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Dans le cadre de notre recherche, nous adoptons une approche féministe de la critique du droit et du système juridique. Une telle critique s’effectuera dans le contexte du Vanuatu et des États insulaires du Pacifique Sud. Avant de voir comment une telle méthode s’applique concrètement à notre thèse (c), attardons-nous tout d’abord sur la méthode féministe en général (a) et ensuite sur le cadre féministe appliqué au droit (b).

a) Le cadre d’analyse féministe

Le cadre théorique féministe suppose que la chercheuse ou le chercheur pose la « question des femmes », c’est-à-dire qu’elle/il tient compte des rapports sociaux inégalitaires de sexe et qu’elle/il remette en question les concepts et leurs interprétations qui ne prennent pas en considération les réalités des femmes. Cette interrogation se trouve au centre même des théories féministes47, théories auxquelles les juristes féministes empruntent des concepts pour déconstruire et reconstruire le droit.

46 Farran « Is Legal Pluralism », supra note 32, à la page 77-78.

47 Les théories féministes se sont développées et se développent dans plusieurs domaines des sciences sociales, dont la

sociologie, la politique, la philosophie… Voir dans ce sens, Sara Delamont, Feminist Sociology, London/Thousand Oaks/New Delhi, Sage publications, 2003 ; Christen Myers, Cynthia Anderson et Barbara Risman, dir., Feminist

Foundations, Toward Transforming Sociology, Thousand Oaks/London/New Delhi, Sage publications, 1997 ; Mary

Lindon Shanley et Carole Pateman, dir., Feminist Interpretations and Political Theory, Pennsylvania, The Pennsylvania State University Press, 1991 ; Sandra Harding, The Feminist Standpoint Theory Reader, Intellectual and Political

Controversies, New-York/London, Routledge, 2004 ; Elsa Dorlin, Sexe, genre et sexualités, Introduction à la théorie féministe, Paris, PUF, 2008 Dorlin, Sexe ; Martha Albertson Fineman, dir., Transcending the Boundaries of Law,

Les théories féministes reposent sur « un savoir indissociablement lié à un mouvement politique qui problématise, notamment d’un point de vue épistémologique inédit, le rapport que tout savoir entretient avec une position de pouvoir, qu’il renforce, renverse ou modifie en retour »48. En effet, le rapport dominant/dominé entre les hommes et les femmes est créé et entretenu, entre autres, par le savoir. Les femmes ont donc mis en place un mouvement dit féministe qui lutte pour une égalité entre les hommes et les femmes dans toutes les sphères de la société, traquant les préjugés relatifs à leur infériorisation ou dénonçant l’iniquité de leur condition. Plus exactement, Huguette Dagenais définit le féminisme comme :

un mouvement social à plusieurs voix/voies dont l’objectif est la transformation en profondeur des rapports sociaux de sexe, qui sont oppressifs pour les femmes, en vue d’une société juste et égalitaire. Les femmes bien entendu, sont les principales actrices de ce mouvement de libération, libération qui ne peut se limiter à la poursuite d’une égalité purement formelle, ni aux intérêts spécifiques de certaines femmes49.

b) Le cadre féministe appliqué au droit

La question susmentionnée se pose aussi en droit. En effet, plusieurs ouvrages sont consacrés aux théories juridiques féministes ou au féminisme en droit50. Concrètement, en droit, poser « la question des femmes » consiste à identifier les différentes implications des règles et des pratiques sur les femmes. Alors qu’elles paraissent neutres, ces normes (règles juridiques et pratiques coutumières) peuvent parfois nuire aux femmes51. La question consiste à se demander comment et pourquoi le droit prend en compte ou non les expériences et les réalités vécues par les femmes et comment les normes et les concepts juridiques « invisibilisent » et contrôlent les femmes52. Cette question suppose, d’une part, que la norme juridique possède un caractère androcentrique et d’autre part, que celle-ci n’est pas neutre. L’objectif de « la question des femmes » est non seulement

48Dorlin, Sexe, supra note 47, à la page 7.

49 Huguette Dagenais, « Méthodologie féministe pour les femmes et le développement », dans Marie-France Labrecque,

dir., L’égalité devant soi, sexes, rapports sociaux et développement international, Ottawa, Centre de recherches pour le développement international, 1994, 258, à la page 260-261 Dagenais, « Méthodologie féministe ».

