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La nouvelle Constitution du Vanuatu entrée en vigueur le 30 juillet 1980, a rétabli la prédominance du droit coutumier. L’article 95 (3) dispose que « les règles coutumières continuent de produire tous leurs effets au sein du système juridique de la République »201. Cependant, même s’il n’est pas expressément prévu par la Constitution, l’application du droit coutumier est censée être limitée dans trois cas : lorsqu’elle n’est pas conforme à la Constitution, à la législation et aux règlementations adoptées conformément à la législation202. La première limite est justifiée par l’article 2 de la Constitution qui prévoit que « la Constitution est la loi suprême du Vanuatu ». La deuxième limite découle de l’article 16(1) de la Constitution selon lequel le Parlement promulgue des lois concourant à la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Vanuatu. Enfin considérant le fait que les règlementations sont adoptées conformément à la législation, le droit coutumier est censé ne pas s’appliquer en cas de non-conformité avec celles-ci. Or, comme nous le verrons plus tard dans cette étude, ces limites ne sont pas toujours observées dans la pratique.

De plus, l’article 96(2) prévoit que « Sauf décision contraire du Parlement, les lois françaises et britanniques en vigueur au Vanuatu au jour de l’indépendance continuent à s’appliquer à compter de ce jour tant qu’elles n’auront pas été expressément abrogées et dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec le statut d’indépendance du Vanuatu et avec la coutume »203. Cet article donne l’impression que le droit coutumier a préséance sur les lois coloniales françaises et britanniques en cas de conflit. Mais comme nous verrons plus bas, selon les tribunaux vanuatais, notamment dans la décision Banga v. Waiwo204, les lois coloniales applicables au Vanuatu font partie du droit national et ont par conséquent ont préséance sur la coutume. La coutume ne s’applique qu’en cas de défaut d’application de la loi nationale ou coloniale.

Par ailleurs, la Constitution attribue un rôle en matière coutumière au Conseil National des Chefs (aussi connu sous le nom de Malvatumaori). L’article 28(1) de la Constitution prévoit que « le Conseil National des Chefs est compétent dans tous les domaines relatifs à la coutume et à la tradition […] »205. Il s’ensuit qu’en théorie, toute décision gouvernementale en matière coutumière

201Constitution du Vanuatu, art. 95(3), supra note 2.

202Paterson, Legal Systems Course Book Two, supra note 193, à la page 372-374. 203Constitution du Vanuatu, art. 96(2), supra note 2.

204Waiwo, supra note 167.

doit être prise sur consultation du Conseil. En pratique, comme nous le verrons, il n’en est pas toujours ainsi.

Ensuite, la Constitution fait de la coutume non seulement une des sources principales du droit vanuatais, mais aussi une méthode à suivre dans la résolution des disputes206. L’article 47 (1) dispose que « […] dans le cas où toute disposition légale fait défaut, le tribunal statue selon les principes de l’équité et, dans la mesure du possible, en conformité avec la coutume »207.

En ce qui concerne le système foncier, la Constitution précise dans son article 73 que « toutes les terres situées dans le territoire de la République appartiennent aux propriétaires coutumiers indigènes et à leur descendance »208 et dans son article 74, elle prévoit que « dans la République, les règles coutumières constituent le fondement des droits de propriété et d’usage des terres »209. L’article 75 dispose que « seuls les citoyens indigènes de la République ayant acquis leurs propriétés selon un système reconnu de tenue foncière détiennent des conditions de propriété perpétuelle sur ces propriétés »210. Le droit foncier est un des domaines privilégiés du droit coutumier dans la région du Pacifique Sud211. En effet, comme l’ont expliqué Paul de Deckker et Laurence Kuntz212 :

c’est en matière foncière que les particularismes s’institutionnalisent dès l’accession à l’indépendance des États du Pacifique Sud. La revendication des terres, exercée au nom d’une primauté dans le temps et de l’occupation de l’espace, s’est imposée comme le fer de lance de la lutte pour le droit à la différence. Enjeu identitaire, social et économique pour les uns, menace de déstabilisation de l’unité nationale pour les autres, la question du foncier s’est vue réserver une place tout à fait prééminente dans le débat État et communautés traditionnelles autochtones dans le Pacifique Sud.

En étant conscient de ces réalités, le constituant n’a pas hésité à donner plus de détails sur la question. Ainsi l’article 78(2) de la Constitution du Vanuatu prévoit que « le gouvernement prend toutes dispositions pour que les instances ou les procédures coutumières compétentes concourent à la solution des conflits nés de la propriété d’une terre coutumière »213. Et selon l’article 79(1), « […] les transactions immobilières entre les citoyens indigènes d’une part et les autres citoyens non indigènes ou les non-citoyens d’autre part, doivent être soumises à l’autorisation préalable du

206 Lunabeck, « Adjudication », supra note 40, à la page 26. 207Constitution du Vanuatu, art. 47(1), supra note 2. 208Constitution du Vanuatu, art. 73, supra note 2. 209Constitution du Vanuatu, art. 74, supra note 2. 210Constitution du Vanuatu, art. 75, supra note 2.

211 Voir Deckker et Kuntz, La bataille de la coutume, supra note 11, à la page 126. L’autre domaine privilégié que nous

élaborerons davantage plus loin est le droit des personnes autochtones.

212Deckker et Kuntz, La bataille de la coutume, supra note 11, à la page 126-127. 213Constitution du Vanuatu, art. 78(2), supra note 2.

gouvernement »214. Cette autorisation ne peut être délivrée dans l’hypothèse où elle est préjudiciable aux intérêts du propriétaire coutumier ou de la communauté propriétaire, d’un citoyen autochtone même s’il n’est pas propriétaire coutumier, de la collectivité locale dont dépend la propriété ou qui fait l’objet de l’achat et lorsqu’elle touche à l’intérêt de la république en général.

Par ailleurs, pour ce qui est d’application des règles coutumières ou de la vérification de leur existence, étant donné qu’elles sont essentiellement orales, l’article 51 de la Constitution dispose que « le Parlement peut préciser les modalités permettant de vérifier l’existence de règles coutumières qui peuvent s’appliquer et, en particulier prévoir que des personnes expertes en matière coutumière, siègent avec les juges de la Cour suprême ou de la Cour d’appel, et participent aux instances »215. Cependant, comme nous le verrons ultérieurement, le législateur n’a toujours pas exécuté un tel vœu. Ce qui n’est pas le cas en Papouasie-Nouvelle-Guinée et aux Iles Salomon où le Parlement a respectivement adopté la Underlying Law Act216 et la Customs Recognition Act217 pour respecter la volonté du constituant et répondre aux questions liées à l’application et à la preuve du droit coutumier.

Enfin, l’article 52 de la Constitution prévoit que « le Parlement crée les tribunaux de village ou d’île avec compétence en matière coutumière ou autre, et définit le rôle des chefs auprès de ces tribunaux ». Un système des tribunaux de village ou d’île a été établi en 1983. Cependant, comme nous le verrons, il connaît des lacunes, non seulement en matière de modalités d’application et de vérification de l’existence des règles coutumières, mais aussi en matière de procédure qui s’apparente à celle du système juridique officiel et l’on se demande s’il s’agit bien d’un système coutumier.