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PARAGRAPHE I : LE MARIAGE/L’UNION DE FAIT, LEURS EFFETS JURIDIQUES ET LE DROIT

6) La violence conjugale et la coutume

La prévalence de la violence conjugale dans les sociétés du Pacifique Sud dominées par les hommes est non seulement connue, mais aussi documentée391. Selon la coutume, l’homme détient tous les pouvoirs dans le mariage. Comme vu précédemment, cela inclut, entre autres, le droit d’administrer le châtiment physique à sa femme. Il s’ensuit que la violence à l’égard des femmes et des épouses est fréquente dans ces communautés. Pour justifier leurs comportements violents, certains hommes invoquent l’argument selon lequel ils ont déjà payé la mariée (la dot) et par conséquent ils ont tous les droits sur leurs femmes392.

Par ailleurs, il faut aussi souligner qu’il y a effectivement un manque des mécanismes juridiques adéquats pour prévenir la violence conjugale et protéger les femmes victimes. Au Vanuatu par exemple, jusqu’en 2009, le seul mécanisme de protection des victimes de la violence conjugale était la possibilité de faire une demande d’injonction par écrit conformément à la Common Law permettant de prévenir et empêcher la répétition d’un acte fautif. Dans ce sens, le parlement a adopté des règlements de protection familiale pour éviter les actes de violence conjugale393. Selon de tels règlements, une victime subissant de la violence conjugale de la part d’un membre de sa famille peut faire une demande d’ordonnance de protection familiale dans le but d’obtenir une

exception aucune, et sans distinction ou discrimination fondées sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance, ou sur toute autre situation, que celle- ci s’applique à l’enfant lui-même ou à sa famille ». L’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant dispose que : « 1) Les États parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre de l’enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation. 2) Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille » Convention relative aux droits de l’enfant, supra note 382.

391 Loretta Poerio, Domestic Violence in the Solomon Islands, Results of a Community Survey, Brisbane, Griffiths

University, 1995 ; Merrin Mason, « Domestic Violence in Vanuatu », dans Sinclair Dinnen et Allison Ley, dir.,

Reflections on Violence in Melanesia, Sydney, Hawkins Press/Asia Pacific Press, 2000, 119 ; Susan Toft, Domestic Violence in Papua New Guinea, Monograph 3, Port Moresby, Papua New Guinean Law Reform Commission, 1985 ;

Bernklau et al., Changing Laws, supra note 6, à la page 88 ; Tor et Toka, Gender, supra note 45, à la page 42-53 ; Chassot, « Violences et discriminations », supra note 40, à la page 65 ; Brown, Reconciling Customary Law, supra note 40, à la page 147; Jalal, Pacific Women, supra note 40, chapitre 5.

392 Voir le travail de terrain mené par Roselyn Tor et Anthea Toka Tor et Toka, Gender, supra note 45, à la page 44-51. 393 Par exemple, le règlement adopté en 2002 : Civil Procedure Rules, supra note 331.

injonction judiciaire de non-violence qui peut par exemple interdire à l’homme violent de s’approcher de la victime.

Une telle possibilité présente l’avantage de coûter moins cher et la victime n’a guère besoin d’un avocat394. Cependant, ce mécanisme a montré ses limites dans la décision Taleo v. Taleo395 où la Cour a adopté un raisonnement pour ne pas exclure un mari violent de la maison familiale. Il a soutenu qu’une telle décision aurait privé le père de son droit à la libre circulation reconnu par l’article 5 de la Constitution. De plus, la demande d’injonction doit être faite par écrit. Or, ce processus est souvent lent et désavantage considérablement les femmes victimes de la violence conjugale. La menace à laquelle elles font face nécessite un mécanisme d’intervention de protection efficace.

En outre, toujours avant l’adoption de la Family Protection Act de 2008, la violence à l’égard des femmes n’était visée par aucune loi particulière. Elle était alors considérée comme un délit d’« assault »396 sanctionné par l’article 107 du Code pénal du Vanuatu qui prévoit que :

No person shall commit intentional assault on the body of other person.

