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Chapitre 2. Les enjeux de la transition vers l’école

2.1 Enjeux de la transition pour les enfants

2.1.2 Facteurs intérieurs de la transition en école enfantine

L’entrée à l’école, comme toute situation de transition, de début et de commencement, fait surgir des peurs, des angoisses de perte, des sentiments d’abandon et des inquiétudes de l’inconnu. Melanie Klein (1946) parle de traces dans la mémoire corporo-émotionnelle (« souvenirs-ressentis ») d’expériences précédentes de séparation, d’absence et d’abandon. Il est courant que des enfants soient envahis par des « angoisses primitives » (Salzberger-Wittenberg et al., 2012 ; Waddell, 2002) qui ressurgissent de leurs expériences passées (Waddell, 2002, Youell, 2009a). L’entrée à l’école offre en même temps la possibilité d’affronter les angoisses de séparation et de se développer sur le plan cognitif et psychique (Salzberger-Wittenberg et al., 2012 ; Youell, 2009a ; Waddell, 2002).

2.1.2.1 La perte d’objet : sevrage et séparation

Au cours des premiers mois de vie, le contact avec le sein/le biberon, procure un sentiment de plaisir, de plénitude et de satisfaction non seulement des besoins physiques mais aussi émotionnels et psychiques. Quand s’approche la fin de l’allaitement, appelé autrement le sevrage, les moments de bien-être physiques et émotionnels que procure l’allaitement deviennent de plus en plus espacés. Le bébé éprouve de la frustration et un sentiment d’être privé, de perdre, ou d’être dépossédé de sa source de plaisir et d’assouvissement de ses besoins (Waddell, 2002).

Le sein/le biberon est progressivement remplacé par des nouvelles formes d’expérience (la découverte des goûts, des textures, des odeurs) qui, même si elles sont appréciées par le bébé, n’enlèvent pas son sentiment d’être privé des bras qui l’entourent, de la chaleur du corps de sa maman, de l’intimité de son regard, de ses souffles, de la complicité qu’ils partagent durant l’allaitement (Franchi, 2014b). Le sevrage met à distance, éloigne progressivement le bébé de sa maman et lui renvoie un sentiment de privation, qui peut être atténué par l’accompagnement de l’expérience par la pensée bienveillante et contenante de ses parents. Le sevrage n’est donc pas seulement un changement de pratique alimentaire et de rituel, mais une des premières expériences de perte, de changement et d'ajustement à une nouvelle forme d’existence.

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Vijé Franchi (2014, p.46), aborde l’importance du sevrage suivant la pensée kleinienne en expliquant que :

Mélanie Klein (1936) a fait de cette situation du sevrage le socle émotionnel du processus de développement psychique, qui permet, tout au long d’une vie, d’élaborer les angoisses liées à notre propre survie pour accéder à celles liées à notre capacité d’aimer, de protéger, de réparer nos objets […] Ce n’est pas tant l’idée de trouver un substitut pour le sein perdu que l’importance de reconnaître et d’accompagner ces moments d’intense détresse émotionnelle, où le bébé a la sensation de perdre le contenant de ses angoisses et de se débattre contre les angoisses de tomber (au sens de chute) et de disparaitre.

Le sevrage véhicule du changement sur plusieurs plans : il suscite de concevoir une nouvelle forme de nourrissage, de tolérer la distance physique avec la maman et la perte du bain affectif qui l’accompagne et de négocier une nouvelle identité différente de celle du bébé-au-sein. Le bébé apprend progressivement que la maman n’est pas perdue mais que leur relation se transforme : il comprend qu’il peut s’éloigner, par exemple, commencer à ramper puis plus tard à marcher à quatre pattes, avec la confiance qu’il peut revenir vers sa maman et retrouver son amour, sa protection, son réconfort lorsqu’il en a besoin.