50Joanne Conaghan, dir., Feminist Legal Studies, Critical Concept in Law, Volume I, II, III, IV, London/New York,

Routledge, 2009 ; Kelly Weisberg, dir., Feminist Legal Theory, Foundations, Philadelphia, Temple University Press, 1993 ; Martha Chamallas, Introduction to Feminist Legal Theory, second ed., New-York, Aspen publishers, 2003 ; Nancy Dowd et Michelle Jacobs, dir., Feminist Legal Theory, An Anti-essentialist Reader, New York/London, New York University Press, 2003 ; Martha Albertson Fineman, Jack Jackson et Adam Romero, dir., Feminist and Queer Legal

Theory, Intimate Encounters, Uncomfortable Legal Theory, Farnham/Burlington, Ashgate, 2009 ; Kelly Weisberg, dir., Application of Feminist Legal Theory to Women’s Lives, Sex, Violence, Work, and Reproduction, Philadelphia, Temple

University Press, 1996 ; Madhavi Sunder, dir., Gender and Feminist Theory in Law and Society, Burlington, Ashgate, 2007 ; Doris Buss et Ambreena Manji, dir., International Law : Modern Feminist Approaches, Oxford/Portland, Hart, 2005 Buss et Manji, International ; Clare McGlynn, dir., Legal Feminisms : Theory and Practice, Adershot/Brookfield USA/Singapore/Sydney, Ashgate, 1998.

51 Katharine Bartlett, « Feminist Legal Methods », dans D. Kelly Weisberg, dir., Feminist Legal Theory, Foundations,

Philadelphia, Temple University Press, 1993, 551 Bartlett, « Feminist ».

d’exposer ces caractéristiques nuisibles aux femmes, mais aussi de proposer comment celles-ci peuvent être corrigées.

De la même manière, un courant féministe critique aussi le droit international des « droits de l’Homme » en raison de son caractère androcentrique. Selon les tenantes de ce courant, il s’agit a

priori de règles qui se veulent neutres et universelles, mais une analyse profonde de celles-ci montre

qu’elles sont établies essentiellement par et pour les hommes et qu’elles excluent les femmes à plusieurs égards53. Dans ce sens, elles tentent de démontrer que la structure du droit international reflète une perspective masculine et assure la domination continue des hommes54. En effet, considérant le fait que les sujets primaires du droit international sont les États et les organisations internationales, les femmes sont marginalisées dans ces deux cas. Non seulement elles sont sous- représentées dans les instances des Nations Unies, mais la plupart des leaders étatiques sont aussi des hommes55. Ainsi, peu de femmes ont été élues aux organes chargés de la surveillance et de l’application des traités des droits fondamentaux des Nations Unies, sauf en ce qui concerne le Comité pour la CEDEF dans lequel les 23 membres sont presque souvent des femmes56. Une telle participation déséquilibrée conduit notamment à la mise en place d’un droit international fondé sur des préjugés puisque s’appuyant sur la distinction entre les sphères publique (terrain des hommes où les décisions se prennent et où le droit international intervient régulièrement) et privée (terrain des femmes, c’est-à-dire lieu familial où le droit international n’intervient pas et où il y a très peu de

53 Hilary Charlesworth, « Les critiques du droit international », traduit par Claude-catherine Lemoine et Catherine

Botoko-Claesen, dans Hilary Charlesworth, Sexe, genre et droit international, Paris, éditions Pedone, 2013, 143, à la page 154 et s. Charlesworth, « Les critiques » ; Hilary Charlesworth, « Contrarier Oscar ? L’analyse féministe du droit international », traduit par Prunelle Thibault-Bédard et Catherine Botoko-Claeysen, dans Hilary Charlesworth, Sexe, genre

et droit international, Paris, éditions Pedone, 2013, 45, à la page 46 et s. ; Hilary Charlesworth, Christine Chinkin et

Shelly Wright, « Feminist Approaches to International Law », (1991) 85 Am. J. Int’l L. 613, à la page 621-622 Charlesworth et al., « Feminist Approaches » ; Celina Romany, « State Responsability Goes Private : A Feminist Critique of the Public/Private Distinction in International Human Rights Law », dans Rebecca Cook, dir., Human Rights

of Women, National and International Perspectives, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1995, 85, à la page

85. Cette dernière avance que les femmes sont étrangères au droit international Romany, « State Responsability ».

54 Hilary Charlesworth, « Que sont les droits des femmes en droit international ? », traduit par Catherine Botoko-Claeysen

et Amira De Kochko, dans Hilary Charlesworth, Sexe, genre et droit international, Paris, éditions Pedone, 2013, 95, à la page 98 et s. Charlesworth, « Que sont les droits » ; Buss et Manji, International, supra note 50 à la page 2 ; Karen Engle, « International Human Rights and Feminisms : When Discourses Keep Meeting », dans Doris Buss et Ambreena Manji, dir., International Law, Modern Feminist Approaches, Hart Publishing, Oxford, 2005, 47, à la page 52 Engle, « International ».

