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L’application des traités internationaux dans le droit interne des États du Pacifique Sud : une

PARAGRAPHE II : L’INCORPORATION DU DROIT INTERNATIONAL DANS LA PRATIQUE DES

2) L’application des traités internationaux dans le droit interne des États du Pacifique Sud : une

Dans ce sous-paragraphe, nous aborderons non pas la conclusion des traités qui sera traitée plus bas lorsque nous étudierons les défis de la ratification des conventions internationales, mais plutôt la mise en œuvre des traités dans le droit interne. Nous expliquerons notre choix plus loin. Comme nous l’avons souligné, l’application des traités dans le droit interne diffère d’un pays à un autre. Dans certains pays, après ratification, un traité s’applique immédiatement dans le droit interne. Dans d’autres, bien qu’il soit ratifié, le traité ne fera partie du droit interne que lorsque le Parlement national le permettra en adoptant une loi d’incorporation donnant effet à celui-ci. À titre d’exemple, au Royaume-Uni, encore une fois ancienne métropole des États du Pacifique Sud, bien que la conclusion des traités constitue une prérogative de la couronne, aucun traité ne produit des obligations en droit interne anglais tant que le Parlement national n’adopte une loi d’incorporation lui donnant effet. Ainsi, dans l’arrêt JH Rayner (Mincing Lane) Ltd v. Department of Trade and

Industry535, Lord Oliver affirme :

As a matter of the constitutional law of the United Kingdom, the royal prerogative, whilst it embraces the making of treaties, does not extent to altering the law or confering rights on individuals or depriving individuals of rights which they enjoy in domestic law without the intervention of Parliament. Treaties, as it is sometimes expressed, are not self-executing. Quite simply, a treaty is not part of English law unless and until it has been incorporated into the law by legislation.

Pour la plupart des États du Pacifique Sud, en particulier ceux de la tradition de la Common Law (dont le Vanuatu), un traité ne fait partie de droit interne que lorsqu’il est incorporé dans le droit interne par une loi536. Alors que la majorité de ces États ne manifeste ce dualisme qu’en pratique, seuls le Vanuatu, la Papouasie-Nouvelle-Guinée (mais aussi le Tonga537 qui ne fait pas partie de notre étude de cas) ont adopté des dispositions constitutionnelles qui reconnaissent ce dualisme. La manifestation pratique dont il est question, comme nous verrons plus loin, s’explique notamment par le fait que les tribunaux n’appliqueront pas les traités internationaux tant que le parlement national n’adopte pas des lois soit pour les intégrer dans le droit interne, soit pour modifier ou abroger les législations contraires à ces traités.

535 JH Rayner (Mincing Lane) Ltd v. Department of Trade and Industry, 1990 2 AC 418, à la page 500.

536Olowu, International Law, supra note 519, à la page 114 ; Corrin, « Cultural Relativism », supra note 33, à la

page 107-108.

537 L’article 39 de la Constitution de Tonga (1875) souligne : « It shall be lawfull for the King to make treaties with the

Foreign States provided that such treaties shall be in accordance with the laws of the Kingdom. It shall not be lawful for the King to alter the customs duties without the consent of the Legislative Assembly ».

Quant au Vanuatu, comme mentionné, la Constitution reconnaît expressément ce dualisme. En effet, l’article 26 de la Constitution du Vanuatu énonce que :

Les traités négociés par le Gouvernement sont soumis au Parlement pour ratification lorsqu’ils sont relatifs :

a) aux organisations internationales, à la paix ou au commerce, b) lorsqu’ils engagent les finances publiques,

c) lorsqu’ils sont relatifs à l’état des personnes,

d) lorsqu’ils exigent la modification des lois du Vanuatu, ou encore e) lorsqu’ils emportent cession, échange ou adjonction du territoire538.

Il s’ensuit donc que tout traité ratifié ne s’applique dans le pays que lorsque le parlement national adopte une loi pour l’intégrer dans le droit interne. Ceci a été effectivement le cas avec la CEDEF539 et la Convention relative aux droits de l’enfant540.

Pareillement, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’article 117 de la Constitution prévoit qu’un traité ratifié ne produit des obligations en droit interne que lorsqu’il est incorporé par une loi adoptée par le Parlement national. Plus particulièrement, l’alinéa 7 de cet article dispose que :

« Notwithstanding the consent of Papua New Guinea to be bound as a party to a treaty, no treaty forms part of the municipal law of Papua New Guinea unless, and then only to the extend that, it is given the status of municipal law by or under a Constitutional Law or an Act of Parliament »541.

Cependant, cette disposition demeure en réalité lettre morte puisque la Papouasie-Nouvelle-Guinée n’a adopté aucune loi pour intégrer les six principaux traités ratifiés en la matière542. Nous reviendrons sur les détails de la ratification plus loin. Toutefois, techniquement, comme nous verrons plus bas, en l’absence des lois nationales d’intégration, les tribunaux de la Papouasie- Nouvelle-Guinée peuvent conformément à l’article 39 de la Constitution, appliquer tout traité qu’il soit ratifié ou non.

