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1 Appraisal esthétique : Définition et description

1.1 L’appraisal selon Klaus R Scherer

Klaus R. Scherer présente un modèle d’appraisal, qu’il appelle le « modèle de processus composants » (component process model), permettant d’analyser une instance d’émotion selon les dimensions relativement petites et les critères relativement concrets (voir Tableau 5-1). Ce modèle décrit les émotions comme un épisode de synchronisation temporaire qui se déroulent dans les sous-systèmes en réponse à l’évaluation d’un stimulus, externe ou interne, apprécié comme pertinent par rapport aux intérêts centraux de l’organisme. Ce que Scherer appelle appraisal, ou l’évaluation cognitive, l’élément indispensable pour déclencher une instance d’émotion et différencier entre diverses émotions de l’une à l’autre, est basée sur ces processus de synchronisation. L’appraisal est celle qui permet de qualifier spontanément les émotions soit de positives soit de négatives, que les psychologues appellent la bivalence de l’émotion, basée sur la dimension hédonique de l’expérience. À priori, les objets et les situations susceptibles d’induire le plaisir seront recherchés et les autres évités. Ce modèle peut servir d’outil pour analyser les expériences de l’émotion et de l’art.

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Cf. Paul J. Silvia (2005). Cognitive appraisals and interest in visual art: Exploring an appraisal theory of aesthetic emotions. Empirical studies of the arts, 23(2), 119-134 ; Paul J. Silvia (2006). Artistic training and interest in visual art: Applying the appraisal model of aesthetic emotions. Empirical studies of the arts, 24(2), 139-162.

Nouveauté Agrément intrinsèque Rapports aux buts Potentiel de maîtrise Accord avec les standards (normes) Niveau conceptuel Attentes: cause/effet/, estimation des probabilités Evaluation +/– par anticipation, souvenir ou découlement Buts, plans conscients Capacité à résoudre des problèmes Idéal de Soi évaluation morale Niveau schématique Familiarité: comparaison des schémas Préférences /aversions apprises Besoins, mobiles acquis Schéma du corps Schémas du Soi et du social Niveau sensorimoteur Soudaineté: stimulation intense Préférences /aversions innées Besoins de base Energie disponible (Adaptation empathique ?)

Tableau 5 - 1. Les dimensions de traitement évaluatif

Source : Klaus R. Scherer & Janique Sangsue (1996). Le système mental en tant que composant de l’émotion.

Geneva Studies in Emotion and Communication 10(1), 1-13.

URL: http://www.unige.ch/fapse/emotion/publications/geneva_studies.html

À partir de la proposition de Howard Leventhal, Klaus R. Scherer suppose que l’évaluation du stimulus est définie en trois niveaux, de l’assortiment automatique et inconscient jusqu’à l’opération délibérée et conceptuelle : (1) niveau sensori-moteur ; (2) niveau schématique ; (3) niveau conceptuel (voir Tableau 5-1)159. Au niveau sensori-moteur, l’évaluation procède selon les besoins ou les préférences innés de l’organisme ; elle dépend largement des systèmes biologiques les plus primitifs, par exemple, les réflexes, spécialisés pour détecter ou réagir à certains types de stimulus. Le niveau schématique détermine la nature du stimulus selon les critères composés de différents schémas, d’habitudes ou de préférences, formulés à partir de l’histoire d’apprentissage de l’organisme. Au niveau conceptuel, les processus cognitifs de haut niveau tels que la mémoire déclarative interviennent en vue d’évaluer le stimulus selon les critères basés sur les contenus propositionnels. Les mécanismes intervenant au niveau sensori-moteur sont postulés comme génétiquement déterminés, destinés à réagir de manière inconditionnée à certains types de stimuli prédéterminés biologiquement. Le niveau schématique est constitué des schémas et

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Cf. Howard Leventhal (1984). A perceptual motor theory of emotion. In: Klaus R. Scherer, Paul Ekman

(éds.), Approaches to emotion. Hillsdale (N.J.), Lawrence Erlbaum Associates ; Howard Leventhal & Klaus R. Scherer (1987). The relationship of emotion to cognition: A functional approach to a semantic controversy.

des habitudes développés principalement au cours de l’apprentissage social. Quant au niveau conceptuel, ce sont les mécanismes composés de traitements propositionnels ou symboliques en vue de définir la signification du stimulus pour l’individu. L’évaluation et les émotions déclenchées à ce niveau sont en général conscientes et les comportements sont volontaires, tandis que l’évaluation ayant lieu au niveau sensori-moteur ou schématique est automatique et inconsciente160.

