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Norme de droit objectif fondée sur une tradition populaire […] qui prête à une pratique constante, un caractère juridiquement contraignant; véritable règle de droit (comme la loi), mais d’origine non étatique (et en général non écrite) que la collectivité a faite sienne par habitude […] dans la conviction de son caractère obligatoire […] Exemple : la femme prend en se mariant l’usage du nom du mari (phénomène sociologique comme l’usage, la coutume est par sa force et son domaine d’application une source de

188 Nous l’avons souligné dans notre introduction générale, la Mélanésie regroupe les pays comme le Vanuatu, les Iles

Fidji, les Iles Salomon, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et la Nouvelle-Calédonie. Nous excluons cependant la Nouvelle- Calédonie de notre étude puisqu’elle est toujours colonisée par la France.

189 Miranda Forsyth, « Beyond Case Law : Kastom And Courts in Vanuatu », (2004) 35 V. U. W. L. R. 427, à la page 429

droit de rang théoriquement supérieur aux usages dont la portée est souvent limitée et la force variable)190.

Dans ce sens, la Interpretation Act191 dispose que la coutume doit s’entendre comme les coutumes et pratiques traditionnelles des peuples autochtones du Vanuatu.

En analysant ces définitions, la coutume peut avoir deux significations différentes. Premièrement, elle peut signifier des simples usages et pratiques d’une personne ou d’un groupe de personnes. À titre d’exemple, dans un certain nombre de pays du Pacifique Sud, conformément aux usages et pratiques, il y a une manière de tresser les nattes et les paniers. Mais les personnes ne seront pas sanctionnées si elles n’observent pas ces pratiques. Au Vanuatu, le mot « kastom » issu de custom en anglais est régulièrement employé en Bislama (langue pidgin et troisième langue officielle du pays après l’anglais et le français) pour désigner la coutume. Ce terme « kastom » est employé d’une façon générale pour décrire les pratiques traditionnelles et la manière de faire les choses pour les autochtones, par opposition à la manière de faire les choses pour les étrangers192.

Deuxièmement, la coutume peut signifier non pas ce qui a été fait, mais ce qui doit être fait. Dans ce cas, elle est considérée comme une pratique contraignante, autrement dit une règle de droit qui doit être observée et les personnes qui ne s’y conforment pas seront sanctionnées. Ainsi dans un certain nombre d’États du Pacifique Sud, il existe des coutumes qui régissent la manière de s’adresser à un chef de la communauté, les relations sexuelles entre les membres de la famille ou entre les personnes mariées et les personnes non mariées. Les chefs de la communauté veillent au respect et à l’application de ces coutumes et les membres de la communauté qui ne s’y conforment pas seront sanctionnés. Le terme « coutume sociale » est employé pour désigner la coutume en tant que simples usages (pratiques mentionnées plus haut) et le terme « droit coutumier » est employé pour désigner les pratiques à force contraignante193. La définition de la Commission des lois de la Nouvclle-Zélande va dans ce sens. En effet, en 2006, celle-ci s’est penchée sur la question de conflit entre les droits fondamentaux et les droits coutumiers dans les États du Pacifique, notamment au Vanuatu, et a reconnu qu’il n’est pas facile de définir les coutumes du Pacifique

190Gérard Cornu, dir., Vocabulaire juridique, 8e éd., Paris, Presses Universitaires de France, 2007, s.v. « coutume », à la

page 251.

191 Interpretation Act 1981 Vanuatu Legislation, Schedule 2 : « Interpretation of Words and Expressions ». 192 Forsyth, « Beyond », supra note 189, à la page 429.