Waddell (2002, p.69) précise que :

Il s’agit d’un processus de deuil, à quelque âge ou à quelque stade qu’il ait lieu, de parvenir à se vivre comme un être séparé de l’autre, aimé et perdu, même si cette perte n’est que temporaire. Ce n’est qu’alors qu’il devient possible de distinguer ce qui appartient à l’autre de ce qui appartient à soi et que peut advenir, ne serait-ce que brièvement, un sentiment d’indépendance (self-sufficiency). […] Le sevrage résume un aspect central de la croissance […]. Il s’agit de pouvoir endurer la renonciation, d’affronter des nouvelles expériences auparavant inconnues - en fin de compte, de changer.

Le bébé accompagné avec douceur dans le processus de sevrage gardera en lui la possibilité d’être compris, pensé, soutenu et acceptera vraisemblablement plus facilement les changements présentés dans ses expériences futures. La nature de ses premières relations à ses parents influence aussi considérablement la manière dont le bébé réagit face à la perte du sein/du biberon (Salzberger-Wittenberg, 2013 ; Waddell, 2002). A ce propos, Waddell (2002, p.78) explique que :

La capacité à tolérer la perte, à prendre le risque du changement, à élargir son expérience, à approfondir ses relations, dépend des degrés jusqu’où le bébé puis le jeune enfant s’est senti contenu et en sécurité dans la relation primaire. […] Cette sécurité provient de la disponibilité d’une présence contenante, elle-même capable de tolérer les bonnes comme les mauvaises expériences, et d’en tirer des leçons qui lui permettront de se développer et de croître en rapport au sentiment changeant qu’a l’enfant de son soi-dans-le-monde.

Les réactions des enfants au sevrage peuvent être diverses. Certains sentent que leur colère, leur énervement peuvent être accueillis et entendus, tandis que d’autres ne se sentent pas compris et peuvent se détourner, éviter le regard de leur mère ou se raidir en sa présence (Fraiberg, 1993, Music, 2011). Waddell (2002, p. 69-70) ajoute :

Sentant un changement d’attitude de la mère, un bébé peut cesser, du jour au lendemain, de prendre le sein, comme une sorte de protestation omnipotente : ‘si tu ne me veux pas, je n’ai pas besoin de toi’. […] un autre va s’accrocher avidement, fouillant le sein avec plus d’insistance que jamais. Un troisième voudra garder l’expérience d’un sein disponible et gratifiant, et rejeter le sein perçu comme étant celui d’une mère qui se refuse.

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Les bébés réagissent à l’impuissance et à la douleur provoquées par le sevrage en niant ou mettant à distance l’expérience douloureuse ou encore en se plaçant dans une position de toute-puissance où dans leur imaginaire, ils peuvent contrôler la présence et l’absence de sa maman. (Waddell, 2002). Cette défense contre la douleur en essayant de prendre sur soi et de faire comme si on pouvait compter sur soi fait penser aux enfants qui en arrivant à l’école enfantine tournant le dos aux parents comme pour les abandonner au lieu d’être abandonnés eux-mêmes.

2.1.2.2 Une séparation bien particulière : l’entrée à l’école

Comme toute transition, l’entrée à l’école est accompagnée par des émotions ambivalentes et très variables d’un enfant à l’autre. Pour certains enfants, ce moment très attendu est source de joie et d’excitation et ils sont ravis de devenir grands (Youell, 2009a). L’entrée à l’école stimule leur curiosité (ou pulsion épistémophilique32) (Klein, 1928, 1930 ; Youell, 2009a) mais elle peut aussi réveiller la peur de l’inconnu, la colère, la tristesse, l’impuissance de devoir se séparer de leurs parents. Certains enfants vivent l’entrée à l’école comme un état de stress, et peuvent réagir avec agressivité à la situation : ils contestent la séparation en s’agrippant à leurs parents, criant de toutes leurs forces, essayant de se débattre des bras des enseignant-e-s ou encore donnant des coups de pieds à leurs camarades (Adamo, 2001 ; Datler et al., 2012 ; Music, 2011). D’autres pleurent de manière incessante, se renferment sur eux-mêmes et n’arrivent à trouver le calme qu’à proximité d’un-e enseignant-e (Datler et al., 2012).

