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Sur le plan structurel, nous vérifierons notre hypothèse de recherche en deux temps. Dans un premier temps, nous démontrerons qu’il y a effectivement conflit entre les droits fondamentaux et les valeurs culturelles : le droit à l’égalité des femmes à l’épreuve du droit coutumier. Dans le droit interne, le pluralisme juridique peut être considéré comme étant à l’origine de ce conflit et constitue par là même un obstacle au respect des droits fondamentaux, dont le droit à l’égalité des femmes (Partie I). Ce conflit se manifeste notamment dans le droit de la famille touchant des questions de mariage et divorce, de garde d’enfant, de propriété matrimoniale, de pension alimentaire des épouses et des enfants, de filiation, de droit de propriété et de succession.

Par ailleurs, ce conflit conduit à une certaine réponse mitigée de ces États à leurs obligations internationales en matière de droits fondamentaux des femmes. Soucieux de préserver leurs valeurs culturelles, ces États ne respectent pas toujours leurs obligations internationales en matière de droits fondamentaux. De plus, ces États adoptent la technique dualiste dans l’incorporation des normes internationales des droits fondamentaux dans leur droit interne. Par conséquent, dans certains cas, tant qu’une loi interne n’est pas adoptée pour transposer les dispositions des conventions internationales dans le droit interne, le juge n’appliquera pas ces conventions bien que celles-ci

94 Daniel Turp, « Droits de l’homme, droits de la personne, droits et libertés et droits fondamentaux : essai sur la

dénomination des droits et plaidoyer pour les « droits fondamentaux », dans Brigitte Lefebvre et Antoine Leduc, dir.,

aient été signées ou ratifiées par son pays. D’autres contraintes liées aux particularités de la région, notamment économiques, peuvent aussi constituer des limites à la mise en œuvre des instruments internationaux de protection des droits fondamentaux.

Comme nous le verrons, l’analyse de la jurisprudence pertinente en matière de droits fondamentaux montre que dans les États de la région étudiée, les droits culturels sont souvent invoqués pour porter atteinte aux droits fondamentaux. Malgré les efforts déployés par la communauté internationale, en particulier les Organisations Non Gouvernementales et les groupes des femmes en faveur du respect des droits des femmes, les cultures patriarcales subsistent et conduisent à l’oppression des femmes95. Ces États sont assez réticents à prendre les mesures appropriées conformément aux conventions internationales et à la CEDEF pour éliminer les pratiques coutumières néfastes ou discriminatoires à l’égard des femmes. En somme, même si elle n’est pas la seule responsable de cette situation96, la coutume empêche cependant très souvent ces États de mettre efficacement en œuvre les conventions internationales ratifiées en matière de droits fondamentaux, dont la CEDEF.

Dans un second temps, nous tenterons de proposer une solution à cette tension entre le droit coutumier (donc des valeurs culturelles) et les droits fondamentaux en mettant l’accent sur la protection des droits des femmes (Partie II). En effet, comme en témoigne notre première partie, au Vanuatu et dans les autres États de la région du Pacifique Sud, les femmes sont particulièrement vulnérables et elles méritent une attention particulière, c’est-à-dire une protection juridique spéciale.

Notre proposition consistera dans un premier temps à réaffirmer haut et fort le principe de l’universalité des droits fondamentaux et donc également des droits des femmes. En effet, l’argument de la défense culturelle a été trop souvent invoqué par le Vanuatu et les États de la région pour se soustraire de leurs obligations internationales en matière de protection des droits des femmes.

95 The Vanuatu Rural Development & Training Centers’ Association (VRDTCA) in partnership and consultation with

members of Women’s Advocacy Coalition of the Vanuatu Association of Non Governmental Organisations (WAC/Vango), Port Vila Town Council of Women, Community Paralegal Association (CPA), Vanuatu Teachers’ Union, Liave Association, Church of Christ Women’s Fellowship, Anglican Mothers’ Union, Port Vila Business Women’s Association et Vanuatu Society for Disabled People, Vanuatu NGO Shadow Report on the Implementation of the

Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination Against Women (CEDAW), 38th CEDAW Session, Mai

2007, à la page 14 et s., en ligne : [http://www.iwraw-ap.org/resources/pdf/Vanuatu.pdf] (accessible le 15 novembre 2012)

CEDAW Shadow Report » ; US Department of State, 2010 Human Rights Report : Vanuatu, April 2011, en ligne : http://www.state.gov/j/drl/rls/hrrpt/2010/eap/154407.htm (accessible le 12 janvier 2015), à la page 11.