193 Don Paterson, Legal systems 1 Course Book Two, Port Vila, School of Law, University of the South Pacific, 1995, à la

page 345 Paterson, Legal Systems Course Book Two ; Aussi, Paul De Deckker et Laurence Kuntz ont défini la coutume du point de vue anthropologique comme « un ensemble de normes secrétées par un groupe depuis des temps immémoriaux et qui connaîtrait des modulations au gré des dynamiques historiques et des transformations inhérentes au groupe qui les a produites » (Deckker et Kuntz, La bataille de la coutume, supra note 11, à la page 87).

compte tenu de leur nature changeante. Elle s’est cependant efforcée de donner une définition selon laquelle les coutumes des États du Pacifique sont « les valeurs, principes et normes que les membres d’une communauté culturelle acceptent comme base ou critère de tout comportement approprié. Le droit coutumier est donc constitué par les valeurs, principes et normes auxquels les membres d’une communauté se considèrent liés » [notre traduction]194. Une telle définition (ou plutôt sous-définition puisqu’elle s’inscrit dans l’idée des pratiques contraignantes) est importante parce que comme nous le verrons, certaines décisions des chefs coutumiers sont loin d’être des simples décisions puisque ces autorités coutumières pensent réellement appliquer une coutume à laquelle ils se considèrent liés.

En s’alignant sur cette deuxième signification (celle ayant un caractère contraignant), Patricia Imrana Jalal considère que dans le contexte des États du Pacifique Sud le droit coutumier doit être considéré comme « les règles ou les procédures de résolution de conflits appliquées par les clans, les lignages et les villages traditionnels » [notre traduction]195. Elle constate que le droit coutumier s’applique essentiellement aux questions relatives au droit foncier, au droit de pêche, à l’héritage, au mariage, au divorce, à la garde des enfants, mais aussi à la résolution des conflits, aux sanctions et aux interdictions.

C’est cette deuxième définition de la coutume ou droit coutumier (c’est-à-dire les pratiques contraignantes) qui retiendra notre attention dans cette étude et les termes « droit coutumier » ou « les coutumes » seront employés indifféremment. Pareillement, le juge en chef de la République du Vanuatu a soutenu que c’est cette seconde signification qui transforme la pratique en droit coutumier196. Même si elle n’est pas écrite, la coutume est importante non seulement dans le processus de résolution des disputes, mais aussi dans l’établissement de l’harmonie, l’ordre et la paix dans la société traditionnelle et dans la détermination de la place de l’individu dans la communauté.

194 Geoffrey Palmer, Warren Young, Eddie Durie et Helen Aikman, Converging Currents: Custom and Human Rights in

the Pacific, Study Paper 17, Wellington, New Zealand Law Commission, 2006, à la page 46, en ligne :

[http://www.lawcom.govt.nz/sites/default/files/publications/2006/10/Publication_120_340_SP17.pdf] (accessible le 27 octobre 2013). La définition originale de la Commission : « ...the values, principles and norms that members of a cultural community accept as establishing standards for appropriate conduct, and the practices and processes that give effect to community values » Palmer et al., Converging.

195 Jalal « Ethnic », supra note 37, à la page 2. La définition originale de l’auteure : « the rules and dispute-resolution

proceedings of clans, lineages and traditional villages ».

En ce qui concerne l’historique de la coutume ou de droit coutumier, avant l’arrivée des Européens dans la région du Pacifique Sud et au Vanuatu, ces pays avaient déjà mis en place des systèmes du droit coutumier renforcés par les chefs des communautés. Miranda Forsyth a noté qu’avant la colonisation des ces États, les comportements criminels sont dissuadés non pas par les lois et les sanctions, mais par le pouvoir positif des liens sociaux entre les communautés. Autrement dit, les disputes se règlent par consensus. Le règlement des disputes vise à restaurer la paix et l’harmonie entre les parties et réparer les dommages197. La régulation de l’ordre social n’était donc pas écrite, mais était au contraire communiquée à l’oral et par l’action.

