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PARAGRAPHE II : LES DROITS APPLICABLES AU VANUATU

1) Les lois applicables avant l’indépendance

De 1906 à 1980, le Vanuatu, anciennement appelé Nouvelles-Hébrides, était un condominium franco-britannique. Il avait fait l’objet d’une administration conjointe dirigée par la France et la Grande-Bretagne. En réalité, les deux puissances exerçaient sur le territoire en même temps une souveraineté mixte et séparée144. D’abord, elles avaient une égalité de gouvernement sur le territoire. Elles disposaient ensuite des juridictions séparées sur leurs propres sujets de droit. En plus de ces juridictions séparées, elles avaient mis en place des juridictions mixtes (les tribunaux, mais aussi les prisons). Pendant la période de colonisation, quatre corps de lois s’appliquaient respectivement à tous les habitants, quelles que soient leurs nationalités (a), aux ressortissants britanniques et aux optants du régime de droit britannique (b), aux ressortissants français et aux optants du régime de droit français (c), et enfin, aux autochtones des Nouvelles-Hébrides (Vanuatu depuis 1980).

a) Les lois applicables à tous les habitants du condominium

Il s’agissait des lois constituantes (i) et des règlementations mixtes adoptées par les deux administrations coloniales (ii).

i) Les lois constituantes : de la Convention franco-britannique de Londres de 1906 au

Protocole franco-britannique de 1914

La Convention franco-britannique appelée la Convention de Londres145 du 20 octobre 1906 a été signée entre les deux pays pour renforcer leur coopération exercée sur le territoire des Nouvelles- Hébrides à partir de 1887 par le biais d’une Commission Navale Mixte. Cette dernière a été établie par la Convention relative aux Nouvelles-Hébrides signée le 16 novembre 1887146 entre la France et la Grande-Bretagne. Son article 2 dispose que cette commission composée d’officiers de marine française et britannique sera chargée de maintenir l’ordre et de protéger les personnes et les biens des citoyens français et britanniques dans les Nouvelles-Hébrides. La Convention de Londres prévoyait un régime de condominium ou encore un système de gouvernement mixte. Elle

144Hooker, Legal pluralism, supra note 105, à la page 474.

145 Convention de Londres relative aux Nouvelles-Hébrides, entre la France et le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et

d’Irlande, 20 octobre 1906, T. F. 856 (Ci-après Convention de Londres) Convention de Londres.

s’appliquait à toutes les personnes sur le territoire. Elle a été modifiée par le Protocole franco-

britannique relatif aux Nouvelles-Hébrides signé entre les deux pays le 6 août 1914 et ratifié le 18

mars 1922147. Le Protocole de 1914 avait pour principal but de mettre en place une organisation juridictionnelle permettant une administration conjointe par la France et la Grande-Bretagne du territoire des Nouvelles-Hébrides148.

ii) Les règlementations mixtes

Selon l’article VII149 du Protocole de 1914, « les Hauts-Commissaires auront le pouvoir d’édicter conjointement pour le maintien de l’ordre et la bonne administration ainsi que pour l’exécution de la présente Convention des règlements locaux applicables à tous les habitants de l’archipel sans aucune exception et de sanctionner ces règlements par l’une ou plusieurs des sanctions pénales ». Le Condominium pouvait donc légiférer aussi bien pour les sujets français et britanniques que pour les autochtones. Toutefois, en ce qui concerne ces derniers, l’on pouvait noter une certaine ambiguïté dans les textes français et anglais. En effet, la version anglaise de l’article VIII (2) du

Protocole de 1914 diffère de la version française. La version anglaise dispose : « The High

Commissioners and Residents Commissioners shall have authority over the native chiefs. They Shall have power to make administrative and police regulations binding on the tribes, and to provide for their enforcement ». Selon la version française, « les Hauts-Commissaires et les Commissaires-Résidents auront autorité sur les chefs des tribus indigènes. Ils auront en ce qui concerne ces tribus, le pouvoir d’édicter des règlements d’administration et de police et d’en assurer l’exécution ». Dans la version française, on ignore si le condominium avait l’intention d’édicter des lois régissant les comportements des autochtones.150 Dans la pratique cependant, c’est la version anglaise qui s’appliquait.

