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Chapitre 8. Description des résultats selon les axes d’analyse choisis

8.4 Les communications des enfants allophones

Les réactions des enfants allophones à la barrière de la langue, et l’évolution de leurs moyens de communication avec leurs enseignant-e-s et leurs pairs sont présentées dans le tableau 12.

106 La tendance à considérer les enfants allophones comme étant plus jeunes était redondante dans leurs relations (enseignant-e-s et pairs).

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Tableau 12 : La communicabilité et l'incommunicabilité107

8.4.1 Une communication dominée par des éléments non-verbaux

Dans un premier temps, la plupart des enfants allophones semblaient refuser toute communication. Même en l’absence de langue commune, certains enfants comme Mira, Nelly et Beatrix essayaient de communiquer avec les autres de façon non-verbale, surtout après quelques semaines passées à l’école. Voici en détails la nature de leurs communications non-verbales:

8.4.1.1 L’imitation

Dès les premiers jours, les enfants imitaient leurs camarades pour pouvoir s’orienter dans la classe. Selon leurs enseignant-e-s (cf. échelles relationnelles Figures 1 à 9 en annexe), la plupart des enfants s’appuyaient sur l’imitation pour trouver leurs repères,

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Légende du tableau 12

Refus de toute communication

Communication partielle

Aisance dans la communication

Ouverture aux camarades allophones et/ou de même langue maternelle cœurs roses Sentiment d’être compris

T/ T+0,1/T+1 Temps 0: la rentrée/T+une semaine/T+un mois

T T+0.1 T+1 T+2 T+3 T+6 T+9

Enfants allophones en Suisse Mira

Emir NON APPLIQUABLE

Nelly

Alice

Enfants allophones en Hongrie Beatrix

Zeno Sami (T=Nov) Ivett

Lucie

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et ceci dès les premiers jours d’école (sauf Sami qui était en relation fusionnelle avec son enseignante). Or, selon mes estimations, les enfants comme Beatrix, Sami, Mira et Alice semblaient envahis de détresse et de souffrance en début d’année, n’étaient pas en mesure d’imiter leurs camarades. Ils avaient recours à l’imitation une fois qu’ils semblaient avoir gagné suffisamment de confiance pour pouvoir s’intéresser aux autres et aux nouvelles activités.

8.4.1.2 Déchiffrer le monde par le regard

Le regard curieux et interrogateur se présentait chez plusieurs enfants. Dès les premiers jours, Mira soutenait le regard de son enseignant et ne le quittait pas des yeux. Elle semblait essayer de décoder ses paroles (cf. portait de Mira, Chapitre 7).

Pratiquement tous les enfants essayaient de comprendre les consignes et de capter le sens des mots de l’adulte en l’observant attentivement. En ceci, ils ressemblaient à de très jeunes enfants qui communiquent davantage par le regard que la parole.

8.4.1.3 Gestes, mimiques

Au cours des entretiens, plusieurs enseignant-e-s, comme Nicolas et les enseignantes hongroises ont souligné l’importance des gestes et des mimiques pour communiquer avec les enfants allophones. La directrice de l’école hongroise a même recommandé aux enseignantes de placer des pancartes représentant les gestes de la vie quotidienne dans sa classe, les vestiaires et les salles de bain, pour faciliter la compréhension par les enfants allophones. Certaines enseignantes étaient inspirées par ces supports tandis que d’autres contestaient leur importance et « oubliaient » de les afficher. Alors que la plupart des enseignant-e-s avaient recours aux gestes pour communiquer avec les enfants allophones, les enseignants suisses accompagnaient systématiquement leurs consignes de mimes lorsqu’ils/elles s’adressent aux enfants allophones.

Parmi les enfants observés, ceux qui étaient ouverts aux interactions avec leurs camarades, comme Emir et Zeno, utilisaient des gestes pour se faire comprendre.

Toutefois les enfants renfermés, comme Lucie et Alice, ne communiquaient pas du tout et ne souriaient jamais.

8.4.2 Des réactions face à l’incompréhension et à l’incommunicabilité 8.4.2.1 Des enfants encouragés à échanger malgré la barrière de la langue

Certains enfants, comme Emir, Zeno ou Ivett échangeait avec leurs enseignant-e-s et leurs camarades même s’ils ne partageaient pas de langue commune avec eux. Zeno et Emir, par exemple, divertissaient leurs camarades (et avaient l’air de s’amuser eux-mêmes) en faisant les clowns. Ils jouaient, discutaient et faisaient rire leurs copains, sans se soucier de la barrière de la langue. L’enseignante de Zeno pensait que l’enfant faisait le clown pour combler ses lacunes langagières. Ivett, tout comme les deux

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garçons, partageait ses expériences avec moi sans se préoccuper de savoir si elle était comprise. Elle semblait à l’aise et l’absence de langue commune ne freinait pas son envie ou son besoin de communiquer.

