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1 Appraisal esthétique : Définition et description

1.3 La problématique de la nouveauté dans l’art moderne

Il semble utile de faire une remarque sur l’évaluation de la nouveauté, puisqu’il s’agit d’une valeur centrale de l’art moderne. Ce critère est particulièrement pertinent à l’occasion de l’analyse des œuvres modernes depuis Picasso. Dans la création artistique, notamment de notre époque, l’idée de dépassement, d’invention et d’originalité est au cœur des préoccupations artistiques. Entre la nouveauté et l’originalité, la frontière est parfois floue parce qu’il s’agit toutes les deux d’un décalage résultant de la comparaison au niveau sensori- moteur ou conceptuel entre l’état actuel et l’état précédent. À l’origine, dans la nature, c’est un mécanisme destiné à détecter la familiarité du stimulus et le changement de l’environnement. Ce mécanisme est indispensable pour définir la relation entre l’organisme et son environnement. Il est aussi capital pour déterminer le comportement de l’organisme face au changement de l’extérieur ou de l’intérieur de l’organisme. Même dans un environnement artificiel, dans un espace culturel, ce mécanisme continue à jouer son rôle éminent en vue de régir les comportements de l’homme.

Or, autant un stimulus familier est souvent pour l’organisme un signe de sûreté et d’assurance, autant un stimulus nouveau communiquant le changement de l’environnement est généralement défini comme alerte, ce qui a pour effet d’augmenter l’attention de l’organisme et de préparer la modification de comportement. L’évaluation du degré de nouveauté détermine l’ampleur et la densité d’une stimulation sensorielle au niveau

d’activation. Plaisante ou déplaisante, la nouveauté représente toujours une sorte de bouleversement pour l’organisme. Elle est un facteur déstabilisant, associé à l’inconnu et à l’incertitude. Cependant, il faut signaler que le critère de nouveauté n’est pas nécessairement associé de manière fixe à la qualité hédonique. Dans le domaine des arts visuels, le fait que la nouveauté soit sentie comme plaisir ou non dépend largement des contextes et des individus. D’un côté, la nouveauté artistique peut être ressentie comme déplaisante pour les esprits conformistes qui se contentent de se réfugier dans l’habituel et repoussent toute forme de changement. De l’autre, sa présence peut être éprouvée comme séduisante et saisissante pour les esprits rageurs, en mal de transformation. Nous pouvons dire que la réaction de l’individu, positive ou négative, vis-à-vis d’un style artistique dépend largement de l’intérêt que porte cet individu. Par ailleurs, que la nouveauté soit vécue comme désirable ou déstabilisante, cela dépend également de la capacité de l’individu à gérer les situations changeantes. Une transformation peut être vécue comme haïssable par un individu désœuvré devant une nouvelle situation et pourtant comme attrayante par celui qui estime pouvoir gérer la situation aussi bien physiquement, intellectuellement qu’émotionnellement. À l’opposé, la familiarité peut être ressentie comme agréable et liée au sentiment de détente, d’aise, de légèreté et de maîtrise dans certains contextes, mais pénible et liée au sentiment d’ennui, de morosité ou de lassitude dans d’autres contextes.

Ainsi, l’évaluation ne nous paraît pas être un processus univoque. L’évaluation d’une caractéristique du stimulus de l’émotion telle que la qualité hédonique de la nouveauté est insérée dans un réseau de critères évaluatifs qui agissent l’un sur l’autre, ce qui pourrait donner une allure « relative » quant à son jugement. La subjectivité est souvent donnée comme raison et comme explication de ce caractère relatif de l’effet hédonique de la nouveauté. Nous pensons que dire, comme les subjectivistes ou comme les relativistes, que ressentir la nouveauté comme plaisante n’est que subjectif, n’ayant pas de condition de vérité, c’est laisser place à l’opacité théorique. L’approche de Zemach qui s’applique à fonder la réalité du prédicat esthétique sur les conditions standard d’observation définies par la communauté des experts d’art ne résout pas non plus ce problème de relativité. En effet, de même que le vrai problème des molécules d’eau n’est pas de savoir qu’elles se présentent comme liquide dans les conditions standards d’observation, telles qu’elles sont définies par Zemach, mais de savoir que dans telle ou telle condition les molécules H2O sont dans un de

n’est pas de savoir s’il existe des conditions standards d’observation de la nouveauté perçue comme plaisante, mais de savoir dans quelle condition la nouveauté est perçue comme séduisante et, inversement, dans quelle condition elle est vécue comme repoussante, et si ces conditions peuvent se traduire en variables déterminables, observables et manipulables. Vouloir déterminer les conditions standard d’observation des molécules H2O, c’est passer à

côté de l’essentiel, c’est omettre la vraie nature des molécules H2O en voulant la restreindre à

une condition standard. Idem pour des prédicats esthétiques. En effet, si les conditions qui déterminent le fait de ressentir la nouveauté comme plaisante sont stables, alors nous avons les conditions de vérité pour dire que « dans telle ou telle condition, ce qui est nouveau est beau ». De même que les conditions qui déterminent l’état des molécules d’eau sont objectives, nous pouvons dire que les conditions qui déterminent la nouveauté perçue comme plaisante sont objectives. Idem pour d’autres formes de jugement esthétique. Le vrai problème pour nous n’est pas de savoir les conditions standard d’observation des prédicats esthétiques, mais de trouver les variables déterminantes, les conditions objectives qui font qu’ils sont ainsi. Ces variables, ces conditions, ces critères peuvent être très nombreux et leur interaction peut être ultra complexe. Nous sommes donc dans un réseau de variables, de relations chiasmatiques, entrelacées. Développer un modèle d’évaluation (d’appraisal), c’est vouloir établir un modèle heuristique et un cadre théorique qui nous permettront d’envisager les variables, les conditions, les critères, les principes qui détermineront l’effet produit par une propriété perceptive. Notre étude s’applique ainsi à développer un modèle d’appraisal en vue de chercher les variables qui déterminent le contenu évaluatif, affectif perçu d’une propriété esthétique.

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