Une autre ambiguïté est liée à la compétence du Condominium à légiférer pour les autochtones alors même que la Convention de Londres et le Protocole de 1914 ne les reconnaissaient pas comme des sujets de droit britannique ou français. Certains commentateurs estiment qu’en réalité, ces textes avaient pour but d’empêcher les autochtones d’acquérir le statut de sujet ou de citoyen

147 The New Hebrides Order in Council, 1922 (n°17) ; Protocole franco-britannique relatif aux Nouvelles-Hébrides, 6

août 1914 (Ci-après Protocole de 1914) Protocole de 1914.

148 Anthony Angelo, « L’application du droit français au Vanuatu : Quelques observations sur son déclin et sur son

avenir », (1997) 3 R. J. P. 1, à la page 3 Angelo, « Droit français ».

149 L’article issu de l’amendement de 1959 (Protocole de 1914, supra note 147).

150 Daniel Patrick O’Connel, « The Condominium of the New Hebrides », (1968-1969) 43 Brit. Y.B. Int’l L. 71, à la page

des deux pays colonisateurs et de permettre à ce que ceux-ci soient régis par leurs propres coutumes151. En cas de litige entre un autochtone et un non autochtone, la loi nationale de ce dernier s’appliquait aux deux.

b) Les lois applicables aux ressortissants britanniques et aux optants du régime de droit

britannique

La deuxième catégorie de lois s’appliquait seulement aux ressortissants britanniques et aux étrangers vivant sur le territoire, ayant la nationalité autre que française ou anglaise et optant pour le régime de droit britannique. Il s’agissait des King’s (Queen’s) Regulations (i), les lois parlementaires britanniques (ii), les règlementations locales adoptées conformément aux lois britanniques (iii) et enfin, la Common Law et l’équité (iv).

i) Les King’s (Queen’s) Regulations

Les King’s (Queen’s) Regulations étaient adoptées par le High Commissioner of the Western

Pacific conformément au Pacific Order in Council de 1893. Le New Hebrides Order de 1911

(UK)152 étendait l’application de ces règlementations au territoire des Nouvelles-Hébrides. Celles-ci s’appliquaient uniquement aux ressortissants britanniques et aux personnes qui optaient pour le régime de droit britannique.

ii) Les lois parlementaires britanniques

Ensuite, toujours dans cette catégorie, les lois anglaises de « general application » ou « d’application générale » régissaient aussi les ressortissants britanniques et les optants du régime conformément à l’article 20 du Pacific Order in Council de 1893, et plus tard à l’article 15 du

151 O’Connel, « Condominium », supra note 150, à la page 134. Celui-ci note : « The effect of the Convention and

Protocol was to subject the natives of the New Hebrides to an administrative regime while depriving them of the possibility of attaining equal civil status with the Europeans in the Group. It was, of course, envisaged that the natives would remain under the customary jurisdiction of the chiefs… » ; Weisbrot, « Custom », supra note 101, à la page 67- 68.

152 New Hebrides Order 1911 (UK), en ligne : Pacific Islands Legal Information Institute, PacLII,

[http://www.vanuatu.usp.ac.fj/library/Online/Texts/Pacific_archive/New%20Hebrides/6.%20New%20Hebrides%20Order ,%201911.PDF] (accessible le 15 mars 2012).

Western Pacific (Courts) Order de 1961153 qui a été modifié par le New Hebrides Order de 1973154. Ce dernier a lui-même été amendé par le New Hebrides Order de 1975155. L’article 3 de la High

Court of New Hebrides Regulation de 1976156 a finalement fixé la date d’application aux Nouvelles- Hébrides des lois anglaises « d’application générale », au premier janvier 1976 en Grande-Bretagne. Même si elle n’a pas été définie dans la réglementation en question, une « loi d’application

générale » doit être considérée comme une loi relevant généralement des conditions d’autres pays,

mais qui s’appliquerait de la même manière en Angleterre157. Ainsi, dans une affaire de 1984,

Freddy Harrisen v. John Patrick Holloway158, la Cour d’appel du Vanuatu a soutenu que la Police

