• Aucun résultat trouvé

Selon la coutume du Vanuatu (mais aussi de certains autres pays de la région), il est bien établi qu’à la suite d’un méfait, le contrevenant ou le fautif participe à une cérémonie de réconciliation coutumière avec la victime (et les membres de sa famille). Il s’agit en réalité d’une pratique coutumière bien connue des autochtones. Comme vu précédemment en introduction, le but d’une telle cérémonie consiste à rétablir l’harmonie et la paix entre la famille du contrevenant et celle de la victime ayant été touchées par le méfait. Généralement, les cérémonies ont lieu le plus tôt possible après l’événement et elles sont organisées sur ordre des chefs coutumiers afin d’assurer le maintien de l’ordre et la loi dans la communauté.

Avant la colonisation, il s’agissait de la seule voie pour consumer le ressentiment et ainsi éviter des guerres entre clans ou tribus. Aujourd’hui, cette pratique continue malgré l’existence des tribunaux officiels et de la police. Elle est même légalisée.

En effet, jusqu’en 2006, cette pratique de réconciliation coutumière est régie par les articles 118 et 119 du Code de la Procédure criminelle419. Depuis 2006, ces dispositions sont remplacées par les articles 38 et 39 du Penal Code (Amendment) Act420. Ces deux nouveaux articles proposent qu’en matière d’infraction pénale, la réconciliation et la compensation soient prises en compte dans les jugements des tribunaux. L’alinéa 2 de l’article 38 dispose que cet article ne limite en rien le

418 In re Estate of Molivono, [2007] VUCA 22.

419 Code de procédure pénale 1981, Cap 136, art. 118 et 119.

420Code Pénal du Vanuatu, supra note 19, art. 38 : «1) Notwithstanding the provisions of this Act or any other Act, a

court may in criminal proceedings promote reconciliation and encourage and facilitate the settlement according to custom or otherwise, for an offence, on terms of payment of compensation or other terms approved by the court. 2) Nothing in this section limits the court’s power to impose a penalty it deems appropriate for the relevant offence ». L’article 39 de la même loi dispose : « When sentencing an offender, the court must, in assessing the penalty to be imposed, take account of any compensation or reparation made or due by the offender under custom and if such has not yet been determined, may, if he is satisfied that it will not cause undue delay, postpone sentence for such purpose ».

pouvoir du tribunal à décider d’une pénalité s’il la juge appropriée pour l’infraction commise. L’article 39 ajoute que le juge peut décider d’ajourner le procès afin de permettre la tenue d’une réconciliation coutumière.

Il est malheureux de constater que dans plusieurs cas, les tribunaux vanuatais ont pris en compte la réconciliation coutumière pour réduire la peine et n’ont fait aucune mention de la restauration de l’harmonie et de la paix entre les familles de deux parties421, alors que celle-ci (restauration de la paix et harmonie) est effectivement l’objectif principal recherché selon la loi et selon l’essence même d’une telle coutume. Ainsi dans l’arrêt Public Prosecutor v. Atuary422, la réconciliation a été considérée comme une indication de remords du contrevenant ; ce qui justifie l’atténuation de la peine. Dans d’autres arrêts423, la réconciliation a été clairement décrite comme un facteur atténuant la peine.

Dans tout le Pacifique Sud, la réconciliation coutumière constitue un facteur d’atténuation de peine en matière d’infraction sexuelle (et aussi en matière de violence conjugale)424. Or, de telles pratiques désavantagent considérablement les femmes. D’abord, les femmes sont très souvent les victimes d’infraction sexuelle. La grande majorité des prédateurs sexuels sont de sexe masculin. De plus, dans la réconciliation coutumière, l’opinion de la victime n’est pas prise en compte. La tenue de la réconciliation est en réalité un protocole entre les chefs de familles touchées par le méfait. La souffrance subie par ces femmes est sous-estimée, voire aucunement considérée. Or, ces femmes, victimes d’infraction sexuelle, souffrent non seulement lors de la commission de l’infraction, mais aussi, et souvent pendant toute leur vie étant entendu que l’expérience peut avoir un effet traumatisant sur leur état psychologique. En somme, en légitimant une telle pratique, le droit vanuatais non seulement s’applique d’une manière inégale aux femmes, mais il contribue aussi à l’oppression et à la subordination de celles-ci.

En conclusion de cette section, le pluralisme juridique reconnu et maintenu par les pays de la région (dont le Vanuatu) est à l’origine des tensions entre les droits fondamentaux et le droit coutumier. En effet, ce dernier renferme un certain nombre de pratiques culturelles qui portent effectivement atteinte au droit à l’égalité des femmes, en particulier dans le domaine de la famille. Ainsi, des pratiques coutumières en matière de mariage, d’union de fait, de pension alimentaire, de garde

421 Paterson et Jowitt, « Customary Reconciliation », supra note 38, à la page 42-46. 422 Public Prosecutor v. Atuary, [2006] VUSC 98.

423 Public Prosecutor v. Peter, [2006] VUSC 27 ; Public Prosecutor v. Isaiah [2007] VUSC 15 ; Public Prosecutor v.

Nako [2006] VUSC 38.

d’enfant, de violence conjugale, de propriété, de succession et de réconciliation coutumière ont des conséquences assez néfastes sur les femmes. Nous analyses et nos interprétations nous permettent de conclure que dans plusieurs cas que nous avons étudiés, en particulier dans le domaine de la famille, le droit dans son ensemble (la coutume, la jurisprudence, la législation) constitue un outil d’oppression des femmes lorsqu’il les discrimine, produit des inégalités à leurs égards et s’applique d’une manière inégale envers elles. Ce faisant, il contribue à maintenir les femmes dans la subordination et à consacrer la domination patriarcale.

SECTION II : LE DROIT COUTUMIER CONFRONTÉ AUX AUTRES DROITS ET