96 Pays en voie de développement, le Vanuatu occupe 131e rang (sur 187) en termes d’indice de développement humain et

de celui d’inégalités de genre en 2014. Voir dans ce sens, Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), Indicateurs de développement humain et tableaux thématiques, en ligne :  http://hdr.undp.org/fr/data  (accessible le 16 juin 2015). De même, comme nous verrons dans la deuxième partie de notre thèse, il existe de nombreuses lacunes dans les législations visant à protéger les femmes.

Il est certain qu’il existe une pluralité de sociétés dans le monde et que celle-ci conduit forcément à une divergence de valeurs culturelles, donc de diversité culturelle. Cette dernière est même considérée en droit international comme faisant partie intégrante des droits fondamentaux puisqu’elle contribue au développement et à l’épanouissement de chaque individu. Cependant, les arguments culturels ne peuvent être invoqués comme excuse ou prétexte pour porter atteinte aux droits fondamentaux, notamment les droits des femmes. En raison de leur importance pour chaque individu, les droits fondamentaux doivent avoir préséance sur les supposées valeurs culturelles ou sociales. Par conséquent, nous militons pour que les droits fondamentaux soient intégrés dans les cultures internes résistantes.

Notre proposition consistera ensuite à appuyer l’idée qu’un cadre analytique du droit à l’égalité, notamment des femmes, soit établi par les tribunaux afin de protéger efficacement les droits fondamentaux des femmes. L’expérience canadienne en matière de droit à l’égalité nous inspirera particulièrement, notamment lorsqu’on pense à l’évolution de la jurisprudence et le passage de l’égalité formelle à l’égalité de substance. Dans ce sens, il faut souligner que même si les décisions des tribunaux (canadiens, vanuatais ou autres) portent parfois atteinte au droit à l’égalité des femmes, l’on ne peut nier que grâce au combat mené par les femmes pendant des années devant les tribunaux, ces derniers jouent désormais un rôle important dans l’avancement des droits des femmes. Ainsi, une jurisprudence approfondie et développée en matière de droit à l’égalité en général et de droit à l’égalité des femmes en particulier est un élément clé dans le changement des rapports entre les sexes. Au fil des temps et avec l’évolution de la société, cette jurisprudence peut aussi être revue et améliorée de manière à assurer une meilleure protection des droits des femmes.

Enfin, considérant les progrès réalisés dans le droit canadien, mais surtout québécois depuis les années 1970 en matière de protection des droits des femmes, notre proposition consistera à la mise en place d’un mécanisme national de protection des droits fondamentaux basé sur le modèle québécois. En effet, l’expérience canadienne (et québécoise)a montré que l’adoption de la Charte

canadienne des droits et libertés97 ainsi que de la Charte québécoise des droits et libertés de la

personne98 a stimulé un activisme judiciaire qui a grandement contribué à l’établissement d’un cadre juridique tendant à protéger efficacement les droits fondamentaux, dont le droit à l’égalité des

97 Charte canadienne des droits et libertés, Lois constitutionnelles 1982 (ci-après la Charte canadienne) Charte

canadienne.

femmes99. Le Québec en particulier est considéré comme un leader international et un exemple à suivre en matière de droits des femmes100. Une précision importante s’impose cependant ici. En effet, si par moment, nous passons de la problématique de l’égalité des sexes à celle des droits fondamentaux en général, c’est parce que nous sommes à la recherche d’une solution qui se veut non seulement juridique et pratique, mais aussi globale. Ainsi, la proposition de mécanisme de protection des droits fondamentaux basé sur le modèle québécois aidera selon nous à mieux protéger aussi bien les droits fondamentaux que les droits des femmes. De même, comme nous verrons, le pluralisme juridique présente des défis non seulement pour le respect des droits des femmes, mais aussi pour celui des droits fondamentaux en général. La recherche d’une solution globale s’avère donc une nécessité.