55 Charlesworth et al., « Feminist Approaches », à la page 622.

56 En date du 15 juin 2015, un seul homme (de la Finlande) siégeait à titre de membre. Charlesworth, « Les

critiques », supra note 53, à la page 155 ; Hilary Charlesworth, « Transformer le club des hommes unis : un avenir féministe pour les Nations Unies », traduit par Prunelle Thibault-Bédard et Catherine Botoko-Claeysen, dans Hilary Charlesworth, Sexe, genre et droit international, Paris, éditions Pedone, 2013, 59, à la page 59 et s.

pouvoir décisionnel)57. Nous reviendrons sur cette distinction (qui est aussi critiquée en droit interne) un peu plus bas.

Que ce soit en droit international ou en droit interne, le principal objectif des juristes féministes consiste à démontrer que le système et les concepts juridiques « invisibilisent » les femmes. Ainsi, inspirées par les théories féministes, ces juristes féministes recourent, entres autres, à la contextualisation (i) pour critiquer l’objectivité du droit (ii). Elles remettent aussi en question la fausse dichotomie entre la sphère publique et privée (iii) et proposent une rupture épistémologique, c’est-à-dire la déconstruction et la reconstruction du savoir juridique (iv).

i) La contextualisation

L’objectif pour les juristes féministes consiste à replacer les faits dans leur juste contexte économique, social, culturel et historique. En droit canadien, la décision R. c. Lavallée58 démontre par exemple l’importance d’analyser tout le contexte, notamment psychologique pour comprendre la réalité des femmes. Dans cette affaire, Angélique Lyn Lavallée qui plaidait la légitime défense, a été acquittée du meurtre de son conjoint grâce, notamment, à la preuve d’expert sur la question du « syndrome de la femme battue ». Le « syndrome de la femme battue » doit être considéré comme « un état pathologique de dépendance et d’impuissance qui semble empêcher la personne de fonctionner normalement »59. En effet, avant les derniers gestes de violence de son conjoint, Angélique Lyn Lavallée avait été violentée pendant des années par son conjoint. Ce syndrome a permis d’expliquer pourquoi elle ne l’avait pas quitté, mais aussi de démontrer le caractère cyclique de la violence60. Comme l’a souligné Sylvie Frigon, « la décision ne crée pas de nouveau moyen de défense pour les femmes battues, mais reconnaît plutôt qu’il est normal de juger une accusée en tenant compte de la perspective des femmes »61. Ainsi, la juge Wilson a noté dans cette affaire que « l’intimée avait droit à ce que le jury examine ses actes à la lumière de ses propres perceptions de

57 Hilary Charlesworth, « Un mode de différences : les distinctions public/privé en droit international », traduit par

Prunelle Thibault-Bédard et Catherine Botoko-Claeysen, dans Hilary Charlesworth, Sexe, genre et droit international, éditions Pedone, Paris, 2013, 125, à la page 125 et s.

58 R. c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852 Lavallée.

59 Sylvie Frigon, « L’homicide conjugal féminin de Marie-Josephte Corriveau (1763) à Angélique Lyn Lavallée (1990) :

meurtre ou légitime défense », (1996) 29(2) Criminologie, 11, à la page 18 Frigon, « L’homicide ».

60 Frigon, « L’homicide », supra note 59, à la page 20.

61 Frigon, « L’homicide », supra note 59, à la page 20 ; Anne-Marie Boisvert, « Légitime défense et le « syndrome de

la situation […] »62. L’examen du « syndrome de la femme battue » a donc permis de valider les expériences des femmes, celles qui jusqu’alors étaient ignorées63.

