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PARAGRAPHE I : LE MARIAGE/L’UNION DE FAIT, LEURS EFFETS JURIDIQUES ET LE DROIT

2) L’union de fait et le droit coutumier

La problématique liée à l’union de fait se pose particulièrement lorsque celle-ci concerne les veuves. En effet, certaines pratiques coutumières des États du Pacifique Sud interdisent la relation de fait aux veuves. Même si elle se pratique généralement dans les États du Pacifique Sud, cette coutume est jalousement observée en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Nous allons examiner deux exemples de décisions qui ont fait la manchette il y a quelques années.

Dans l’affaire Raramu v. Yowe Village Court368, une femme veuve a été condamnée à six mois de prison par un tribunal villageois (coutumier) pour avoir eu une relation de fait avec un homme. En

365Jalal et Madraiwiwi, Pacific Human Rights Vol 2, supra note 30, à la page 32-33. 366Brown, Reconciling Customary Law, supra note 40, à la page 103-104.

367 Cerna et Wallace, « Woman and Culture », supra note 317, à la page 623 pour ce qui est de l’Asie et l’Afrique.

Dans le Pacifique (Papouasie-Nouvelle-Guinée et Iles Salomon : Jalal, « Harmful Practices », supra note 341, à la page 10.

effet, une pratique coutumière dans plusieurs régions de la Papouasie-Nouvelle-Guinée interdit aux veuves d’entrer en relation de fait avec d’autres hommes (une coutume qui ne s’applique pas aux hommes veufs). La question qui s’est posée devant la Cour nationale de justice a été de savoir si cette coutume est contraire à la Constitution étant donné qu’elle est discriminatoire à l’égard des femmes. De plus, le tribunal villageois peut-il juger les infractions qui ne sont pas prévues dans les domaines de sa compétence selon les règlementations sur les tribunaux villageois?

La Cour nationale a refusé de reconnaître une telle pratique qu’elle a considérée comme oppressive et discriminatoire à l’égard des femmes. En effet, elle a observé que le fait d’interdire aux femmes veuves d’entrer en relation de fait est clairement contraire à l’article 55 de la Constitution de la Papouasie-Nouvelle-Guinée369 portant sur le droit à l’égalité. Une telle coutume est aussi contraire à la dignité humaine. Elle a soutenu que le tribunal villageois (coutumier) s’est trompé en basant son jugement d’emprisonnement sur la violation d’une pratique coutumière (qui n’est pas codifiée). Ainsi, la veuve condamnée devait être immédiatement libérée avec son enfant de quatre mois.

Il faut noter que l’application par le tribunal villageois de cette pratique coutumière discriminatoire à l’égard des femmes reflète les inégalités structurelles auxquelles les femmes de la Papouasie- Nouvelle-Guinée font face dans leur vie quotidienne370. En effet, cette coutume est considérée à tort comme une loi. En rejetant la décision du tribunal villageois, la Cour nationale a affirmé la primauté de la Constitution et des droits fondamentaux sur les pratiques discriminatoires qui désavantagent les femmes. Les femmes veuves ne sont pas traitées de la même manière que les hommes. Ainsi, l’homme veuf impliqué dans une relation de fait avec la femme n’est pas puni. Pour protéger les victimes contre de telles pratiques, il est important que la Cour nationale de justice organise régulièrement et dès que possible des audiences lorsqu’elle juge que des femmes sont illégalement détenues.

La décision Thesia Maip371 en est le deuxième exemple. Thesia Maip, une jeune femme papoue vient d’un village des hautes terres occidentales de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Jude Sioni, son conjoint vient de Bougainville, une province assez éloignée de ces hautes terres. La relation entre le

369Constitution of Papua New Guinea, supra note 253, art. 55 : « (1) Subject to this Constitution, all citizens have the

same rights, privileges, obligations and duties irrespective of race, tribe, place of origin, political opinion, colour, creed, religion or sex. (2) Subsection (1) does not prevent the making of laws for the special benefit, welfare, protection or advancement of females, children and young persons, members of underprivileged or less advanced groups or residents of less advanced areas. (3) Subsection (1) does not affect the operation of a pre-Independence law ».

370 La Papouasie-Nouvelle-Guinée occupe 157e rang (sur 187) en termes d’indice d’inégalités de genre en 2014, en ligne :

 http://hdr.undp.org/fr/content/gender-inequality-index (accessible le 25 juillet 2015).

couple est décrite par le tribunal comme suit : ils se sont rencontrés à Mendi (les hautes terres du Sud) et ont commencé à vivre ensemble. Jude a suggéré que si Thesia se comportait bien et était gentille avec lui, ils se marieraient à l’église. Cependant, il n’y a pas eu de mariage formel à l’église ou selon la loi sur le mariage372. La dot n’avait pas non plus été payée. Ils ont vécu ensemble à Mendi et Jude Sionni n’a jamais visité le village de Thesia Maip (village Balk) dans les hautes terres occidentales.