Dans ce sens, il faut remarquer que le dualisme des États du Pacifique Sud n’est pas exempt de variations ou d’ambigüités. En effet, la pratique de ces États varie en fonction de leur dualisme plus ou moins prononcé. Ainsi, alors que certains pays comme le Tuvalu et les Iles Salomon respectent strictement l’approche traditionnelle britannique, les autres États de la région (y compris le

538Constitution du Vanuatu, art. 26, supra note 2. 539CEDAW Ratification Act, supra note 1.

540Convention on the Rights of Child Ratification Act, supra note 382. 541Constitution of Papua New Guinea, supra note 253, art. 117 (7).

Vanuatu, les Iles Fidji, les Iles Samoa et la Papouasie-Nouvelle-Guinée) l’appliquent avec une certaine flexibilité. Voyons ici quelques décisions illustrant nos propos.

Ainsi, dans la décision Tepulolo v. Pou543 que nous étudierons plus bas, portant sur la garde de l’enfant et la discrimination sexuelle à l’égard de sa mère, et dans laquelle il a été question de l’application de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la CEDEF (ratifiées pourtant par le pays), la Haute Cour de Tuvalu a refusé d’appliquer les deux conventions puisque le parlement n’a édicté aucune loi pour les incorporer dans le droit interne.

Au Vanuatu, dans l’affaire Noel v. Toto (déjà étudiée)544, la Cour suprême a appliqué la CEDEF pour accorder aux femmes, les mêmes droits fonciers dont les hommes disposent. Cependant, dans l’arrêt Joli v. Joli545 portant sur le partage des biens matrimoniaux entre un couple séparé, la Cour suprême a refusé d’appliquer cette Convention alors même qu’elle a déjà été incorporée dans le droit interne par une loi de ratification édictée par Parlement national. La Cour se défend en soulignant qu’il revient au Parlement de décider comment l’égalité des femmes en matière de propriété matrimoniale doit s’opérer dans le pays.

Par ailleurs, dans un bon nombre de décisions, les tribunaux des Iles Fidji et de Samoa ont appliqué directement un certain nombre de traités sans que ceux-ci soient incorporés par des lois internes. Ainsi, dans l’arrêt State v. Mutch546, la Haute Cour de Fidji a appliqué la Convention relative aux

droits de l’enfant sans qu’une loi nationale ne lui ait donné effet en droit interne. Aux Iles Samoa,

dans l’affaire Wagner v. Radke547 de 1997, la Cour suprême de Samoa a appliqué la Convention sur

les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants548 de 1980 dans un cas portant sur l’enlèvement international d’enfant, convention à laquelle le Samoa n’est pas signataire.

De même, comme nous l’avons mentionné, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, malgré sa position dualiste, les tribunaux peuvent, conformément à l’article 39 de la Constitution, recourir, entre autres, au droit international (dont la Convention européenne des droits de l’homme et les

543Tepulolo, supra note 386 ; Les Iles Cook (qui ne font pas partie de notre étude de cas) appliquent aussi de manière

stricte l’approche traditionnelle britannique. En effet, dans la décision R v. Smith, 1999 la High Court a jugé que le Pacte des droits civils et politiques (ratifié par la Nouvelle-Zélande avec qui les Iles Cook sont associées) ne pouvait s’appliquer étant donné qu’aucune loi nationale n’a été adoptée pour le rendre effectif en droit interne.

544Noel, supra note 12. 545Joli, supra note 329.

546 State v. Mutch, 1999 FJHC 149.

547 Wagner v. Radke, 1997 WSSC 2 Wagner.

conventions internationales en matière de droits fondamentaux) pour déterminer si une règle de droit est « raisonnablement justifiée dans une société démocratique » (notre traduction)549.

Les rapports entre le droit international et le droit interne des États de la région étant clarifiés, le temps vient désormais de rentrer dans le vif du sujet, c’est-à-dire démontrer, entre autres, que le droit coutumier et les pratiques culturelles de la région constituent un défi à l’application et au respect de droit international, en particulier la CEDEF dans le droit interne (ce que nous ferons dans les deux prochaines sections). Précisions toutefois que par souci de brièveté, nous traiterons essentiellement l’exemple du Vanuatu qui constitue notre principale étude de cas dans toute la thèse.

549Constitution of Papua New Guinea, supra note 253, art. 39 (3) (d) : « For the purposes of determining whether or

not any law, matter or thing is reasonably justified in a democratic society that has a proper regard for the rights and dignity of mankind, a court may have regard to – (…) the European Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms and the Protocols thereto, and any other international conventions, agreements or declarations concerning human rights and fundamental freedoms… ».

SECTION II : LES DÉFIS DE LA RATIFICATION COMME OBSTACLE AU