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L’existence du pluralisme juridique au Vanuatu a par ailleurs conduit à la mise en place des tribunaux variés. Ainsi, dans ce paragraphe, nous allons dans un premier temps, aborder la question de la juridiction mixte avant l’indépendance (1). Dans un second temps, nous allons nous intéresser au système judiciaire du pays après l’indépendance, autrement dit aux juridictions actuelles (2). Notre objectif ici consiste non seulement à traiter une des facettes du pluralisme juridique (c’est-à- dire la question des juridictions variées), mais aussi de clarifier la question de la hiérarchisation des tribunaux étant donné certaines particularités du système judiciaire du Vanuatu. Ce dernier point est pertinent puisque nous allons tout au long de notre étude citer des décisions des différents tribunaux du pays pour appuyer nos propos.

1) Les juridictions avant l’indépendance

Du Condominium néo-hébridais découlait logiquement un système de juridiction mixte pendant la période coloniale175. Un Tribunal mixte des Nouvelles-Hébrides (Joint Court) a été établi conformément à l’article 10 du Protocole de 1914. Il était composé d’un juge français, d’un juge anglais et d’un troisième magistrat nommé par le Roi d’Espagne (par souci de neutralité). Il avait compétence sur les litiges civils et fonciers mettant en cause un autochtone et un non autochtone. Il ne statuait sur des procès criminels que lorsqu’un autochtone commettait un crime à l’égard d’un non autochtone176. Il était aussi compétent en cas de saisine concurrente des juridictions française ou anglaise (ou de leur refus de se déclarer compétentes) pour déterminer la juridiction compétente. Il pouvait aussi connaître du fond du litige sur demande conjointe de deux parties. Le Tribunal mixte n’était pas tenu de suivre les règles spécifiques de procédure que le Protocole de 1914 imposait aux autres juridictions177. Les règles applicables relevaient du droit coutumier et des règlementations mixtes adoptées conjointement par les autorités françaises et britanniques.

Parallèlement à ce Tribunal mixte, les deux puissances coloniales mettaient en place leurs propres tribunaux de première instance compétents pour statuer sur toute action intentée par leurs sujets de droit. En ce qui concerne une action mettant en cause un Britannique et un Français, une

175 O’Connel, « Condominium », supra note 150, à la page 122 et s. ; Weisbrot, « Custom », supra note 101, à la

page 67 et s.

176 Voir Sara Lightner et Anna Naupa, Histri Blong Yumi Long Vanuatu, Port Vila, Vanuatu Cultural Centre, 2005,

Traduction française de Marc Tabani, à la page 18.

compétence de principe est attribuée au tribunal (français ou britannique) du défendeur conformément à l’article 20 du Protocole de 1914. Un sujet britannique qui intentait une action à l’encontre d’un Français, ne pouvait le faire que devant les juridictions françaises et conformément aux lois françaises applicables et inversement. Les décisions de ces tribunaux de première instance pouvaient faire l’objet d’appel devant la Cour d’appel de Fiji (pour ce qui concerne les décisions des tribunaux britanniques de première instance) et devant les tribunaux de second degré en Nouvelle-Calédonie (pour ce qui concerne les décisions des tribunaux français de première instance).

Enfin, des tribunaux indigènes ont aussi été mis en place pour connaître des litiges criminels impliquant deux autochtones. Ils étaient composés de deux assesseurs locaux et d’un agent français ou britannique. Les décisions de ces tribunaux pouvaient faire l’objet d’appel devant le Tribunal mixte.

2) Les juridictions après l’indépendance

Depuis l’indépendance, conformément à la Constitution Vanuatu et à un certain nombre de lois adoptées178 portant sur le système judiciaire, différentes juridictions ont été mises en place. Dans l’ordre hiérarchique, on note la Court of Appeal (la Cour d’appel), la Supreme Court (la Cour suprême), la Magistrates’ Court (le tribunal de première instance) et les Island Courts (les tribunaux des îles)179.

La Cour d’appel est régie par l’article 50 de la Constitution180 et les articles 45 à 48 de la Judicial

Services and Courts Act181. Elle statue en appel sur des décisions de la Cour suprême. Elle siège deux fois dans l’année et les juges viennent de la Cour suprême du Vanuatu et aussi des juridictions étrangères (Cour suprême de Fidji, de la Papouasie Nouvelle-Guinée et de la Nouvelle-Zélande).

178 D’abord par la Courts Act de 1980 (Courts Act) qui a été abrogée par la Judicial Services and Courts Act de 2000

(Judicial Services and Courts Acts). Cette dernière a ensuite été amendée par la Judicial Services and Courts

(Amendment) Act de 2003. Voir aussi Island Courts Act de 1983 (Island Courts Act) ou encore Custom Land

Management Act de 2013 Custom Land Management Act.

179Corrin et al., Introduction to South Pacific Law, supra note 40, à la page 323.

180 L’article 50 de la Constitution du Vanuatu prévoit que « le Parlement définit la procédure d'appel quand la Cour

Suprême juge en première instance afin de déférer en appel tout jugement prononcé par une juridiction siégeant en qualité de Cour d'appel "ad hoc" constituée de deux magistrats de la Cour Suprême siégeant collégialement » Constitution du Vanuatu, supra note 2.

Elle est compétente pour connaître des procès (appels) aussi bien civils que criminels. La Cour d’appel constitue, comme nous l’avons souligné, le plus haut tribunal du pays.

