• Aucun résultat trouvé

Le droit coutumier des États du Pacifique Sud entre parfois en conflit avec la liberté de religion, norme fondamentale reconnue par chacune des Constitutions de ces États. Plusieurs exemples peuvent être avancés.

Premièrement, dans une décision de la Haute Cour de Tuvalu, Teonea v. Kaupule & Another425, un missionnaire (Teonea) appartenant à l’église Brethren cherchait à en établir une cellule à Tuvalu. Il a eu quelques succès en attirant des adhérents à Funafuti, la capitale de l’archipel. Il s’est ensuite

installé sur l’île Nanumaga où quatre autres églises y étaient déjà établies, pour tenter d’attirer les adhérents. Or, le Conseil des chefs de l’île (Falekauoule) avait pris la décision de refuser l’établissement de toute autre religion sur l’île. À la suite des violences et menaces physiques subies, Teonea a saisi la Haute Cour de Tuvalu pour faire reconnaître ses droits constitutionnels, notamment la liberté religieuse, la liberté d’expression et d’association et le droit à la non- discrimination en raison de sa religion.

Devant la Haute Cour, il n’était pas question de la violation de ses droits. La Cour s’était plutôt posé la question de savoir si ces violations étaient justifiées par la référence aux valeurs et coutumes de Tuvalu reconnues par la Constitution426.

Devant la Cour, le Conseil des chefs argumentait qu’en acceptant la nouvelle dénomination, les nouveaux adhérents mettaient en péril « l’esprit de la communauté » du groupe puisqu’ils devaient désormais apporter du soutien, notamment financier à la nouvelle Église. Ils allaient donc faillir à leur devoir de supporter la communauté. Dans ce sens, il faut préciser que le pouvoir qu’exerce le Conseil des chefs lui est reconnu non seulement par la coutume, mais aussi par la loi427.

La Cour a déclaré que la Constitution de Tuvalu est fondée sur la volonté du constituant de préserver les cultures tuvaluanes, et ce, en limitant si nécessaire les droits individuels. Ainsi, elle a considéré que le Conseil avait le droit de prendre une telle décision, qu’il était raisonnable d’agir ainsi de sa part et qu’une telle décision n’était pas inconstitutionnelle. La discrimination à l’égard du demandeur était donc justifiée.

Plusieurs commentateurs ont vivement critiqué cette décision428 qui viole clairement la liberté de religion et qui fait état de la difficulté de tracer une frontière claire entre le droit et le non-droit lorsque la coutume et l’intervention des autorités traditionnelles sont justifiées429. La persistance et la protection constitutionnelle des coutumes et valeurs de Tuvalu peuvent donc avoir un effet négatif sur la vie des citoyens lorsque ces coutumes sont contraires aux droits fondamentaux.

426 Le préambule de la Constitution of Tuvalu fait état de la préservation des valeurs culturelles et traditionnelles de

Tuvalu (Constitution of Tuvalu, supra note 265).

427 Falekaupule Act 1997, art. 39, entres autres, donne une reconnaissance statutaire au Conseil en matière notamment de

devoirs et obligations.

428 Olowu, « When Unwritten », supra note 40.

Deuxièmement, dans une décision de la Cour suprême de Samoa, Lafaialii v. Attorney General430, les plaignants (des villageois de l’île Falealupo), étaient membres et participaient à une « classe biblique » (étude biblique) donnée pour la première fois en 1980 sous l’autorisation du Conseil du village (composé de deux chefs du village : Alii et Faipule). Avec l’augmentation du nombre d’adhérents, les plaignants organisaient non seulement une réunion biblique la semaine, mais aussi un service chaque dimanche. Cet accroissement de leurs activités n’a pas plu au Conseil du village étant donné que leur permission concernait une réunion biblique hebdomadaire et non les services bibliques dominicaux. Le Conseil a alors ordonné l’arrêt immédiat des services les dimanches, mais les défendeurs refusaient de respecter l’ordre. Le Conseil du village a prononcé une sanction d’amende contre eux pour non-respect de l’ordre. Ils ont tous payé leurs amendes sauf quatre membres. À la suite du refus de ces derniers, le Conseil du village a demandé à un tribunal (Land

and Titles Court) d’ordonner leur expulsion du village. Le tribunal lui a donné raison en ordonnant