Comme le montre le Tableau 5-1, Scherer propose, à chaque niveau, cinq séquences de test afin d’évaluer la situation externe et interne dans un ordre hiérarchisé, qu’il appelle les SECs (stimulus evaluation checks, à savoir les « tests d’évaluation du stimulus »)161. Les SECs sont les critères constituants du traitement évaluatif d’un stimulus. La proposition de SECs repose sur quatre objectifs d’évaluation en vue de préparer les réactions appropriées : (1) détecter la pertinence : il s’agit de détecter la nouveauté d’un stimulus, l’agrément intrinsèque et le rapport aux buts visés ; (2) estimer l’implication : il s’agit de la capacité à déduire la cause, à prévoir la conséquence d’un événement ou à envisager le désaccord par rapport aux attentes et aux buts visés ; (3) déterminer la capacité de maîtrise : il s’agit de l’influence ou du contrôle du sujet par rapport à l’objet ou l’événement, de son pouvoir et ses ressources disponibles pour gérer la situation et de sa capacité de s’adapter à la conséquence de l’événement ; (4) évaluer la signification normative, interne et externe : il s’agit de

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Une conception similaire se trouve également chez Paul Ekman. Il propose deux mécanismes d’évaluation, un mécanisme automatique, l’autre étendu (délibéré). Le mécanisme étendu de l’évaluation est un processus conscient, lent et élaboré, tandis que l’évaluation automatique est un processus rapide et inconscient qui permet à l’organisme de réagir précipitamment face à certains défis de l’environnement. Les processus lents et rapides de l’évaluation ont pour fonction diverse : l’évaluation automatique permet à l’organisme de réagir à une situation urgente, souvent dans un environnement naturel, tandis que l’évaluation consciente est un processus qui participe dans la pleine complexité de la vie culturelle et sociale. La théorie et la recherche d’Ekman sont fondées principalement sur les processus d’évaluation automatique de l’émotion. Cf. Paul Ekman (1999). Basic emotions. In: T. Dalgleish & M. Power (éds.). Handbook of Cognition and Emotion. Sussex (U.K.), John Wiley & Sons, Ltd.

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Les cinq tests sont les suivants: (1) Test de nouveauté (Novelty check) ; (2) Test d’agrément intrinsèque (Pleasantness check) ; (3) Test de rapport aux buts visé (Goal/need conduciveness check) ; (4) Test de potentiel de maîtrise (Coping potential check) ; (5) Test d’accord avec les normes ou l’image idéale de soi (Norm/self

compatibility check). Pour plus de précision, cf. Klaus R. Scherer (1984), op. cit. ; Klaus R. Scherer (1994).

Toward a concept of “modal emotions.” In: Paul Ekman and Richard J. Davidson (Eds.). The nature of emotion:

Fundamental questions. New York/London, Oxford University Press; Klaus R. Scherer (2001). Appraisal

considered as a process of multilevel sequential checking. In: Klaus R. Scherer, Angela Schorr, & Tom Johnstone, (éds.), Appraisal processes in emotion: Theory, methods, research. London, London University Press.

l’image idéale de soi et de la norme sociale162. Parmi les quatre dimensions de l’évaluation, détecter la pertinence d’un stimulus, telle que la nouveauté/familiarité ou l’agrément/désagrément intrinsèque de l’émotion, est le test le plus simple, cependant le plus important et le plus urgent. Il est donc toujours traité en premier, aussitôt que les processus de perception sont déclenchés.

Le premier point fort de ce modèle est de nous permettre d’envisager le rapport entre l’individu et l’événement déclencheur de l’émotion. L’objectif de notre étude est d’étendre l’application de ce modèle qui est originairement destiné à l’explication de l’émotion quotidienne à l’étude des émotions esthétiques sous différentes facettes. D’après ce modèle, le résultat de l’évaluation est basé sur la bivalence – positive ou négative – de l’émotion, liée ensuite au système motivationnel. La motivation est, aussi bien pour l’animal que pour l’être humain, un système qui vise à régler son engagement dans une action. Elle entretient un lien direct avec les processus d’évaluation et avec le système hédonique, le plaisir/déplaisir. Le système motivationnel est, d’un côté, lié à une finalité ou à un but ; de l’autre, il est associé au comportement d’approche et d’évitement par rapport à cette finalité ou à ce but. En règle générale, l’évaluation positive d’une situation déclenche le comportement d’approche, alors que l’évaluation négative est associée au comportement d’évitement. L’approche et l’évitement sont les deux comportements stéréotypes de l’animal et de l’homme. La motivation d’approche et d’évitement constituent les représentations motrices et spatiales les plus fondamentales pour les êtres en action. L’évaluation bivalente et la motivation d’approche et d’évitement constituent ainsi des éléments noyaux de l’expérience de l’émotion.

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