Au bout de deux ans de vie commune à Mendi, Jude Sioni a été arrêté par la police pour des infractions commises avant leur rencontre. Il a été ramené à Bougainville et emprisonné pour quelques mois. Quelques semaines plus tard, celui-ci s’est échappé de la prison et est retourné au village natal de Thesia (Balk) pour retrouver celle-ci. Il s’agissait en réalité de sa première visite au village de Thesia. Or, il s’est aperçu que Thesia vivait déjà avec un autre homme. Il a alors poursuivi Thesia devant le tribunal villageois. Il a argumenté qu’elle était sa femme et que pendant leur vie commune passée, il lui a donnée de l’argent de temps en temps. Il a aussi dépensé de l’argent lorsqu’ils vivaient ensemble et notamment lorsque les membres de la famille de Thésia leur ont rendu visite. Ainsi, dans la coutume, Thesia devait être considérée comme sa femme selon lui. Il l’a accusée devant le tribunal de l’avoir quitté pour un autre homme. Le tribunal coutumier du village Balk (Village Court) a alors ordonné à Thesia de payer à Jude une amende de 700 kinas (environ 200 dollars américains) pour avoir rompu un mariage coutumier. Le tribunal de première instance (Local Magistrate Court) a ensuite entendu l’affaire et a réduit l’amende à 300 kinas373. Cependant, faute de moyens, Thesia n’a pas pu payer l’amende. Elle a alors été emprisonnée pour trente semaines.

En « mission itinérante » dans le village Balk, la Cour nationale de justice s’est saisie de l’affaire. Devant la Cour, la demanderesse considère avoir été emprisonnée illégalement. Elle a réclamé sa liberté conformément à l’article 42(5) de la Constitution de la Papouasie-Nouvelle-Guinée374 qu’elle considère être bafouée par le tribunal villageois qui a prononcé sa détention. Les questions suivantes se sont posées devant la Cour : la relation entre la demanderesse et le défendeur était-elle reconnue comme un mariage? La relation de fait est-elle reconnue par le droit coutumier? La décision du tribunal villageois violait-elle la liberté de la demanderesse?

372 Marriage Act 1963 (PNG).

373 Pour une villageoise sans revenu régulier, la somme est assez élevée. En effet, la Village Courts Act 1973 (amendée en

1989, supra note 331) dispose que toutes les décisions des tribunaux villageois (village courts) doivent être révisées par le magistrat-chef du district où la Cour se situe Village Courts Act, supra note 364.

374 L’article 42(5) de la Constitution de la Papuasie-Nouvelle-Guinée prévoit que la Cour nationale de justice peut à tout

moment, lorsqu’une plainte lui est adressée, enquêter sur la détention des personnes : Constitution of Papua New Guinea, supra note 253.

La Cour nationale de justice a jugé que le tribunal coutumier s’est trompé en considérant que le couple était marié. La décision du tribunal de première instance (Local Magistrate Court) qui a confirmé la décision du tribunal villageois (coutumier) est discriminatoire et constitue une grave injustice envers la demanderesse en tant que partenaire de sexe féminin. Selon l’article 42(5) de la Constitution, il doit y avoir une audition lorsque toute personne soutient avoir été illégalement détenue. La Cour a reconnu que lorsqu’il est question des villageois qui ne connaissent pas leurs droits et les procédures judiciaires, il y a une responsabilité de la part des juges d’agir vite et efficacement, faute de quoi les victimes comme Thesia Maip sont emprisonnées illégalement pendant de longues semaines voire des longs mois.

La Cour a aussi souligné qu’il y a trois trois formes du mariage : le mariage coutumier, le mariage religieux et le mariage civil. Aucune de ces formes de mariage n’a été contractée entre le couple même si Jude Sioni avait promis de marier Thesia. Le tribunal villageois a eu tort de reconnaître un arrangement temporaire comme un mariage. En effet, des témoins ont affirmé qu’il n’y avait pas eu de cérémonie coutumière, ni de paiement de la dot. La Cour a conclu qu’il n’y a pas eu de mariage, ni coutumier, ni formel (civil). Elle a considéré que la reconnaissance de l’autonomie de la femme et son droit d’entrer dans une relation de fait sont violés par l’emprisonnement coutumier.

Nous notons ici que la pratique et les procédures des institutions telles que les tribunaux villageois reflètent des préjugés à l’égard des femmes. Dans cette affaire, le tribunal coutumier a soutenu sans scrupule qu’il y avait eu mariage alors que la relation en question ne répondait pas aux conditions d’un mariage coutumier, religieux ou civil. Le tribunal de première instance (qui est hiérarchiquement supérieur au tribunal coutumier), en réduisant la somme de la compensation, a cependant confirmé l’ordre d’emprisonnement prononcé par le tribunal villageois.

Une fois de plus, ces deux exemples témoignent de la « légitimation » par le droit des discriminations et d’inégalités envers les femmes dans cette région. En effet, le droit est utilisé par des structures et institutions dirigées par les hommes pour maintenir les femmes dans la subordination et dans le dénigrement. Sans la « mission itinérante » de la Cour nationale de justice, les femmes subissant le même sort que Thesia Maip seraient incarcérées pendant longtemps avant de pouvoir demander le redressement aux tribunaux supérieurs.