Le temps nécessaire pour qu’un enfant s’apaise est aussi variable. Ils trouvent toutefois tous des repères dans la classe soit dans les relations qu’ils créent qui les aident à faire le deuil de l’absence de leurs parents (Dockett & Perry, 2007). Certains trouvent appui et réconfort dans les relations avec leurs enseignant-e-s et/ou leurs camarades, d’autres s’appuient sur des relations internes (Franchi, 2014 ; Gerő, 2015 ; Youell, 2009a ; Waddell, 2002). Gerő (2015) qui leur donnent le sentiment d’être aimés, contenus, rassurés de l’intérieure. D’autres encore ne montrent aucune réaction et semblent accepter sans contester l’entrée à l’école, mais à la maison, ils manifestent des troubles du sommeil ou d’énurésie nocturne (ibid., 2015). Leur anxiété reste inaperçue à l’école mais témoigne d’un profond mal-être.

Parmi les expériences antérieures de perte et de séparation réanimées à l’entrée à l’école, la manière dont les enfants ont vécu leurs premières séparations de leurs parents influence leur capacité à se tourner avec confiance vers les enseignant-e-s et les enfants et d’accepter de partager leur attention (Waddell, 2002; Youell, 2009a).

Dans le cas d’une confiance fragilisée, ils risquent d’être envahis par l’angoisse et l’absence de moyens de pouvoir se protéger de la souffrance qui l’accompagne (Hue, 2010 ; Salzberger-Wittenberg et al., 2012; Waddell, 2002).

La plupart des enfants cherchent d’abord à entrer en contact et à attirer l’attention des adultes qui évoquent en eux la relation tant souhaitée avec leur parents chéris et les aide à dépasser la douleur induite par la séparation d'avec leurs parents (Gerő, 2015 ;

32 terme psychanalytique qui désigne « une poussée à connaitre dominée par une forte composante instinctuelle libidinale. M. Klein soutient l'idée que l'enfant a un besoin inné de connaitre et de comprendre la vérité sur lui et sur le monde qui l'entoure et indique cette pulsion par le terme "tendance

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Salzberger-Wittenberg, 2013 ; Winnicott, 1969). La présence d’adultes les met en contact avec de tolérer et de séparation. Leur ouverture camarades qui se manifeste dans leurs jeux et les activités initiées par les adultes apparait dans un deuxième temps. Les premiers contacts avec les pairs sont souvent remplis de rivalités, puisqu’ils veulent tous l’attention de l’adulte et se retrouvent en compétition, comme le

« fantasme du nid aux bébés » décrit par Houzel (2000) et Tustin (1986), où le bébé imagine que quand la mère ne l’allaite pas ou ne lui donne pas toute son attention, elle s’occupe d’autres bébés.

Le vécu émotionnel de l’entrée à l’école des enfants est indéniablement en lien avec la manière dont les parents et les enseignant-e-s accueillent, accompagnent, et les aident à dépasser leurs angoisses, d’où l’importance pour les enfants que les adultes soutiennent leur transition.

2.1.2.3 Soutenir la transition

Le rôle fondamental des adultes

Une transition réussie est liée à une « préparation émotionnelle et sociale de l’enfant » (Dockett & Perry, 2007) : l’enfant « bien préparé » (du point de vue de la « readiness ») est confiant, amical, ouvert aux pairs, intéressé par les activités proposées par les enseignant-e-s et communique avec aisance. S’il n’est pas « prêt », il risque de rencontrer des difficultés pour trouver sa place à l’école. L’accueil doux, empathique et compréhensif des enseignant-e-s met les enfants en confiance et leur permet de surmonter leurs peines liées à la perte, à la séparation et à l’inconnu. « Plus l’école accueille en douceur et avec affection, plus l’enfant sera en confiance et pourra s’intéresser à ce que l’école, les enseignant-e-s lui apportent. Il ne refusera pas la nourriture psychique ni la nourriture intellectuelle » (Salzberger-Wittenberg et al., 2012, p.108).

