qu’elle en avait une pour elle. Dans cette situation, l’enseignante n’était pas découragée par l’absence de signaux de la part de l’enfant. Elle faisait comme si une relation existait en attendant que l’enfant soit prête à envisager une relation avec elle. La surabondance de marques de tendresse de l’enseignante semblait contrebalancer l’indifférence de Lucie.

8.3 La construction de la relation entre les enfants allophones et leurs pairs

Trois tendances majeures ressortent de la construction des relations des enfants allophones avec leurs camarades que nous présentons dans le tableau 10.

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Tableau 11 : La construction de la relation aux pairs105

8.3.1 L’absence d’intérêt pour les pairs et la construction de la relation retardée

Sur les neuf enfants observés, six montraient une totale indifférence à leurs pairs durant le premier mois d’école. Comparés aux élèves « autochtones » observés parallèlement à eux dans les classes, qui commençaient à jouer avec leurs camarades dès la première semaine, les enfants allophones mettaient nettement plus de temps à interagir avec leurs pairs. Cette tendance apparait également dans les échelles relationnelles remplies par les enseignant-e-s (Figures 1 à 9 en annexe), même si leurs perceptions et les nôtres ne se rejoignaient pas toujours. Comme leurs enseignant-e-s, nous aussi avons relevé chez Nelly, Alice, Sami et Ivett une évolution dans le sens de l’ouverture aux pairs. Cependant, dans les cas de Beatrix et Mira, leurs

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Légende du tableau 11 Fermeture à la relation de pairs Ouverture à la relation de pairs

Ouverture aux camarades allophones et/ou de même langue maternelle Conflits et besoin de réguler la relation

"cœurs roses" Affection dans la relation

T/ T+0,1/T+1 Temps 0: la rentrée/T+une semaine/T+un mois

T T+0.1 T+1 T+2 T+3 T+6 T+8

EnfantsallophonesenSuisse Mira

Emir NON APPLIQUABLE Nelly

Alice

EnfantsallophonesenHongrie Beatrix

Zeno

Sami (T=Nov)

Ivett

Lucie

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enseignantes estimaient que les fillettes montraient un grand intérêt à leurs pairs après deux mois d’école alors que nos observations suggéraient qu’elles étaient encore fermées à leurs camarades et n’allaient que rarement vers eux. Pourquoi de telles discordances dans les résultats ? Les enseignant-e-s voulaient-ils/elles voir que les enfants allophones arrivaient à manifester de l’intérêt à leurs pairs après deux mois d’école ? Ont-ils/elles surévalué leur ouverture envers leurs pairs ?

8.3.2 Affinités entre enfants allophones et/ou de même langue maternelle Parmi les quatre enfants observés en Suisse romande, Mira, Nelly et Alice trouvaient très vitre appui, joie et réconfort auprès de leurs camarades de même langue maternelle (tableau 11). Nous avons vu dans le portrait de Mira que son enseignant faisait intervenir une camarade de même langue maternelle (portugais) qu’il encourageait à traduire pour Mira. Les deux filles n’étaient pas tout de suite complices, mais Mira acceptait son aide et progressivement une amitié s’est construite entre elles.

Nelly et Alice, ainsi qu’une troisième fillette de même langue maternelle (albanais) formaient un trio fusionnel dès les premiers jours d’école. Même si elles construisaient et évoluaient dans leurs relations (Alice refuse toute relation avec ses pairs jusqu’à environ un mois et demi après la rentrée), le trio semblait constituer une base sécurisante, une source de soutien, de réconfort et de tendresse pour toutes les trois.

Emir faisait exception : tandis qu’il y avait plusieurs enfants de la même langue maternelle que lui dans sa classe, il ne cherchait pas à interagir avec eux.

Dans le contexte hongrois, les enfants allophones ne cherchaient pas la compagnie de leurs camarades de même langue maternelle. En même temps, Beatrix était la seule mongolophone tout comme Lucie (et sa sœur) les seules chinoises et Sami le seul arabophone dans la classe. Dans les classes de Zeno et Ivett, il y avait plusieurs enfants vietnamophones, mais ils ne communiquaient pas dans leur langue maternelle entre eux. D’ailleurs, au cours de l’entretien, leur enseignante, Agota, expliquait que les enfants étrangers qu’elle a eu dans sa classe parlaient presque toujours hongrois entre eux, à l’exception d’une petite fille chinoise qu’elle a eue en classe il y a plusieurs années.

Indépendamment de la langue commune, les enfants allophones dans le contexte hongrois avaient une affinité particulière entre eux (tableau 10). Beatrix, par exemple, était intimidée par ses camarades, mais la compagnie de Zeno l’intriguait dès le deuxième mois d’école. De même, alors que Lucie était extrêmement timide et fermée à la relation avec ses pairs tout au long de l’année, elle se montrait curieuse et ouverte avec Ivett et cherchait à interagir avec elle. On se demandait si le fait d’être allophone dans un contexte monolingue, encourageait les enfants allophones à se réconforter mutuellement et pourquoi cette tendance était absente dans le contexte suisse.

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8.3.3 Une relation moins naturelle avec les camarades autochtones

Nos observations montraient une certaine fragilité dans la construction et l’évolution de la relation entre les enfants allophones et leurs camarades autochtones, rendue visible par la nécessité de devoir réguler les relations. Mira, par exemple, était infantilisée par ses camarades. Il la percevait peut-être comme plus jeune et imaginaient qu’elle avait besoin d’être supervisée dans son travail106. Lucie, d’autre part, se retrouvait souvent en position de « victime » quand d’autres enfants s’immisçaient dans son jeu et dans son espace. Nelly, Zeno, Sami et Ivett, quant à eux, étaient souvent en conflit avec leurs camarades. Nous nous demandions si la barrière de la langue rendait plus difficile pour ces enfants de trouver leur place au sein du groupe. Il est possible qu’ils aient éprouvé plus de mal à trouver une bonne distance, ou à réguler le ton émotionnel de leurs communications, notamment à des moments où le contact avec leurs camarades devenait trop chargé. Dans ces moments-là, ils pouvaient répondre de manière maladroite ou être un peu excessifs dans leur comportement.