• Aucun résultat trouvé

Chapitre 6. Terrains et méthodes

6.1 Démarche qualitative, ancrages méthodologiques

6.1.1 L’approche clinique à orientation psychanalytique et la Grounded Theory

Le choix de l’ancrage méthodologique de cette recherche s’appuie sur l’outil principal de recueil des données, l’observation non-participante selon la méthode Bick-Tavistock (Bick 1964 ; Briggs & Ingle (Eds.), 2005; Datler et al. 2009, 2010, 2012, 2015 ; Delion, 2004 ; Elfer, 2006 ; Franchi & Molli, 2012 ; Franchi & Toth, 2014 ; Hingley-Jones, 2011 ; Miles, 1999 ; Rhode, 2005, 2012 ; Rustin, 2006 ; Rustin et al., 1997 ; Trowell & Miles, 2012 ; Urwin, 2007 ; Urwin & Sternberg (Eds.), 2012; Youell, 2014). Par son ouverture émotionnelle et sa posture attentive et réceptive, l’observateur s’accorde, s’ajuste au monde interne de l’enfant et accueille ainsi son vécu interne et les états émotionnels qui le traversent (Franchi, 2014). Cette méthode a été conçue par Esther Bick et mise en pratique dans la formation des psychothérapeutes d’enfants et d’adolescents à la Tavistock Clinic à Londres. De nos jours, la forme originale de la méthode connaît des variations et des applications dans différents contextes institutionnels. Nous avons choisi de l’appliquer pour plusieurs raisons. D’abord puisque Vijé Franchi, la directrice de cette thèse est psychologue-psychothérapeute d’enfants, formatrice de cette méthode en France et en Suisse. Son ancrage dans la méthode d’observation et son orientation clinique ont aiguillé nos directions méthodologiques et disciplinaires. D’autre part, l’observation attentive s’est avérée être la méthode la mieux adaptée pour mettre en lumière le vécu émotionnel des enfants, accueillir leurs états internes, être à l’écoute de ce qu’ils expérimentent durant cette période critique de transition.

La méthode créative, innovante de la Grounded Theory créée par Glaser et Strauss (1967 ; Cutcliffe, 2000 ; Franchi & Swart, 2003 ; Guillemette, 2006 ; Strauss & Corbin, 1998) est venue dans notre démarche par la suite. Nous avons choisi de l’adapter

L

Chapitre 6. Terrains et méthodes

d'abord, puisqu’elle conçoit une ouverture à ce qui émerge du terrain et des données.

Il s’agit donc d’une démarche inductive. Etant donné que nous avons mené notre investigation sur deux terrains de recherche (trois en comptant l’étude expérimentale du canton de Fribourg), sans savoir comment lier un terrain à l’autre, la Grounded Theory nous a permis d’aller sur chaque terrain sans connaissances au préalable, sans être « contaminé » par des questionnements, des hypothèses, des théories, et en essayant de garder une posture libérée de préconceptions (capacité négative de Bion (1970, cité dans Harris, 1987). Nous étions toutefois lucides à la difficulté de rester « vierge » sur les nouveaux terrains. Comme le dit Cutcliffe (2000) «No potential researcher is an empty vessel, a person with no history or background.» Il n’était donc pas question de nier les impressions, les vécus, les pensées, les théories formulés sur les terrains précédents, mais d’arriver sur le nouveau terrain sans être guidé par ceux-ci.

Nous avons ainsi construit un double processus d’ouverture et de fermeture sur chaque nouveau terrain grâce à la méthode inductive, ce qui a encouragé et élargi notre capacité à contenir et à penser le matériel recueilli.

Deuxièmement, pour le recueil et l’analyse de nos données nous avons défini des catégories de manière circulaire, concentrique (spirale) inspirées de la Grounded Theory. Glaser (1978 in Guillemette, 2006, p. 38) explique que « ce principe de circularité de la démarche s’applique à toutes les parties de la recherche, de la construction de la problématique jusqu’à la rédaction finale du rapport de recherche »

». Après le premier terrain expérimental (canton de Fribourg), nous avons proposé des thématiques, des fils conducteurs, que nous avons hibernés en arrivant sur le deuxième terrain (Budapest), pour laisser la place à la fraicheur de la nouveauté du terrain. Ainsi certaines pistes ont été élargies, complétées, réfutées et d’autres, des nouvelles, ont pu être formulées sur chaque nouveau terrain.