8.4.2.2 Des enfants inhibés et invisibles

Certains enfants, comme Nelly, Alice, Beatrix ou encore Lucie, fuyaient les interactions. Voici quelques exemples pour illustrer cette idée. Pendant qu’elle dessinait, Alice se servait uniquement des feutres que ses camarades n’utilisaient pas.

Si besoin, elle attendait qu’ils finissent de s’en servir avant de les prendre. Nous pensions qu’elle évitait de cette manière de devoir s’adresser à eux pour les leur demander. Lucie, de son côté, semblait choisir des jeux qui ne nécessitaient pas de communiquer ou d’interagir avec ses camarades et ses enseignantes. Elle a attendu cinq mois avant de manifester l’envie d’interagir avec moi puis avec ses camarades.

Et même ces tentatives de communication restaient timides et réservées et elle pouvait rapidement se retirer « dans sa carapace » dès que quelque chose venait interrompre notre échange.

Tout comme l’évitement des interactions, les enfants ne verbalisaient pas leurs besoins en classe. Ceci se manifestait dans le fait qu’ils n’appelaient pas l’enseignant-e l’enseignant-en cas dl’enseignant-e souci ou s’ils nl’enseignant-e comprl’enseignant-enail’enseignant-ent pas ll’enseignant-es consignl’enseignant-es. Un matin après ll’enseignant-e pl’enseignant-etit déjeuner, Beatrix restait silencieuse et ne cherchait pas à demander de l’aide de ses enseignantes alors qu’elle ne savait pas sur quel chariot il fallait déposer son assiette.

Elle restait figée à côté du chariot jusqu’à ce qu’à ce que les enseignantes s’aperçoivent qu’elle était perdue. A un autre moment, elle semblait avoir besoin d’aller aux toilettes mais elle ne l’exprimait pas (cf. portrait de Beatrix). Au cours de conflits avec ses camarades, Emir regardait son enseignante et semblait chercher à capter son regard. Toutefois, si elle ne le remarquait pas, il ne la sollicitait pas verbalement pour lui demander de l’aide. Il est difficile de dire si l’inhibition traduit une peur de ne pas arriver à dire dans une langue méconnue ou si les enfants se sentaient tout petits et exprimaient cela en attendant comme des bébés que l’adulte voit et comprenne sans mots ce dont ils avaient besoin et réponde. Dans ce cas de figure, l’enfant n’est pas en mesure de se représenter son besoin sur le moment, il est bloqué. Béatrix semblait avoir peur de demander de l'aide, mais il est difficile de savoir si elle avait peur de la langue ou de l’enseignante. Emir, en revanche, paraissait savoir qu’il avait besoin de quelque chose de l’adulte mais ne savait pas quoi. Dans tous les cas, la langue véhiculaire ne remplissait pas sa fonction primaire de communication et de partage de la pensée.

Nous avons constaté que ces enfants qui fuyaient les interactions ou qui se montraient inhibés en ce qui concerne la verbalisation de leurs besoins, semblaient en même temps être moins présents dans l’esprit de leurs enseignant-e-s. Au cours de l’entretien avec Helena, par exemple, cette enseignante avait de la peine à parler de Lucie. Elle avait vu que la petite était « dans son monde », mais elle semblait être impactée dans sa capacité à voir ce que Lucie pouvait ressentir et elle parlait d’elle de manière factuelle et détachée. Il est possible d’imaginer que les enfants allophones qui restaient en retrait pouvaient devenir par moment invisibles aux yeux de ces

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enseignants, qui étaient surtout confrontés à des enfants qui cherchaient constamment leur attention.

8.4.2.3 Une colère liée au sentiment de ne pas être compris

Nous pouvons aisément comprendre la frustration qu’engendre le fait de ne pas se sentir compris pour un enfant qui maitrise mal la langue véhiculaire. Lorsque les enfants observés n’arrivaient pas à se faire comprendre, comme Zeno, par exemple, ou Ivett, leur colère surgissait comme un bond et il leur était difficile à la maitriser. Zeno se fâchait surtout contre moi quand il essayait de me parler en hongrois et que je ne le comprenais pas. Ivett, quant à elle, réagissait de manière violente (crises) quand elle sentait que ses camarades ne la comprenaient pas. La situation a évolué quand elle a commencé à sentir que ses enseignantes la comprenaient. Elle pouvait alors mieux tolérer que les mots lui fassent défaut et se servait davantage d’un langage non-verbale pour s’exprimer (cf. portrait d’Ivett). Certain-e-s enseignant-e-s se rendaient compte de la difficulté dans laquelle se trouvaient les enfants qui n’arrivaient pas à se faire entendre. L’enseignante de Nelly, par exemple, disait que les coups de pieds que Nelly faisait à ses camarades étaient dus au fait qu’elle ne trouvait pas d’autre moyen pour exprimer son désagrément, que par un comportement agressif.