En somme, les juristes féministes avancent qu’il faut recourir à la contextualisation des faits pour comprendre les expériences vécues par les femmes, leurs réalités diverses et comment elles sont désavantagées par rapport aux hommes à tous les niveaux de vie. Dans ce sens, il est aussi important de tenir compte des formes multiples de discrimination qui touchent les femmes. Les juristes féministes se servent de ces réalités pour critiquer les règles de droit et proposer des réformes, des solutions et des changements64. C’est seulement dans ce contexte que la critique du système juridique qui se dit neutre et asexué sera pertinente et efficace.

ii) La critique de l’objectivité

Par ailleurs, les féministes sont unanimes sur le rejet de l’objectivité de la norme juridique65. En effet, les juristes féministes cherchent à dénoncer et à explorer le contenu patriarcal du droit et ses supposées caractéristiques neutres66. Ainsi, l’application d’un cadre féministe au droit consiste en la critique du droit et des concepts mêmes du système. En posant « la question des femmes », les juristes féministes remettent en question la supposée neutralité et l’universalité du droit67. Ainsi, le système de justice est-il réellement neutre à l’égard des femmes? À titre d’exemple, les juges qui appliquent le droit et dans certains cas, « créent » le droit (en particulier dans les pays de la

Common Law en raison de la règle du précédent) sont-ils réellement impartiaux, alors qu’ils ne

peuvent faire abstraction de leurs valeurs personnelles68? Leur subjectivité n’est-elle pas considérée comme de l’impartialité? En effet, d’une certaine façon, les juges sont influencés non seulement par

62Lavallée, supra note 58, à la page 875.

63 Toutefois, cette décision a été critiquée pour avoir accordé plus de poids aux experts médicaux et psychologiques qu’à

« la voix des femmes » : Frigon, « L’homicide », supra note 59, à la page 24.

64 Joanne Conaghan, « Reassessing the Feminist Theoretical Project in Law », dans Joanne Conaghan, dir., Feminist Legal

Studies, Critical Concepts in Law, Vol 1, London/New-York, Routledge, 2009, 360, à la page 363 Conaghan, « Reassessing ».

65 Hilary Charlesworth, « Feminist Methods in International Law », (1999) 93 Am. J. Int’l L. 379 Charlesworth,

« Feminist Methods » ; Dagenais, « Méthodologie féministe », supra note 49, à la page 276 ; Jennifer Nedelsky, « Embodied Diversity and the Challenges to Law », dans Joanne Conaghan, dir., Feminist Legal Studies, Critical

Concepts in Law, Volume 3, London/New-York, Routledge, 2009, à la page 249 Nedelsky, « Embodied Diversity » ;

Bartlett, « Feminist », supra note 51, à la page 551.

66 Conaghan, « Reassessing », supra note 64, à la page 363.

67 Charlesworth, « Feminist Methods », supra note 65, à la page 379 ; Dagenais, « Méthodologie féministe », supra

note 49, à la page 276 ; Nedelsky, « Embodied Diversity », supra note 65, à la page 249-272.

68 Bertha Wilson, « Est-ce que des femmes juges feront une différence », (1990-1991) 4(2) Rev. jur. femme drt. 359, à la

page 360-361 Wilson, « Femmes juges » ; Discours prononcé dans le cadre de la quatrième conférence commémorative annuelle Barbara Betcherman, École de droit Osgoode Hall, Université York, le 8 février 1990.

les habitudes apprises dans la société, mais aussi par les personnes fréquentées au courant de leur vie.

iii) La critique de la dichotomie sphère privée/publique

Les juristes féministes ont aussi dénoncé, comme nous l’avons souligné, la fausse opposition entre la sphère privée et publique. Selon cette distinction, « les hommes occupent la sphère publique, là où se prennent les décisions majeures. Les femmes sont reléguées dans la sphère privée, dans la vie familiale, sans pouvoir décisionnel et économique. Ces deux sphères sont perçues comme complémentaires et respectent les rôles dits naturels »69.

Au nom du respect de la vie privée, certains États refusent d’intervenir dans la sphère privée. Ainsi, dans certains pays (au Vanuatu par exemple), le viol marital n’est pas criminalisé. L’État n’adopte pas de loi dans ce sens sous prétexte que la vie intime maritale est une affaire privée des couples. Or, l’inaction de l’État ne peut qu’encourager des violences sexuelles70. Les expériences de plusieurs femmes sont invisibles et leur voix en droit est passée sous silence. Les femmes sont en réalité reléguées dans la sphère privée du foyer et de la famille. La sphère publique du lieu de travail, du droit, de l’économie, de la politique et de la vie intellectuelle est considérée comme étant la place privilégiée des hommes. Or, cette distinction maintient les femmes dans l’oppression et légitime la domination des hommes sur elles71. Pour ces raisons, les juristes féministes rejettent ce paradigme de la distinction sphère privée/publique72.