Troisièmement, la théorisation ancrée nous a orienté au cours de l’écriture. A partir du terrain et de l’analyse des données, nous avons identifié des concepts, des théories pour expliquer les phénomènes trouvés. Ensuite, en suivant la démarche concentrique (en spirale), nous avons poursuivi la théorisation tout en restant ouverts aux nouveaux horizons portés par le terrain. Ainsi, nous avons construit les chapitres théoriques de manière inductive, en faisant émerger les thématiques formulées à partir des contextes et des terrains. Guillemette (2006, p.33) vient appuyer cette démarche en énonçant :

Ce principe central dans l’analyse des données est le retour constant à la comparaison entre les produits de l’analyse et les données empiriques. Non seulement l’analyse prend comme point de départ les premiers épisodes de collecte des données, mais elle se poursuit dans un processus de validation qui consiste à revenir constamment, soit aux données déjà collectées, soit à de nouvelles données. Ainsi, au lieu de « forcer » des théories « sur » les données empiriques pour les interpréter, le chercheur s’ouvre à l’émergence d’éléments de théorisation ou de concepts qui sont suggérés par les données de terrain et ce, tout au long de la démarche analytique.

Ainsi, la forme inductive, l’écoute et l’ouverture de la Grounded Theory (Glaser &

Strauss, 1967 ; Strauss & Corbin, 1998) s’avoisine de la posture ouverte et attentive aux détails qui caractérisent l’observation non-participante selon la méthode Bick-Tavistock. De ce fait, c’est grâce au métissage de l’approche inductive et de l’observation attentive qu’une approche centrée sur les enfants et l’écoute de leur vécu émotionnel a pu connaitre le jour (Anderson, 2006, Urwin & Sternberg (Eds.), 2012).

Chapitre 6. Terrains et méthodes

6.1.2 Comparaison informelle de deux terrains

A l'origine, le dispositif de recherche a été pensé sur un seul terrain mais il s'est construit progressivement sur deux terrains nationaux pour deux raisons.

Premièrement, le choix de contextes différents du point de vue migratoire, scolaire, institutionnel et où l’approche de l’accueil des enfants allophones dans les classes est fondée sur des prémisses et des perspectives distinctes, a permis d'identifier les éléments relatifs à chacun de ces systèmes scolaires et nous rendre compte de ce qui est propre aux vécus singuliers des enfants et de ce qui est commun à tout enfant scolarisé dans ces lieux.

Ensuite, nous avons optés pour des terrains qui varient du point de vue de la posture du chercheur (moi-même). De nationalité hongroise et ayant suivi la formation d’enseignante maternelle en Hongrie (3 à 6 ans), nous avions des connaissances stables du contexte scolaire-institutionnel hongrois. Or, nous avons découvert le système scolaire suisse romand seulement en 2011, l’année du commencement de la thèse. Notre compréhension des deux contextes scolaires était donc déséquilibrée, ainsi que notre vécu en tant que chercheur. Sur le terrain suisse romand, nous étions confrontées à un sentiment d’inconnu, d’étrangeté face à un système qui nous était méconnu. Nous étions, en quelque sorte, comme les enfants que nous observions, dépourvus des moyens pour comprendre et décoder notre entourage. Angoissés, fragilisées, nous nous sentions inaptes à sentir les émotions projetées sur nous. La vulnérabilité ressentie à cause de notre statut d’étranger au pays, à l’institution, au système scolaire, aux codes, rendait l’expérience difficile à accéder et nous imaginions ne pas être à la hauteur de ce qu’on attendait de nous (Chapellon, 2011). Les discussions supervisées des observations suisses étaient indispensables (Franchi &

Toth, 2014) pour que nous sentir soutenue tandis que sur le terrain hongrois, nous avions moins besoin d'être portées puisque nous étions soutenues aussi par notre famille vivant en Hongrie. Ainsi, la vulnérabilité vécue sur le terrain suisse et la confiance vécue sur le terrain hongrois ont apporté un aspect intéressant au processus de recueil de données.

La comparaison n'était donc pas prévue et le choix des deux terrains était fondée sur la richesse des variations démographiques, contextuelles et personnelles qu’elle apporte. L’approche que nous avons adoptée consistait à décentrer le regard d’un contexte à l’autre en nous adaptant à chaque fois à la particularité des conditions présentes sur chaque lieu et en analysant de l’intérieure au travers des grilles propres à chaque situation, les phénomènes observés. Or, au fur et à mesure de la construction du cadre de référence et de l'analyse des données, nous avons décelé des tendances contextuelles qui nous ont conduit à appliquer une dimension comparaison internationale ou en éducation comparée confrontent des systèmes selon les lieux (dimension géographique) (Manzon, 2010, Nóvoa, 1995, Van Daele, 1993). Dans notre démarche, en élaborant notre raisonnement sur les aspects qui sous-tendent le vécu de l'entrée à l'école des enfants allophones, malgré notre nombre

Chapitre 6. Terrains et méthodes

restreint de participants, nous avons repéré des influences communes selon les contextes. Ainsi les interprétations que nous proposons selon une argumentation comparative ne sont nullement généralisables.

6.2 Les étapes de la recherche