La Cour Suprême est régie quant à elle par l’article 49(1) de la Constitution et les articles 27 à 44 de la Judicial Services and Courts Act. Selon ces dispositions, elle est investie d’un droit de juridiction absolue pour connaître de tout procès civil, criminel ou coutumier. Elle statue aussi en appel sur les décisions des Magistrates’ Courts et des Island Courts. De plus, dans les termes de l’article 53 de la Constitution, la Cour suprême est compétente non seulement pour interpréter la Constitution, mais aussi pour exercer un contrôle a posteriori sur la constitutionnalité des lois. Par ailleurs, la Cour suprême du Vanuatu, comme celles des autres États de la région, exerce un rôle de supervision sur les tribunaux inférieurs182. Ce rôle de supervision doit être compris ici comme la compétence qu’a une Cour supérieure de réviser les décisions des tribunaux inférieurs, c’est-à-dire de rendre des ordonnances invalidant une décision (certiorari), refusant l’exécution d’une décision (prohibition), obligeant un individu à remplir un devoir public (mandamus), libérant une personne détenue illégalement (habeas corpus) ou encore forçant un individu à quitter un poste public qu’il détient illégalement (quo warranto)183.

Les Magistrates’ Courts sont régies par la Magistrates’ (Civil Jurisdiction) Act184 ainsi que par les articles 12 à 24 de la Judicial Services and Courts Act. Elles sont compétentes pour connaître des procès aussi bien civils que criminels, mais sous réserve d’un certain nombre de plafonds. Elles peuvent aussi statuer en appel sur des décisions civiles de Island Courts, sauf en ce qui concerne les questions de la propriété terrienne qui ne peuvent être attaquées que devant la Cour suprême. Les

Magistrates’ Courts ne sont cependant pas compétentes pour connaître des procès portant sur un

certain nombre de questions telles que l’adoption, le statut civil, la succession, la faillite, l’insolvabilité et liquidation185.

Les Island Courts ou les tribunaux des îles sont régis par la Island Courts Act de 1983186. Nous reviendrons sur ces tribunaux plus bas lorsque nous aborderons la question du droit coutumier étant donné que ceux-ci sont compétents pour appliquer, entre autres, le droit coutumier. Ils sont par

182 L’article 84 alinéa 1 de la Constitution des Iles Salomon dispose par exemple que : « The High Court shall have

jurisdiction to supervise any civil or criminal proceedings before any subordinate court and may make such orders, issue such writs and give such directions as it may consider appropriate for the purpose of ensuring that justice is duly administered by any such court » Constitution of Solomon Islands, supra note 24.

183Corrin et al., Introduction to South Pacific Law, supra note 40, à la page 113. 184 Magistrates’ (Civil Jurisdiction) Act 1981 Magistrates’ Civil Jurisdiction Act. 185 Voir Magistrates’ Civil Jurisdiction Act, supra note 184, art. 2.

ailleurs compétents pour connaître des procès civils et criminels mineurs dans les villages et les îles. Ils peuvent aussi statuer sur des questions de la propriété terrienne. Leurs décisions sur ces dernières sont finales. Seule la Cour suprême a un rôle de supervision en matière procédurale sur ces tribunaux.

Enfin, en conclusion de cette section, le colonialisme a créé une forme de pluralisme très « riche » dans les États du Pacifique Sud dont le Vanuatu. D’un point de vue théorique, il existe un débat sur les différentes conceptions du pluralisme juridique. Retenons simplement que le pluralisme juridique « faible » favorise le centralisme étatique contrairement au pluralisme juridique « radical » qui reconnaît les autres ordres normatifs. Dans cette thèse, nous soutenons la position du pluralisme juridique radical qui rejette le centralisme étatique. D’un point de vue pratique, nous étudions le pluralisme juridique au Vanuatu. Ainsi, les administrations coloniales ont amené avec elles leurs formes de système juridique en pensant que celles-ci pouvaient les aider à gouverner les peuples autochtones. Or, les systèmes traditionnels du Vanuatu et des autres États de la région n’ont pas disparu malgré qu’ils aient été lourdement touchés par le colonialisme187. Aujourd’hui cependant, le système juridique et judiciaire du Vanuatu, comme celui des autres États insulaires de la région, repose essentiellement sur la Common Law (nous reviendrons sur ce point dans la dernière section). La Constitution permet également l’application du droit français. Toutefois, en raison de l’inexistence de juristes francophones, on assiste à une disparition progressive du droit français dans le pays. Enfin, le pluralisme juridique au Vanuatu a aussi conduit à la mise en place des juridictions variées qui reposent essentiellement sur le modèle de la Common Law.

Cette prééminence de la Common Law n’éclipse cependant pas comme nous l’avons souligné, le droit coutumier qui a toute sa place dans les communautés traditionnelles des États du Pacifique Sud. Ainsi, une étude approfondie de la coutume ou du droit coutumier au Vanuatu s’impose étant donné que celui-ci est au cœur de notre réflexion, notamment lorsque nous abordons les conséquences du pluralisme juridique sur les droits fondamentaux et les possibilités de conciliation entre les différentes valeurs en cause.

187 Jennifer Corrin et Jean Zorn, « Legislating Pluralism, Statutory ‘Development’ in Melanesian Customary Law »,

SECTION II : L’EXAMEN DE LA COUTUME OU DU DROIT COUTUMIER AU