Au XIXe siècle, lorsque les gouvernements européens ont commencé à exercer leur contrôle dans ces communautés, ils avaient à décider quel rôle le droit coutumier devait jouer dans les systèmes gouvernementaux qu’ils établissaient dans ces îles. En réalité, ces gouvernements n’étaient pas prêts à reconnaître les coutumes ou les droits coutumiers comme faisant partie du droit officiel et les tribunaux qu’ils établissaient n’étaient pas autorisés à appliquer les coutumes des autochtones. Les raisons pour ce rejet s’expliquaient dans une large mesure par les conflits de cultures et de valeurs. Contrairement au droit que connaissaient les Européens, les droits coutumiers n’étaient pas écrits, mais s’exprimaient oralement. Par conséquent, il était difficile pour les Européens d’en avoir la compréhension exacte. Même s’ils connaissaient un certain nombre de ces coutumes, ils considéraient plusieurs d’entre elles comme contraires à leurs valeurs fondamentales. Ils les considéraient inappropriées, non uniformes et non conformes à l’administration qu’ils établissaient. Ainsi, certaines coutumes, par exemple celles qui permettaient aux chefs coutumiers d’infliger les mutilations et l’exil aux membres de leurs communautés, étaient considérées par les Européens comme barbares et contraires aux principes fondamentaux de l’humanité. Pareillement, les coutumes qui permettaient aux chefs coutumiers d’infliger des sanctions à l’encontre des membres de leurs communautés sans écouter leurs arguments étaient considérées comme contraires aux principes fondamentaux de la justice. De même, les coutumes interdisant aux individus de sortir de certains types de comportements étaient considérées par les Européens comme contraires aux principes fondamentaux de la liberté et du développement économique198.

Par ailleurs, pendant la colonisation, le Condominium néo-hébridais ne régulait pas directement les affaires autochtones. L’article VIII du Protocole de 1914 disposait que « les Hauts-Commissaires et les Commissaires-Résidents auront autorité sur les chefs des tribus indigènes. Ils auront, en ce qui

197 Forsyth, « Beyond », supra note 189, à la page 430.

concerne ces tribus, le pouvoir d’édicter des règlements d’administration et de police et d’en assurer l’exécution »199.

En effet, certaines initiatives du condominium semblaient mettre à mal plutôt que de réguler les organisations tribales et les pouvoirs des chefs. Ainsi, aucune loi n’a été adoptée en ce qui concerne l’action civile entre les peuples autochtones, les droits des peuples autochtones à créer une entreprise commerciale ou encore jusqu’en 1967 d’enregistrer les naissances, les morts et les mariages.

De plus, comme mentionné précédemment, l’article 8 du Protocole de 1914 dispose que les coutumes conformes aux principes d’humanité et au maintien de l’ordre seraient prises en compte dans la préparation d’un Code civil et d’un Code criminel autochtones. Un Code criminel indigène a été édicté, mais ne contenait aucun élément du droit coutumier. Les tribunaux indigènes qui ont été mis en place appliquaient donc essentiellement le droit colonial (même s’ils ont été autorisés à appliquer les coutumes). On notait cependant quelques exceptions dans certains autres pays de la région. Ainsi, aux Iles Salomon, à partir de 1942, des tribunaux autochtones ont été établis et avaient pour compétence de statuer sur des procès civils et criminels mineurs. Toujours aux Iles Salomon (à partir de 1972), les tribunaux officiels établis étaient autorisés à statuer en appel sur des décisions relatives à la coutume, notamment celles concernant les terres coutumières où les intérêts des autochtones étaient en jeu200.

En accédant à l’indépendance, ces États avaient un intérêt grandissant à s’assurer que le droit coutumier soit appliqué par les tribunaux qu’ils venaient de mettre en place. À l’exception de Tonga, ils prévoyaient tous dans leurs nouvelles Constitutions que le droit coutumier constitue le fondement de la propriété et de l’usage des terres. Aux Iles Salomon, Tuvalu et Vanuatu, des lois disposent que la coutume s’applique en tant que loi du pays par tous les tribunaux. Ces États s’engagent donc d’une manière ou d’une autre, dans un processus de développement d’un système juridique moderne incluant des éléments du droit coutumier. Il est cependant important de souligner ici que dans cette étude, c’est la manifestation de la coutume après l’indépendance (et donc aussi celle actuelle) de l’État océanien qui nous intéresse.

199 La version anglaise est quelque peu différente : « The High Commissioners and Resident Commissioners shall have

authority over the native chiefs. Theys shall have power to make administrative and police regulations binding on the tribes, and to provide for their enforcement » Protocole de 1914, supra note 147.

PARAGRAPHE II : LA PLACE DU DROIT COUTUMIER DANS LA CONSTITUTION DU