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5 Chapitre 5. Problématique et hypothèses

5.1 Problématique

Nous avons vu que l’entrée à l’école est un moment émotionnellement intense (Wittenberg, 2001), voire angoissante (Changkakoti, 2010) pour les enfants puisqu'il s'agit d'une période d'adaptation qui s'étend sur plusieurs mois. Etre séparé de leurs parents, se sentir abandonné, perdu, délaissé dans un environnement méconnu, rend les enfants fragiles et vulnérables. Les vécus antérieurs de séparation, de perte et de changement qui se réaniment en situation de transition peuvent les déstabiliser davantage. Les réactions des enfants face à l’inconnu sont variées et dépendent d’une multitude de facteurs individuels (tempérament, âge, fréquentation d’une structure de la petite enfance antérieurement, capacité de l’enfant à se (faire) consoler, etc. ), familiaux (reprise du travail des parents, changements dans l’organisation familiale, rapport des parents à l’école, leur sentiment d’être compétent en tant que parents à soutenir leur enfant, etc. ) contextuels et sociaux (pratiques d’accueil et stratégies d’intégrations variées selon les milieux socio-économiques, les publics accueillis, etc.).

Bien qu’abondantes, les études sur la question du vécu de la transition vers l’école abordent peu l'aspect émotionnel et affectif de l’entrée à l’école. Un premier axe de notre problématique est donc de cerner l’expérience émotionnelle et relationnelle des enfants qui arrivent à l’école enfantine et de suivre leur évolution dans le temps.

Un deuxième axe se penche plus particulièrement sur l’expérience des enfants allophones qui au départ, sont dépourvus de moyens pour comprendre et se faire comprendre par le biais de la langue. L’étude de la littérature portée sur ce sujet met en lumière que les enfants vus comme étrangers ou comme différents du point de vue culturel ou à cause de leur statut de migrant, réfugié ou demandeur d’asile, peuvent être perçus par ses enseignant-e-s par le biais de leur différence ou encore étiquetés en fonction des normes et des valeurs culturellement stéréotypées et folklorisées. Par ailleurs, l’absence de langue commune avec les enseignant-e-s consolide le sentiment d’altérité et renforce la distance et le sentiment d’incompréhension de l’autre. Ces études ne répondent toutefois aux questions telles que comment ces enfants réagissent-ils à l’inconnu lorsqu’ils ne peuvent ni le déchiffrer, ni le comprendre, ni partager leur expérience et la faire traduire par d’autres ? Font-ils appel à des stratégies de communications verbales ou non-verbales ou se défendent-ils davantage de l’inconnu ? Quelles sont leurs réactions explicites ou implicites, conscientes ou inconscientes face à l’inconnu, l’incompréhension et l’incommunicabilité ? Comment agissent sur eux les inquiétudes et les préconçus induites par leur statut d’« étranger », d’immigré, d’allophone ? Comment font-ils face aux réactions conscientes ou inconscientes de leurs parents à l’école et au système

Chapitre 5. Problématique et hypothèses

du pays d’accueil qu’ils ne connaissent peut-être pas ? Et comment sont-ils affectés par ce que leurs enseignant-e-s imaginent de leur étrangeté ?

Les dynamiques relationnelles entre les enseignant-e-s, les parents et les enfants constituent le troisième axe. Les études présentées antérieurement appuient que pour les parents migrants, la perte de leur pays d’origine fragilise leur sentiment d’appartenance, de contenance et de stabilité et aussi la confiance qu’ils transmettent à leurs enfants. De plus, sans langue commune, lorsque la compréhension et le partage sont rendus plus difficiles, les parents et les enseignant-e-s peuvent être plus sur leurs gardes, méfiant-e-s, craintifs-ves et suspicieux-euses les un-e-s des autres.

Du côté des enseignant-e-s, s’ils/elles perçoivent un écart important entre les enfants allophones et eux-mêmes ils peuvent se sentir freinés dans leurs possibilités d’échanger, d’accueillir ce que les enfants vivent, de s’identifier à ce qu’ils accueillent et de penser le vécu des enfants. Comment ces dynamiques relationnelles influent sur les enfants ?

Figure 6 : Les axes de la problématique

Orientée autour des dynamiques qui sous-tendent au vécu émotionnel et relationnel, notre étude s’inscrit dans une approche peu étudiée en Sciences de l’éducation. Les études existantes examinent les enjeux de l’entrée à l’école de point de vue de l’âge optimal, du curriculum, des pratiques enseignantes ou encore des relations école-familles. D’autres travaux se penchent sur la question de l’accueil des élèves migrants dans les classes, laissant de côté les plus jeunes, puisqu’ils apprennent la langue de l’école par immersion. D’autres études encore, notamment en ethnopsychologie interrogent les particularités du fait d’être migrant, étranger, allophone pour les familles en voie d’intégration dans un pays d’accueil. L’approche émotionnelle et relationnelle axée sur l’enfant qui entre à l’école, fragilisé dans ses moyens pour se faire comprendre par le biais de la langue, est ainsi novatrice et essentielle à étudier.

A partir de l'intersection des axes où se situe notre problématique, nous interrogeons en quelle mesure les enjeux additionnels liés au statut d'étranger, d'immigré,

L’entrée à l’école

L’allophonie dynamiques Les

rela onnelles de la triade

enfants‐

enseignants‐

parents

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d'allophone amplifient le vécu de l'entrée à l'école des enfants en vue de connaitre la complexité de leur expérience pour pouvoir guider les enseignant-e-s dans leur accueil et les aiguiller sur les enjeux que rencontrent ces enfants.

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5.2 Hypothèses

En lien avec la problématique dégagée ci-dessus, les principales hypothèses de recherche sont les suivantes.

Hypothèse 1. Les enfants allophones, comme tout enfant, manifestent des angoisses de séparation et de transition lorsqu’ils arrivent à l’école

Hypothèse 2. L’évolution des manifestations d’angoisses est amplifiée pour les enfants allophones : ils mettent plus longtemps à être intégrés dans la classe et à trouver des sources d’apaisement auprès de leurs enseignant-e-s et leurs camarades

Hypothèse 3. Il existe des réactions spécifiques chez les enfants allophones qui sont directement liées à l’incommunicabilité de leur expérience

Hypothèse 4. La présomption d’incommunicabilité entre les enseignant-e-s et les parents à cause de la barrière de la langue amplifie la charge émotionnelle pour les enfants allophones.

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Partie 2 : L’enquête de terrain et les méthodes