Cependant, avant d’aborder en détail ce plan, une étude sur le pluralisme juridique au Vanuatu s’impose. En effet, celui-ci est très complexe et mérite une analyse approfondie. Ce sera l’objet de notre chapitre préliminaire qui permet de comprendre non seulement l’historique, mais aussi, et surtout, l’origine de conflit des normes au Vanuatu et dans les autres États de la région qui nous intéressent.

99 Langevin et Bouchard, « Les grands arrêts », supra note 69, à la page 553.

100 Lucie Lamarche et Véronique Lebuis, « Ré/apprendre à décliner la Charte des droits et libertés de la personne au

féminin : de nouveaux enjeux… et des besoins mal compris », (2006) Hors-série R. du B. 351, à la page 357-358 Lamarche et Lebuis, « Ré/apprendre ».

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE : LE PLURALISME JURIDIQUE AU

VANUATU ET DANS LES AUTRES ÉTATS DE LA RÉGION

INTRODUCTION

Il faut d’emblée souligner ici que ce chapitre préliminaire constitue une partie introductive consacrée à certaines notions dont le pluralisme juridique, le droit coutumier ou encore la Comman

Law qui méritent des explications et des clarifications avant tout travail de démonstration. Une telle

partie n’est donc pas une démonstration en soi contrairement aux deux autres parties de la thèse qui seront traitées plus loin.

Précisons également que notre étude porte en particulier sur le Vanuatu. Toutefois, de temps à autre, nous n’hésiterons pas à régionaliser certaines de nos problématiques étant donné les similitudes que les États de la région présentent, notamment en matière de pluralisme juridique, de droit coutumier ou encore en raison du système juridique et de l’héritage colonial.

Pour entrer dans le vif du sujet, le Vanuatu est un archipel composé de 83 îles et îlots, situé dans le Sud Ouest du Pacifique, à environ 1700 kilomètres à l’Est de l’Australie. Avant d’accéder à son indépendance le 30 juillet 1980, il a été colonisé par la Grande-Bretagne et la France. Il était alors un condominium connaissant une double administration par ces deux puissances coloniales. La combinaison de cette double administration coloniale, d’une multiplicité des cultures locales et d’une volonté des pères fondateurs d’établir, à la suite de la colonisation, une constitution qui sera propre au pays, résulte en une expérience unique : la naissance d’un pluralisme juridique très complexe101.

Ainsi, dans une première section, nous examinerons le pluralisme juridique non seulement en théorie, mais aussi en pratique, en l’occurrence, le cas concret du Vanuatu (Section I). Apparu dans les années 1970, le terme « pluralisme juridique » a fait l’objet d’une théorisation dans les domaines juridique et anthropologique. Nous tenterons de comprendre cette théorisation avant d’aborder le cas du Vanuatu.

101 David Weisbrot, « Custom, Pluralism, and Realism in Vanuatu : Legal Development and the Role of Customary

Law », (1989) 13(1) Pacific Studies 65, à la page 65 Weisbrot, « Custom » ; Lunabeck, « Adjudication », supra note 40, à la page 25.

Par ailleurs, en raison de l’objet de notre étude (conflits entre le droit coutumier et les droits fondamentaux, en particulier le droit à l’égalité des femmes), nous estimons utile d’examiner en détail le droit coutumier (Section II). En effet, à son accession à l’indépendance, le Vanuatu comme ses voisins insulaires, accorde une place importante à la coutume dans la Constitution et dans le système juridique national. Cependant, un certain nombre de questions (que nous aborderons) demeurent ; notamment la preuve de celui-ci et son application aussi bien par les tribunaux que par les chefs coutumiers.

Enfin, une dernière section sera consacrée à l’étude de la Common Law qui s’applique au Vanuatu et dans la région (Section III). En effet, le Vanuatu et les autres États de la région que nous avons choisi d’étudier connaissent tous le système de la Common Law étant donné leur héritage colonial.