Act de 1964 (UK) n’est pas une loi « d’application générale » (donc inapplicable au Vanuatu)

compte tenu des différences entre les diverses forces de police au Royaume-Uni et une seule force de police au Vanuatu, y compris les différents modes de contrôle et de paiement et aussi du fait que le Vanuatu est une république et l’immunité de la Couronne n’y s’applique pas. Pour qu’elle soit « d’application générale », cette loi doit s’appliquer de la même manière aussi bien en Angleterre qu’au Vanuatu. Au contraire, la Bankruptcy Act de 1914 (UK) a été déclarée « loi d’application générale » dans une décision de 1988, Clements and Clements v. the Hong Kong and Shanghai

Banking Corporation159. Ce précédent est donc censé s’appliquer à des cas semblables qui surviendraient. Par ailleurs, la Miscellaneous Amendment Act160 adoptée en 1988 a permis de donner effet à certaines Queen’s/King’s Regulations en tant que lois du Vanuatu.

iii) Les règlementations locales adoptées conformément aux lois britanniques

Dans cette catégorie se trouvent les différents règlements adoptés par les autorités internes conformément à la législation britannique. De plus, les règlements britanniques adoptés

153 Western Pacific (Courts) Order 1961 (UK), en ligne : Pacific Islands Legal Information Institute, PacLII,

[http://www.vanuatu.usp.ac.fj/library/Online/Texts/Pacific_archive/New%20Hebrides/8.New%20Hebrides%20Order,%2 01961.PDF] (accessible le 15 mars 2012) Western Pacific Courts Order.

154 New Hebrides Order 1973, en ligne : Pacific Islands Legal Information Institute, PacLII,

[http://www.vanuatu.usp.ac.fj/library/Online/Texts/Pacific_archive/New%20Hebrides/10.New%20Hebrides%20Order%2 01973.PDF] (accessible le 15 mars 2012).

155 New Hebrides Order 1975, en ligne : Pacific Islands Legal Information Institute, PacLII,

[http://www.vanuatu.usp.ac.fj/library/Online/Texts/Pacific_archive/New%20Hebrides/11.New%20Hebrides%20Order%2 01975.PDF] (accessible le 15 mars 2012).

156 Don Paterson, Legal systems 1, Volume 1, Port Vila, School of Law, University of the South Pacific, 1995, à la page

242 Paterson, Legal Systems Vol 1.

157 Roberts-Wray Kenneth, Commonwealth and Colonial Law, New York, Praeger, 1966, à la page 556 ; Jennifer Corrin,

« Bedrock and Steel Blues : Finding the Laws Applicable in Vanuatu », (1998) 24(1-2) Commonwealth L. Bull. 594, à la page 599 Corrin, « Bedrock ».

158 Freddy Harrisen v. John Patrick Holloway, [1984] VUCA 7.

159 Clements and Clements v. The Hong Kong and Shanghai Banking Corporation, [1988] VUCA 3. 160 Miscellaneous Amendment Act, 1988, Vanuatu Consolidated Legislation.

spécifiquement pour le territoire des Nouvelles-Hébrides s’appliquaient également aux ressortissants britanniques et aux optants pour le régime britannique.

iv) La Common Law/Equity

Comme nous le verrons plus loin, la Common Law est issue de la jurisprudence ou des principes développés par différentes cours de justice d’abord britanniques et ensuite des pays du Commonwealth. Les règles d’Equity sont basées sur des principes de justice, de moralité et d’équité permettant, entre autres, de pallier les insuffisances de la Common Law. Les principes de la

Common Law et de l’Equity s’appliquaient aux ressortissants britanniques et aux optants du régime

britannique conformément à l’article 20 du Pacific Order in Council de 1893. Plus tard, l’article 15 du Western Pacific (Courts) Order de 1961 permet spécifiquement l’application des principes de la

Common Law et de l’Equity lorsque les circonstances le permettent.

c) Les lois applicables aux ressortissants français et aux optants du régime de droit

français

Le troisième corps de lois s’appliquait aux ressortissants français et aux personnes de nationalité étrangère autre que française et anglaise qui optaient pour le régime du droit français. Il s’agissait des lois constituantes (i), des lois françaises édictées pour les Nouvelles-Hébrides (ii), et des règlements spécifiques adoptés pour les Nouvelles-Hébrides (iii).

i) Les lois constituantes : De la Convention de 1906 au Protocole de 1914

D’abord, la Convention de Londres de 1906 et le Protocole de 1914 relatifs aux Nouvelles-Hébrides ont été appliqués par le Haut-Commissaire français à tous les ressortissants français et aux optants du régime de droit français se trouvant sur le territoire des Nouvelles-Hébrides.