Penalty : a) If no physical damage is caused, imprisonment for 3 months ; b) If damage of a temporary nature is caused, imprisonment for 6 months ; c) If damage of a permanent nature is caused, imprisonment for 5 years ; d) If the damage so caused results in death, imprisonment for 10 years397.

Le législateur a alors assimilé la violence conjugale à une simple question privée. Or, compte tenu de la gravité de la violence conjugale, il apparaît important d’y consacrer une place à part entière soit dans le Code pénal, soit dans une législation. Les violences volontaires entre deux personnes dans le cadre d’une rixe étaient plus sévèrement réprimées que si elles étaient commises par un mari sur sa femme. De plus, comme l’a si bien dit Laurent Chassot, « l’interprétation patriarcale du droit écrit comme du droit coutumier, combinée aux pressions politiques et culturelles du pays, agissent sur les habitants comme un miroir qui renvoie l’image d’une société irrémédiablement dominée par les hommes »398.

La nouvelle loi, Family Protection Act qui a été adoptée en 2008 et entrée en vigueur en mars 2009, a pour objectif de punir sévèrement les auteurs des violences conjugales. Elle donne aussi le

394Faran, A Digest, supra note 330, à la page 48. 395 Taleo v. Taleo, [1996] VUMC 2.

396 Le terme anglais « assault » doit être entendu de manière large. Il englobe toute forme d’agression physique ou

morale ; Chassot, « Violences et discriminations », supra note 40, à la page 66.

397Code Pénal du Vanuatu, supra note 19, art. 107.

pouvoir au juge d’émettre une ordonnance de protection contre l’auteur de la violence conjugale. Il prévoit qu’après enquête, si la police estime que le défendeur a commis un acte de violence conjugale ou a violé l’ordonnance de protection familiale émise par un juge, celle-ci doit l’arrêter et le traduire en justice dans les 48 heures qui suivent son arrestation. Il faut aussi noter que désormais, il est légalement prévu que les maris violents ne peuvent pas invoquer l’argument du paiement de la dot en cas de violence conjugale. En effet, l’article 10 de la nouvelle loi dispose que :

(1) A personne who commits an act of domestic violence is guilty of an offence punishable on conviction by a term of imprisonment not exceeding 5 years or fine not exceeding 1000,000 vatus (1,100 USD) or both.

(2) It is not a defence under subsection (1) that the defendant has paid an amount of money or given other valuable consideration in relation to his or her custom mariage to the complainant399.

Enfin, cette nouvelle loi facilite l’obtention de la part de la victime, d’une ordonnance de protection familiale dans la mesure où les demandes peuvent désormais se faire aussi bien verbalement, par téléphone, par courriel que par écrit400.

Cependant, force est de constater que la mise en œuvre de cette loi n’est nullement chose facile compte tenu des pressions coutumières et des attitudes patriarcales entretenues par la société masculine en général. Ainsi, les dépôts de plainte aux commissariats de police n’entrainent pas toujours l’ouverture d’une information judiciaire, pour différentes raisons notamment l’intervention des chefs qui détournent le différend vers les tribunaux coutumiers ou encore en raison des liens de parenté avec l’époux présumé être l’auteur des violences et les membres de la police401. Nous reviendrons sur la critique de cette loi dans la deuxième partie de notre thèse, mais pour l’heure, soulignons que malgré quelques progrès (dont l’adoption de cette loi), les femmes sont encore trop souvent victimes des violences conjugales. Les attitudes ptriarcales notamment des chefs encouragent ces violences (en particulier lorsqu’ils poussent les parties à régler leur différend à l’amiable ou à le détourner vers les tribunaux coutumiers qui ignorent très souvent les intérêts des femmes). Par ailleurs, précisons aussi qu’au Vanuatu, il n’existe pas de maison d’hébergement pour les femmes violentées ou victimes de violences intrafamiliales. Seuls les locaux des certaines ONG travaillant pour les femmes leur servent parfois de refuge. Nous aborderons le rôle de ces ONG dans la deuxième partie de notre thèse.

399Family Protection Act, art. 10 alinéa 1 et 2, supra note 3. 400Family Protection Act, art. 28, supra note 3.

PARAGRAPHE II : LE DROIT DE PROPRIÉTÉ/SUCCESSION ET LE DROIT