8.4.3 Une communication retardée (sauf exception)

Environ un enfant allophone sur deux ne communiquait pas verbalement en début d’année (voir les portraits de Mira, Nelly, Alice, Béatrix et Lucie, et le tableau 12). La plupart ont mis plusieurs mois avant de se sentir à l’aise dans leurs interactions.

D’ailleurs, dans les entretiens avec les enseignant-e-s, certain-e-s comme Nicolas ou Valérie, ont estimé que les enfants allophones commençaient à communiquer avec aisance uniquement vers la fin de l’année (décembre). En effet, Emir, Alice, Beatrix et Sami connaissaient une facilité dans leurs échanges après trois à six mois d’école, mais pour Mira, Nelly, Zeno, Ivett et Lucie, le déclic n’est arrivé que plus tard. A la fin de l’année, certains enfants comme Emir, Alice, Beatrix et Zeno parlaient couramment en français/ hongrois, tandis que d’autres avaient encore des difficultés d’expression et de compréhension. La capacité à échanger, à comprendre et à se faire comprendre semblait mise en veilleuse ou retardée chez certains enfants allophones.

8.4.4 Une communication fragile mais pas seulement à cause de l’absence de langue commune

Nous avons vu Zeno et Emir divertir leurs camarades, apportant joie et légèreté à ces relations en construction. Néanmoins, lorsqu’ils ne trouvaient pas le bon dosage d’émotion, la complicité avec leurs camarades basculait rapidement en mésentente, et ils en ressentaient de la frustration et de l’anxiété. Emir, par exemple, pouvait parfois faire peur à ses camarades lorsqu’il poussait trop loin ses comportements de clown.

Ces derniers répondaient à son comportement dérangeant, en le repoussant, négligeant, l’excluant et parfois même en le harcelant (bullying) (voir portrait d’Emir).

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La fragilité des échanges se manifestait également par des scènes maladroites et conflictuelles avec leurs pairs. Dans une observation, Beatrix regardait avec envie le jeu d’un groupe de fillettes sans oser s’approcher d’elles. Plus tard, elle essayait d’intégrer le groupe, mais les autres fillettes l’ignoraient et faisaient mine de ne pas remarquer sa présence (voir portrait de Béatrix). Il arrivait aussi que des enfants se laissent entrainer dans des situations de jeux dans lesquelles ils ne savaient pas se protéger.

L’aisance dans la communication ne paraissait pas dépendre seulement de la performance langagière, mais du sentiment d’être compris-e et/ou de comprendre, et ceci avec ou sans les mots (tableau 12). Nelly et Alice, tout comme Mira et sa camarade portugaise arrivaient à se comprendre dans leur langue maternelle.

Néanmoins, même en l’absence d’une langue commune, Mira et son enseignant, Sami et son enseignante, Alice et l’enseignante de soutien, ou encore Beatrix et Zeno donnaient aussi l’impression de se comprendre.

Enfin, certains enfants comme Beatrix, Zeno, Nelly et Lucie montraient en se bouchant les oreilles à quel point ils pouvaient se sentir agressés par une langue méconnue qui les angoissait (cf. portraits de ces enfants, Chapitre 7). Ils nous donnaient l’impression de devoir se protéger en bloquant de force l’entrée de sonorités et de mots qui devenait oppressants et finissaient par les menacer au bout d’un certain temps.

8.4.5 Progrès dans la communication - la personnalité qui s’affirme Nous avons observé que les enfants allophones manifestaient moins de frustration et d’anxiété au fur et à mesure qu’ils gagnaient en confiance dans leur capacité à s’exprimer dans la langue véhiculaire (français/hongrois). Ivett, par exemple, faisait beaucoup moins de crises lorsqu’elle a pu commencer à s’exprimer en hongrois (voir portrait d’Ivett, Chapitre 7). Il est intéressant de constater aussi qu’il nous était plus facile de cerner la personnalité des enfants une fois qu’ils arrivaient à mieux se montrer. Nous pourrions supposer qu’eux aussi se sentaient plus vus par les adultes et que ceci calmait leurs angoisses. Derrière leur timidité du début de l’année, nous avons perçu des enfants « meneurs de groupe » à la fin de l’année. C’était le cas de Mira, Emir et Beatrix.

Les enfants allophones progressaient à différentes vitesses dans leur apprentissage de la langue scolaire (francais /hongrois). Ivett, par exemple, donnait l’impression d’avoir constamment besoin de reconnaissance. Elle demandait souvent : « Itt ? » (Ici ?), « Szép ? » (C’est beau ?) pour avoir confirmation de la part de l’adulte que ce qu’elle faisait était bien. En revanche, Alice, qui était restée longtemps figée et bloquée à toute forme de communication, d’un jour à l’autre a commencé à parler en français avec confiance et aisance (portrait). On a vu alors qu’elle avait accumulé un savoir en français qu’elle attendait de pouvoir utiliser une fois qu’elle se sentait suffisamment en confiance pour parler correctement (tableau 12).

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