iv) La déconstruction et la reconstruction du savoir

Enfin, les juristes féministes œuvrent sur le plan épistémologique à déconstruire les connaissances traditionnelles juridiques, sociales, culturelles en plaçant les femmes et leurs expériences aussi bien

69 Louise Langevin et Valérie Bouchard, « Les grands arrêts sur les droits des femmes : projet et réflexions théoriques

féministes », (2011) 52(3) C. de D. 551, à la page 562 Langevin et Bouchard, « Les grands arrêts » ; Kate Millett a été la première à exposer et à dénoncer cette distinction dans les années 1970. Son ouvrage intitulé La politique du mâle est représentatif de l’idée ou (l’adage) connue depuis dans le milieu féministe selon laquelle « il n’y a pas de domaine privé dans une existence personnelle qui ne soit politique, et il n’y a pas de problème politique qui, en dernier ressort, ne soit personnel » (Kate Millet, La politique du mâle, Paris, Stock, 1971).

70 Engle, « International », supra note 54, à la page 53.

71 Hilary Charlesworth, « The Public/Private Distinction and the Right to Development in International Law », (1988-

1989) 12 Aust. YBIL. 190, à la page 190 Charlesworth, « Public/Private » ; Christine Chinkin, « A Critique of the Pulic/Private Dimension », (1999) 10 E.J.I.L. 387, à la page 389-390 ; Carole Pateman, « Feminist Critiques of Public Private Dichotomy », dans Carole Pateman, dir., The Disorder of Women, Standford, Standford University Press, 1989, 118, à la page 118.

sur le plan individuel que collectif au centre de leur discours73. La plupart des féministes soutiennent que malgré les différences de nature sexuelle, les différences entre les femmes et les hommes ne sont pas biologiquement imposées, elles sont plutôt socialement construites74. Dans ce sens, une des grandes découvertes ou avancées des critiques féministes est la notion de genre qui vise à distinguer entre la biologie et la construction sociale du sexe. En effet, tel que susmentionné, la catégorie des hommes et des femmes est socialement construite par le savoir75.

Les juristes féministes se sont donc données comme mission de déconstruire et reconstruire ce savoir qui favorise le pouvoir masculin. Depuis plusieurs décennies, des efforts ont été fournis pour changer la manière dont le droit produit ou construit socialement les différences entre les femmes et les hommes. Ainsi, pour Christine Littleton76, la signification du sexe et de l’égalité est socialement construite et il est possible de la déconstruire à partir de la critique féministe.

Au final, les juristes féministes critiquent le droit et le système juridique dans le but non seulement de transformer le droit, mais aussi d’apporter un changement social et politique permettant d’améliorer la situation des femmes. Nous croyons donc, comme elles, que le droit peut être non seulement un instrument de subordination des femmes, mais aussi un outil de changement de leur condition. Ces juristes féministes cherchent à expliquer que les concepts juridiques désavantagent les femmes non seulement dans leur application, mais aussi dans leur signification. Elles considèrent la loi comme symbole et mécanisme du pouvoir masculin77. Toutes ces critiques ont pour but de proposer des solutions que ce soit par les moyens juridiques, politiques ou autres78.

Par ailleurs, il est important de noter que les théories féministes ne sont pas monolithiques. Les féministes s’entendent sur l’oppression des femmes, mais non sur les façons de la corriger. À titre d’exemple, elles sont divisées sur la question du port de voile. Alors qu’un certain nombre d’entre

73 Sara Ahmed, « An Impossible Global Justice? Deconstruction and Transnational Feminism », dans Janice Richardson et

Ralph Sandland, dir., Feminist Perspectives on Law & Theory, London/Sydney, Cavendish Publishing Limited, 2000, 55, à la page 55 et s. Elle soutient que la déconstruction fait partie de processus de justice. Il faut interpréter et déconstruire la loi pour la rendre juste ; Bartlett, « Feminist », supra note 51, à la page 559.

74 Mary Joe Frug, « A Postmodern Feminist Legal Manifesto (An Unfinished Draft) », (1992) 105 Harv. L. R. 1045, à la

page 1045 et s.

75 Joan Scott, « Gender : A Useful Category of Historical Analysis », (1986) 91(5) The American Historical Review 1053,