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PARAGRAPHE III : L’APPLICATION DU DROIT COUTUMIER

1) Le droit coutumier devant les tribunaux officiels

Après l’entrée en vigueur de la Constitution du Vanuatu, le Parlement n’a promulgué aucune loi précisant les modalités permettant de vérifier l’existence de règles coutumières qui peuvent s’appliquer, comme le prévoit l’article 51 de la Constitution. L’expérience dans tout le Pacifique montre que l’application du droit coutumier manque de cohérence sans directives bien définies concernant l’utilisation de ce dernier. Compte tenu de cette lacune, les tribunaux ont tenté de fournir une certaine orientation dans leurs décisions en matière coutumière. La décision Banga v. Waiwo218 de la Cour suprême du Vanuatu sert de bonne illustration. Il s’agit d’un cas d’adultère qui se termine par un divorce. Lors de son divorce, Emily Waiwo réclamait une amende à son ex-mari et à Mary Rose Banga, la nouvelle conjointe, pour adultère. N’étant pas satisfaite de la petite somme que les chefs de l’île de Tanna ordonnèrent à Marie Rose Banga de lui payer, elle l’assigna au tribunal de première instance (Magistrate Court) pour une somme de 100 000 vatus (environ 1000 dollars américains). En effet, les chefs avaient ordonné à l’ex-mari d’Emily Waiwo de verser au mari de Marie Rose Banga une amende de 20 000 vatus. Ils avaient ensuite demandé à Marie Rose Banga de verser à Emily Waiwo une amende de 5000 vatus (environ 500 dollars américains) et de lui donner quelques vêtements. Les chefs avaient aussi imposé à Emily Waiwo, la demanderesse, de verser 5000 vatus d’amende à Marie Rose Banga puisqu’elle l’a insultée lors de la réunion tenue par les chefs en vue de résoudre le litige.

Devant le tribunal, Marie Rose Banga, la défenderesse, a soutenu que la somme de 100 000 vatus qu’Emily Waiwo réclamait constituait des dommages et intérêts punitifs. Or l’article 17(1) de la

Matrimonial Causes Act 1986219 ne prévoyait pas le versement des dommages et intérêts punitifs en cas d’action en divorce. Elle a affirmé que cet argument était conforme à l’interprétation que les tribunaux anglais ont faite d’une disposition équivalente de la Matrimonial Causes Act 1965

218Waiwo, supra note 167.

219 Matrimonial Causes Act 1986, art. 17(1) : « A petitioner may on a petition for divorce claim damages from any person

on the ground of adultry with the respondent ». Le mot « punitif » ou l’expression « dommages et intérêts punitifs » ne sont pas clairement indiqués Matrimonial Causes Act.

(UK)220. Vincent Lunabeck, le juge vanuatais du tribunal de première instance (Magistrate Court) d’alors, a refusé d’appliquer la Matrimonial Causes Act qui est d’origine coloniale. Il a au contraire appliqué la coutume. Ainsi, il a souligné que dans la coutume du Vanuatu, l’adultère est considéré comme une infraction grave (ou sérieuse). Il a donc accepté la demande d’Emily Waiwo et a ordonné à Marie Rose Banga de lui verser une amende de 100 000 vatus.

Une telle amende suscite cependant des interrogations. Les arguments qui ont conduit le juge Vincent Lunabeck à prononcer une telle somme peuvent être critiqués. Il n’a pas dit pourquoi sa décision de prononcer une telle amende conformément à la coutume diffère de celle des chefs de Tanna. Il n’a pas non plus parlé de la forme de mariage en question qui est en réalité un mariage civil et non coutumier. Sa décision serait certainement mieux fondée s’il avait apporté ces précisions. Cependant, son point de vue selon lequel la coutume fait partie intégrante du système juridique retient notre attention. Selon lui, la coutume doit s’appliquer dans tous les cas où les Vanuatais sont concernés et surtout à défaut d’application de la loi. Il a interprété l’article 95(2)221 de la Constitution comme suit : pendant la période coloniale, les lois britanniques et françaises s’appliquaient seulement et respectivement aux Britanniques, aux Français et aux autochtones qui optaient pour l’un de deux systèmes. Les Vanuatais étaient soumis aux règlementations mixtes édictées par les autorités britanniques et françaises qui agissaient de concert. Pour lui, les lois britanniques et françaises continuent de s’appliquer, mais seulement aux Britanniques et aux Français présents sur le territoire. Les Vanuatais sont régis par les lois édictées par le nouveau Parlement national. À défaut d’application de ces lois, la coutume doit être retenue. Il a estimé que la coutume ou le droit coutumier doit être découvert, adopté et appliqué. Les juges nationaux doivent développer une jurisprudence adaptée aux réalités du Vanuatu.

Cette décision a par la suite été rejetée par la Cour suprême. Même s’il partage l’avis du juge Vincent Lunabeck sur les dommages et intérêts punitifs accordés, le juge en chef D’Immecour, un juge expatrié, affirme cependant que le recours à la coutume n’est pas nécessaire. Il a expliqué qu’au Vanuatu la coutume varie d’un endroit à l’autre et souvent d’un village à l’autre et aucune d’entre elles n’est écrite. Selon lui, dans « la vraie » coutume, il n’y a pas d’argent. Ce dernier n’a fait son entrée dans les règlements coutumiers que récemment. De plus, les juges et les magistrats ne sont pas des chefs coutumiers et ne sont pas experts de la coutume de quelque endroit que ce soit

220 Matrimonial Causes Act 1965 (UK) remplacé par la Matrimonial Causes Act 1973 (UK) Matrimonial Causes Act

1973.

221Constitution du Vanuatu, art. 95(2) : « Les règles coutumières continuent de produire tous leurs effets au sein du

au Vanuatu. Il ne voit pas la coutume comme « droit ». Il est d’accord sur les dommages et intérêts punitifs accordés, mais il est en désaccord avec le rôle de la coutume dans les tribunaux. Il a affirmé que l’on ne peut recourir à la coutume que s’il n’y a pas de loi applicable. Il a par ailleurs observé que l’article 95 de la Constitution change le statut des lois britanniques et françaises de sorte qu’après l’indépendance, celles-ci s’appliquent aussi aux autochtones du Vanuatu. Par conséquent, il a appliqué la loi coloniale d’origine britannique, la Matrimonial Causes Act222 qui impose une amende à la défenderesse pour cause de l’adultère.

Cependant, un certain nombre de critiques peuvent être avancées à l’encontre de sa décision. Le juge en chef n’a pas pris en compte le fait que la coutume change avec le temps et la coutume d’auparavant n’est pas la même aujourd’hui. De plus, le fait que la loi coloniale s’applique aussi aux Vanuatais suscite des questions, notamment dans la situation où trois lois différentes peuvent s’appliquer (la loi britannique, française et vanuataise).

Cette décision soulève par ailleurs une question pertinente qui est celle de la preuve du droit coutumier dans le système de justice officielle, ce qui fera l’objet du sous-paragraphe suivant.