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3 Aperçu et constitution de cette étude

3.2 Deuxième partie : Appraisal esthétique (Évaluation esthétique)

La deuxième partie de cette étude vise à résoudre le problème de l’expression artistique et de l’expressivité de la forme picturale en introduisant la notion de l’évaluation incarnée, ou autrement, celle de l’appraisal incarnée (embodied appraisal). Notre intention est de vouloir expliquer le déclenchement du sentiment esthétique et la formation de son contenu en prenant appui sur la théorie de l’évaluation des émotions. Le terme « théorie de l’appraisal incarné » (embodied appraisal theory) est, à l’origine, proposé par Jesse Prinz, en vue de réconcilier le débat entre les conceptions cognitivistes de l’émotion, notamment celles qui apparaissent sous le nom de théories de l’évaluation cognitive ou de théories de l’appraisal, et les conceptions non cognitivistes, généralement sous l’influence de la théorie James-Lange35. Selon la pensée de Prinz, l’émotion est intiment liée à la perception dans un double sens : premièrement, l’émotion est née de la « proprioception », à force de percevoir le changement de l’état corporel ; deuxièmement, l’émotion est déclenchée par l’« extéroception », à savoir par la perception du stimuli provenant de l’extérieur, le danger, la perte, l’objet désiré, par exemple. Selon Prinz, l’émotion est, d’un côté, somatiquement fondée, et de l’autre, intimement liée à l’évaluation d’un objet Intentionnel externe. De telle sorte que Prinz déclare que l’émotion doit avoir un objet Intentionnel et qu’elle doit être déclenchée par ce dernier. Inspirée par cette idée d’appraisal incarné, nous allons concevoir un modèle d’appraisal esthétique, qui vise à analyser les caractéristiques perceptives et physiques de l’objet esthétique, et qui va appuyer des critères de l’évaluation esthétique de l’objet esthétique sur celles-ci. L’essentiel vise à trouver les primitifs sensoriels qui constitueront les conditions de satisfaction pour le plaisir esthétique.

En outre, notre idée de l’évaluation de l’objet esthétique sera fondée sur l’idée de

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Cf. Jesse J. Prinz (2004). Emotions Embodied. In: Solomon, Robert C. 2004. Thinking about feeling:

« facilitation perceptive » (perceptual fluency) proposée par Piotr Winkielman et ses collègues36. Selon la conception de facilitation perceptive, toute évaluation positive de la forme visuelle est causée par une facilitation de tâche cognitive, et puis étiquetée par une émotion positive, à savoir par un sentiment de plaisir, en vue de marquer la facilité de tâche visuelle. En recourant à la pensée de Kant, notamment à la Critique de la faculté de juger, nous interprétons les conditions de la facilité perceptive comme conditions du libre jeu de la conscience percevante, dans lequel le sujet percevant se trouve face à un objet qui correspond à l’attente de la conscience opérante et qui remplit les conditions de satisfaction prédéterminées en fonction d’une certaine finalité subjective37. Dans la lignée de Kant, nous définissons ce sentiment du plaisir provenant de la facilitation visuelle comme constituant du sentiment du beau, un sentiment défini à la fois comme étant d’ordre affectif et comme ayant pour fonction métacognitive, que nous définissons comme une tâche de la conscience opérante. L’expression de ce sentiment du beau dans la peinture est une activité de rétablir les conditions de déclenchement du sentiment positif métacognitivement lié à la facilitation visuelle. L’expression de ce sentiment métacognitif est dite « originaire » dans la mesure où le rapport du véhicule de l’expression, la forme picturale, et du contenu de l’expression, le sentiment du beau et les émotions positives qui y sont associées, n’est pas une référence à la façon sémantique ou conceptuelle. C’est un lien intrinsèque entre le déclencheur ou la cause de l’émotion, l’objet esthétique, et l’effet de celui-ci qui constitue l’expérience même de l’émotion esthétique. C’est une relation reliée par l’intervention du processus de l’évaluation automatique qui donne la propriété évaluative au jugement esthétique.

Cette forme d’expression est dite « originaire » dans la mesure où le pont qui relie le support de l’émotion et son contenu est le rapport direct et causal du stimulus et de l’activation émotionnelle. Il s’agit ici d’un rapport qui repose sur la causalité physiologique de la perception et de l’arousal émotionnel. Les créations artistiques sont dites expressions originaires de l’émotion dans la mesure où elles visent à trouver ce rapport causal entre certaine émotion, notamment celui du sentiment de beau et de sublime, et les propriétés perceptives ou physiques du stimulus qui déclenchent l’émotion esthétique. C’est en ce sens que l’artiste est dit neuroscientifique intuitif, et naïf probablement, à la quête de la stimulation

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Cf. Rolf Reber, Norbert Schwarz & Piotr Winkielman (1998). Effects of perceptual fluency on affective judgments. Psychological Science, 9, 45-48.

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de son cerveau affectif par le moyen artistique qui lui est propre.

Signalons que notre étude se limite à la recherche de la stimulation au niveau sensoriel qui se distingue de la stimulation au niveau conceptuel ou sémantique. Nous pensons que c’est cette stimulation au niveau sensoriel qui constitue la fondation de l’expression originaire, émergeante, pré-réflexive et pré-propositionnelle. Le langage et le concept ne peuvent pas réellement remplacer les stimuli sensoriels, à moins qu’ils évoquent l’image mentale du stimulus physique dans l’esprit de l’individu. Or, dans ce cas, cette image mentale, trace mnésique de la perception, n’est qu’un fade remplaçant qui ne sera pas dégourdi en matière d’évoquer la même intensité d’émotion et de plaisir qu’un stimulus réel, un objet charnel. C’est la raison pour laquelle l’homme ne cesse pas d’explorer le monde manifesté dans la perception. Car c’est dans ce monde sensoriel, et dans celui-ci seul, que l’homme, l’être vivant doué de langage et malgré lui, éprouve un vrai plaisir d’existence qui n’aura jamais lieu dans l’énoncé. Le plaisir dans la perception, c’est le plaisir dans le vrai contact charnel avec le monde.

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