ii) Les lois françaises

Ensuite, les lois françaises édictées spécialement pour la Nouvelle-Calédonie ou les Nouvelles- Hébrides ou rendues applicables par le Haut-Commissaire français en Nouvelle-Calédonie s’appliquaient aux ressortissants français et à ceux qui optaient pour le régime du droit français. Avant l’accession à l’indépendance, cinq codes français étaient en vigueur aux Nouvelles- Hébrides : le Code civil, le Code de commerce, le Code pénal, le Code de la procédure civile et le

Code de la procédure criminelle. Les textes juridiques français applicables aux Nouvelles-Hébrides

étaient promulgués au journal officiel de la Nouvelle-Calédonie. Toute modification non promulguée en Nouvelle-Calédonie ne serait pas applicable aux Nouvelles-Hébrides.

iii) Les textes spécifiques (les règlements)

À ces codes s’ajoutaient des textes spécifiques adoptés pour la Nouvelle-Calédonie et les Nouvelles-Hébrides. Même si ces textes étaient indépendants les uns des autres, ils demeuraient liés quant à leur promulgation qui dépendait du seul Gouverneur en Nouvelle-Calédonie161.

d) Les lois applicables aux autochtones des Nouvelles-Hébrides

Enfin, le quatrième corps de lois s’appliquait uniquement aux autochtones des Nouvelles-Hébrides. Il s’agissait tout d’abord du droit coutumier (i), ensuite des règlementations administratives (ii), et enfin des codes réservés aux autochtones (iii).

i) Le droit coutumier

Les autochtones étaient soumis aux coutumes de leurs propres communautés. Il y a eu des tentatives par les autorités coloniales de reconnaître le droit coutumier. Selon le Protocole de 1914, les Hauts- Commissaires de la Grande-Bretagne et de la France ont autorité sur les chefs autochtones. Cependant, ce Protocole oblige ces Hauts-Commissaires à respecter dans l’exercice de leur pouvoir,

les habitudes et coutumes de la population autochtone sauf si celles-ci sont contraires à l’ordre et aux principes d’humanité162.

ii) Les règlementations administratives

Encore une fois, l’article VIII (2) du Protocole de 1914 permet aux Hauts-Commissaires et aux Commissaires-Résidents des deux puissances coloniales d’édicter des règlements d’administration et de police et d’en assurer l’exécution. Selon la version anglaise, ces règlements régissent les comportements des autochtones, ce qui n’est pas le cas dans la version française. Comme nous l’avons souligné, en cas de litige entre un autochtone et un non indigène, la loi nationale de ce dernier s’appliquait aux deux. Il en résulte qu’en ce qui concerne les autochtones, il n’existait pas de lois régissant les matières telles que les délits civils, les contrats… En matière foncière, les principes généraux de droit s’appliquaient conformément à l’article XXI du Protocole de 1914. Ces principes ne signifiaient en aucun cas le droit autochtone (ou droit coutumier) qui n’a pas été mis en place (ou codifié), mais font plutôt référence à des décisions ad hoc prises par les tribunaux mixtes.

iii) Les codes « autochtones »

L’article VIII (2) du Protocole de 1914 dispose que les coutumes conformes à l’ordre et aux principes d’humanité seraient prises en compte dans la préparation d’un code civil et d’un code criminel « autochtones ». Un code criminel pour les autochtones a été édicté et est entré en vigueur en 1938 par la Réglementation mixte 1/1938. Quatre cours criminelles ont été établies pour l’appliquer (Central District N1, Southern District en 1938 puis Central District N2 et Northern District en 1943). Ce code criminel a ensuite été abrogé et remplacé par celui de 1962 rendu

applicable par la Réglementation mixte 12/1962. Il a été abrogé et remplacé par le Code pénal du Vanuatu adopté en 1981. Aucun code civil n’a été édicté. Il faut cependant noter que ce code criminel était fondé entièrement sur la jurisprudence française et anglaise. Il ne contenait aucun élément du droit coutumier163.

162Convention de Londres, supra note 145, art. VIII(4) et Protocole de 1914, supra note 147, art. 8(2).

163 Lunabeck, « Adjudication », supra note 40, à la page 26 ; Hooker, Legal pluralism, supra note 105, à la page