leur expulsion du village. Cependant, celle-ci n’a pas eu lieu puisque les parties s’étaient réconciliées après que l’ordre fut donné. L’étude biblique hebdomadaire a repris son cours et le nombre des membres a augmenté de nouveau. Tout s’était déroulé normalement jusqu’en février 1999 où le Conseil du village avait affiché une note interdisant aux habitants des autres villages d’assister à l’étude biblique hebdomadaire. Les plaignants ont continué leurs activités et ont même été autorisés par un homme ayant un titre de chefferie (matai) à construire sur son terrain une salle à cet effet. Plus tard, un pasteur d’une Église du village a tenu, à deux reprises (en fin d’année 1999 et début 2000), des propos négatifs sur l’étude biblique en question, étant donné que de plus en plus de membres de son Église assistaient à celle-ci. Le Conseil du village (Ali et Faipule) avait alors ordonné, une fois de plus, aux défendeurs de cesser leurs activités. Cet ordre n’avait pas été respecté par le groupe qui continuait à tenir ses réunions. Le Conseil a de nouveau saisi le Tribunal (Land

and Titles Court) et celui-ci a réitéré son premier jugement (prononcé en 1987) et a ordonné

l’expulsion immédiate des membres et adhérents à l’étude biblique en question en précisant que cette sanction pouvait cependant être ignorée si les parties décidaient de se réconcilier. Celles-ci ne parvinrent à aucune réconciliation et l’étude biblique continua malgré l’ordre d’expulsion. Il en résulta que les membres et adhérents à l’étude ont été poursuivis devant le District Court (un tribunal de deuxième degré) pour non-conformité et désobéissance à la décision de Land and Titles

Court. Plusieurs de ces membres ont été arrêtés et emprisonnés.

À leur sortie de prison cependant, ils retournèrent au village de Falealupo et continuèrent leurs activités religieuses. Le Conseil du village avait de nouveau saisi la Land and Titles Court. Dans

une décision rendue le 7 septembre 2000, celui-ci avait donné un ordre selon lequel les membres et adhérents avaient un mois pour quitter le village et démonter leur salle de réunion. En ne respectant pas cette décision, ils furent à nouveau arrêtés et emprisonnés, mais relâchés après qu’ils aient informé les autorités qu’ils feraient appel à la décision. La chambre d’appel de la Land and Titles

Court a refusé d’entendre l’affaire étant donné qu’il y avait eu une réconciliation entre les parties.

Cependant, la réconciliation n’avait pas duré longtemps. En février 2002, trente et un membres de la classe biblique avaient été poursuivis par la District Court pour outrage et non-conformité à la décision de la Land and Titles Court. Les accusations ont ensuite été abandonnées puisque les défendeurs avaient soutenu s’être conformés à la décision de la Land and Titles Court. Le 19 mars 2002, les défendeurs ont reçu une lettre du tribunal en question leur ordonnant de démonter leur salle de réunion. Le 22 avril 2002, le Conseil du Village a pris la décision de démonter la salle de réunion, ce qui avait été fait avec l’aide de leurs hommes. Le 20 mai 2002, le Conseil du village s’était à nouveau réuni et a expulsé du village quatre familles qui assistaient à cette étude biblique. Ces familles ont été averties de quitter le village avant 16 heures du même jour, autrement leurs propriétés seraient mises en feu. Le 25 mai 2002, le Conseil du village et leurs hommes ont forcé un des membres de la classe biblique, sa femme et leurs enfants à quitter le village pour Apia la capitale. Trois autres familles avaient aussi été forcées à quitter pour d’autres villages.

L’appel a été interjeté devant la Cour suprême et celle-ci a déclaré que les décisions et actions prises et entreprises par le Conseil du village (les chefs Alii et Faipule) consistant à ordonner l’arrêt des activités des membres de la classe biblique, à expulser les défendeurs et leurs familles du village en raison de leurs croyances et convictions religieuses et à démonter la salle de réunion constituaient clairement une grave violation de la liberté de religion des défendeurs garantie par l’article 11 de la Constitution de Samoa431. Ces décisions et actions du Conseil du village étaient par conséquent inconstitutionnelles. Il s’ensuit selon la Cour que les deux décisions du tribunal de première instance (Land and Titles Court) d’expulser les défendeurs du village et de démonter la salle de réunion étaient contraires à leur liberté de religion et étaient par conséquent nulles et non avenues. Elle a souligné que même si les chefs jouent un rôle considérable dans le maintien de la paix et de l’harmonie dans le village, ils ont l’obligation de se soumettre à la Constitution qui est la loi suprême du pays. Toutefois, les chefs n’ont pas été condamnés et aucune réparation ne fut accordée aux victimes.

431Constitution of Samoa, supra note 273, art. 11 : « Every person has the right to freedom of thought, conscience and

religion ; this right includes freedom to change his religion or belief, and freedom, either alone or in a community with others, and, in public or private, to manifest and propagate his religion or belief in worship, teaching, practice and observance… ».