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2 Motivation : passage de l’information à l’action

2.1 Émotion comme préparation à l’action

L’émotion présente notre lien motivationnel avec l’objet et constitue notre action potentielle sur ce dernier. En effet, elle reflète des changements constants dans les transactions causales et comportementales entre le sujet et le monde. C’est ainsi que Magda B. Arnold définit l’émotion comme tendance à l’action produite immédiatement à la suite de l’évaluation implicite de l’objet. L’évaluation et la tendance à l’action sont dès lors reconnues par les psychologues comme deux éléments noyaux qui constituent l’expérience de l’émotion. Ce sont les facteurs centraux qui nous permettent de différencier les émotions – la peur, la joie, la tristesse, par exemple. Pour Nico H. Frijda, une théorie de l’émotion doit se composer d’un élément motivationnel, qui situe l’évaluation hédonique dans le contexte des mécanismes adaptatifs et de celui du traitement de l’information. Selon Frijda, le système de motivation constitue un instigateur d’action introduisant un changement dans l’état de préparation à l’action129 à partir des traitements affectifs précédents, en particulier à partir de l’évaluation qui juge la bienfaisance, l’urgence et le sérieux de l’objet ou la situation de l’émotion ainsi que la nécessité de modifier les comportements en cours. L’émotion est constituée de la tendance actionnaire ou d’une poussée motrice ressentie comme se rapprochant du stimulus jugé bon ou comme rejetant ce qui est jugé néfaste. Ainsi à la suite de la mise en relation du sujet et de l’objet de l’émotion par l’évaluation, s’enchaîne la mise en action du sujet ou l’« inter-action » de celui-ci et de l’objet.

L’évaluation dans les processus de traitement affectif est importante en ce qu’elle met en évidence la dimension hédonique de l’objet émotionnellement compétent – plaisant ou

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En anglais, action readiness, terme employé par Nico H. Frijda et constituant le concept noyau de sa théorie de l’émotion. Cf. Nico H. Frijda (1986). The emotions. Cambridge, Cambridge University Press.

déplaisant, favorable ou non favorable, bien ou mal – pour ensuite mettre l’individu dans un état motivationnel et puis déclencher la tendance actionnaire afin de se préparer à l’action. L’émotion définie comme état motivationnel et comme état de préparation à l’action est donc par essence relationnelle : d’un côté, elle est associée à la représentation d’une finalité ou d’un but, qui se rapporte à l’objet inducteur (la cause) de celle-là, et de l’autre, elle comporte une représentation de soi, celle du corps en action, destinée à constituer le contrôle comportemental pour l’individu. Elle est donc représentation relationnelle du moi et de l’altérité, une mise en rapport du soi et de l’objet visé. Frijda suppose d’ailleurs une relation séquentielle entre l’évaluation et l’état de préparation à l’action : l’évaluation positive ou négative de la situation induit les comportements associés – l’approche ou l’évitement. Nous pouvons dire que la tendance ou la préparation à l’action constitue en réalité une sorte de représentation motrice. Elle est destinée à modifier la position du sujet-au-monde. Elle définit l’engagement du sujet vis-à-vis de l’objet inducteur de l’émotion, comme le dit Frijda :

Les émotions, de façon générale, sont des états motivationnels. Elles sont constituée d’impulsions, de désirs ou aversions, ou plus généralement, elles comportent des changements de motivation. Elles poussent l’individu à modifier sa relation avec un objet, un état du monde, ou un état de soi, ou à maintenir une relation existante malgré des obstacles ou des interférences130.

Notons une caractéristique essentielle de ces motivations : elles sont relationnelles. Elles se jouent entre le sujet et le monde. Les émotions ne sont pas des états subjectifs, intérieurs à une personne, ou du moins pas en première instance. Evidemment, une émotion peut rester intérieure à une personne, et rester limitée à son expérience intime. Mais, même dans ce cas, la tendance à l’action est présente, se manifeste de façon plus discrète, se manifestant dans le ressenti et à travers l’imagination. En colère, on pense à ce qu’on voudrait faire à l’adversaire ou, de façon plus discrète encore, à ce qu’on aimerait qu’il lui arrive. Dans l’inquiétude, les pensées vont de-ci dé-là sans repos, raidissant le dos pour faire face à ce qui pourrait arriver. L’expérience subjective, le ressenti des émotions, est largement le reflet des tendances à l’action, comme le montrent les recherches portant sur la description des expériences émotionnelles. Les émotions dites « de base » sont caractérisées par des modes de préparation distincts et spécifiques : la peur par la tendance à s’éloigner ou à se protéger, la colère par l’opposition et l’hostilité, la honte et la culpabilité par la soumission; et les émotions de joie et de tristesse par des tendances plus diffuses d’augmentation et de diminution de l’activation générale131.

D’après Frijda, non seulement l’expression d’une émotion est l’œuvre d’une

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Cf. Nico H. Frijda (2003). Passions : L’émotion comme motivation. In : Jean-Marc Colletta et Anna Tcherkassof (éd.). Les émotions – Cognition, langage et développement. Sprimont, Mardaga, p.16.

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préparation à l’action, mais, en outre, elle est un message envoyé à autrui afin de communiquer l’état subjectif de l’individu. En effet, la direction de l’action, ou plus généralement parlant, la spatialité du mouvement, est en elle-même communicative. Par exemple, le comportement d’approche et de s’élever peut communiquer l’état d’agressivité, de vouloir faire peur et intimider. Le plaisir qu’éprouve un individu s’incarne dans l’attitude approbative et donc dans le comportement d’approcher et de consommer quand il s’agit de la nourriture. Son inverse, l’éloignement, peut alors être le signe d’avoir peur et de vouloir s’enfuir, aussi bien que la manifestation d’éprouver les sentiments négatifs tels que le dégoût, la répugnance, l’anxiété. De cette manière, non seulement les manifestations corporelles et motrices de l’émotion ont des fonctions adaptives, mais elles communiquent également les états affectifs entre les individus, nous permettant de comprendre l’état affectif d’autrui.

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