Le temps nécessaire pour surmonter la détresse et/ou à trouver ses repères varie selon les enfants. Il est important que les enseignant-e-s respectent donc le rythme de chacun, qu’ils introduisent les activités progressivement, et qu’ils laissent le choix aux enfants de participer aux activités (Taylor Buck & Rustin, 2001). Gerő (2015) explique que certains enfants, les premiers jours d’école, répètent incessamment et désespérément « Maman », comme s leur vie dépendait de leur capacité à garder leur maman dans leur pensée, comme si leur sentiment de perte (et leur maman aussi) cessai(en)t d’exister s’ils arrêtaient d’invoquer leur maman. Pour ces enfants, les heures d’absence de leur maman paraissent être une éternité puisqu’ils n’ont pas encore la notion de temps. Les enseignant-e-s essayent souvent de consoler les enfants par des caresses, en les pouponnant, en leur proposant des délices, mais lorsque ces pratiques ne fonctionnement pas, et que les enfants continuent à pleurer, à crier, ils/elles risquent de vivre leur déception comme un échec. Les enfants qui rejettent leurs tentatives de consolation, essaient, en rassemblant toutes leurs forces, de paraître « grand » pour que maman puisse être fière d’eux à son retour (Gerő, 2015). Ainsi, si les adultes les forcent à lâcher leurs « bastions » avant qu’ils soient prêts, leur sentiment de perte peut être réactivé ultérieurement.

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Ces pensées mettent en lumière l’importance de l’attitude des adultes face aux enfants, de rester ouvert et prêts à les réconforter tout en respectant le rythme de chacun, sans les ne presser ni les forcer. Le rôle des adultes est essentiel puisque c’est ainsi que les enfants expriment et extériorisent leur tristesse et leur douleur qui leur permet de mieux supporter les changements (Waddell, 2002).

D’autres moyens pour se consoler

Les enfants peuvent trouver apaisement et réconfort dans les activités et les jeux qu’ils entreprennent à l’école. Le jeu est essentiel pour que les enfants puissent extérioriser, symboliser et métaboliser leurs angoisses et leurs peurs liées à la transition (Alvarez, 1999 ; Datler et al., 2012 ; Music, 2011 ; Waddell, 2002). Klein (1936, p.173) dit que « […] les enfants ne produisent pas moins d’associations aux différents traits de leurs jeux que les adultes aux éléments de leurs rêves. […] les enfants produisent toutes sortes de choses auxquelles il faut donner tout leur poids d’association ». En d’autres termes, l’enfant fait apparaître dans son jeu sa réalité interne, c’est-à-dire les états internes qui le traversent, ses angoisses, ses frustrations, ses préoccupations.

Dans leurs jeux, les enfants peuvent exprimer, réguler et trouver une certaine stabilité dans la turbulence émotionnelle qui les traversent lorsqu’ils commencent l’école (Dockett & Perry, 2007).

Le doudou ou autrement dit l’objet transitionnel est une autre source d’apaisement pour les enfants (Winnicott, 1971) qui leur permet de mieux supporter l’absence des parents et l’angoisse de la séparation puisqu’ils les mettent en contact avec leurs parents absents. Le nounours ou le bout de tissu ou encore la couverture que l’enfant serre contre lui représente dans son imaginaire, la chaleur, l’amour et la protection de ses parents. Le doudou dans ses bras, l’enfant ressent la présence rassurante et bienveillante de ses parents malgré leur absence. L’objet transitionnel est comme une peau protectrice, une « seconde peau » (Bick, 1968) qui couvre et protège l’enfant des sentiments douloureux de l’abandon et de la perte. Il est physiquement et psychiquement enrobé par cette « peau » protectrice qui lui permet de se rassurer de l’intérieure.

2.2 Enjeux de la transition pour les adultes : la place des parents et des