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PARAGRAPHE III : LE DROIT À LA VIE ET À LA DIGNITÉ HUMAINE

1) La vengeance coutumière

Dans les pays du Pacifique Sud, en Mélanésie en particulier, les communautés excusent les meurtres par la pratique de la vengeance coutumière. Elle consiste à compenser la mort par l’exécution ou la mise à mort de l’auteur du meurtre ou encore imposer à l’auteur du meurtre le don d’un enfant (plus souvent une fille) à la famille de la victime en remplacement de la vie qui a été enlevée. Ainsi, lorsqu’un père de famille commet un meurtre, il doit compenser la mort de la victime en donnant un de ses enfants à la famille de la victime448.

En Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Vanuatu et aux Iles Salomon en particulier, certaines communautés excusent le meurtre par cette pratique de vengeance coutumière. Nous allons ici examiner un arrêt connu par le milieu juridique dans tout le Pacifique Sud en la matière. Il s’agit d’une décision de la Cour d’appel des Iles Salomon Loumia v. DPP449, selon laquelle le demandeur s’est pourvu en appel d’une décision qui l’a condamné pour meurtre de trois hommes. Il était un des membres d’un groupe qui ont battu à mort les trois victimes à l’aide des couteaux et des flèches. Il a été par la suite condamné pour meurtre. Devant la cour d’appel, il a argumenté que le juge de première instance s’est trompé en refusant de reconnaitre la coutume de Kwaio, sa communauté selon laquelle il aurait un devoir coutumier de tuer ces personnes responsables de la mort d’un membre de sa famille. Cette coutume est connue dans les pays mélanésiens comme la pratique de

448 Miranda Forsyth, A Bird that Flies with Two Wings, Kastom and State Justice Systems in Vanuatu, ANU Canberra,

ANU E Press, 2009, à la page 107 Forsyth, A Bird.

« payback custom » ou de meurtre par vengeance. Le demandeur a soutenu que l’article 4 de la Constitution des Iles Salomon portant sur la protection de droit à la vie450 s’applique seulement dans la relation entre les personnes privées et l’État et non entre les personnes privées elles-mêmes. Par conséquent, son devoir coutumier de commettre un meurtre selon la coutume de Kwaio n’est pas contraire à l’article 4 de la Constitution et doit être reconnu comme faisant partie du droit salomonais. L’article 4 (2) de la Constitution prévoit qu’un meurtre peut être raisonnablement justifié par la nécessité de protéger la vie et la propriété d’autrui. Sur ce fondement, le demandeur a argumenté que les accusations contre lui doivent être revues de manière à réduire le meurtre au premier degré à l’homicide involontaire.

L’une des questions posées devant la Cour nous intéresse particulièrement. Le meurtre par vengeance coutumière peut-il être un facteur atténuant l’accusation du meurtre au premier degré à l’homicide involontaire?

La Cour d’appel a rejeté le pourvoi. Elle a souligné que même si l’on présumait que la coutume invoquée faisait partie du droit, celle-ci serait contraire à la Constitution. Elle a observé que la coutume en question (commettre un meurtre pour se venger d’un meurtre) est contraire non seulement à la Constitution, mais aussi à la Common Law et par conséquent ne fait pas partie de droit salomonais. Les justifications raisonnables du meurtre n’incluent pas la vengeance selon la coutume. Elle a conclu que la sentence pour meurtre au premier degré ne peut être réduite à celle de l’homicide involontaire. Selon elle, le droit coutumier pourtant reconnu par la Constitution ne peut avoir préséance sur les droits fondamentaux. Les pratiques dites coutumières doivent être conformes au droit, à la Constitution et aux droits fondamentaux garantis par les instruments internationaux. Elle a conclu que le meurtre pour des raisons coutumières ne peut être justifié par aucun moyen de défense.

Au Vanuatu, sur l’île de Malo, cette coutume de vengeance coutumière est encore très présente451. Lorsqu’un homme commet un meurtre, cette coutume permet à la famille de la victime d’attaquer

450Constitution of Solomon Islands, supra note 24, art. 4 : « (1) No person shall be deprived of his life intentionally

save in execution of the sentence of a court in respect of a criminal offence under the law in force in Solomon Islands of which he has been convicted. (2) A person shall not be regarded as having been deprived of life in contravention of this section if he dies as the result of the use, to such extent and in such circumstances as are permitted by law, of such force as is reasonably justifiable : a) for the defence of any person from violence or for the defence of property ; b) in order to effect a lawful arrest or to prevent the escape of a person lawfully detained ; c) for the purpose of suppressing a riot, insurrection or mutiny ; d) in order to prevent the commission by that person of a criminal offence ; or if he dies as the result of a lawful act of law ».

l’auteur du meurtre et sa famille, les chasser du village et tuer un des leurs. Ainsi, dans un cas de 2009, les chefs de l’île ont autorisé la famille de la victime d’un meurtre à pratiquer cette coutume452. Les membres de la famille ont alors commencé à détruire des propriétés, mais ont été arrêtés par la police avant de tuer qui que ce soit.

Par ailleurs, comme mentionné précédemment, il y a d’autres cas selon lesquels la compensation consiste non pas à commettre un meurtre par vengeance, mais plutôt à donner un enfant (plus souvent une fille) en remplacement de la vie du (de la) défunt(e)453. Cette pratique est courante, notamment sur l’île de Tanna. Cependant, les cas qui surviennent dans des communautés reculées sont rarement rapportés dans les journaux ou portés devant les tribunaux officiels. Dans les rares cas ayant été examinés par les tribunaux officiels, le juge condamne fermement cette pratique. Ainsi, dans la décision Public Prosecutor v. Nawia454 de la Cour suprême du Vanuatu, un homme a été jugé pour avoir causé la mort d’une femme et d’un enfant en conduisant sous l’influence de l’alcool. La Cour a condamné le défendeur à deux ans et 6 mois d’emprisonnement avec sursis en raison du fait qu’il a obtenu le pardon des familles des victimes et des chefs du village dans le cadre d’une cérémonie de réconciliation selon laquelle il a offert des biens de valeur, de l’argent et une petite fille en compensation. La Cour a considéré que la réconciliation coutumière est un facteur qui peut atténuer la sentence, mais elle a fermement condamné la compensation consistant à donner la petite fille à la famille des victimes. Elle a souligné que cette pratique est contraire à l’article 5 de la Constitution du Vanuatu et à la Convention relative aux droits de l’enfant. La Cour a noté que cette pratique dévalorise les femmes de l’île et porte atteinte à leurs droits fondamentaux à la dignité, au traitement égal, à la vie et à la sécurité. Ainsi, insiste-t-elle, les jeunes filles ne doivent pas être traitées comme des objets qui peuvent être échangés, et ce, quelles que soient les circonstances et les raisons. Elle a par conséquent ordonné le retour de la petite fille auprès de sa famille. Malgré la condamnation de cette pratique par les tribunaux, celle-ci est loin d’être abandonnée. Certains chefs se prononcent même publiquement en faveur de cette pratique455.

452 Cas cité par Miranda Forsyth dans le cadre de son travail de terrain (Forsyth, A Bird, supra note 448, à la page 108). 453 La pratique qui consiste à donner un enfant se déroule aussi dans le cadre de réconciliation coutumière en vue de

résoudre de graves disputes entre les parties. À titre d’exemple, le journal Daily Post a rapporté un cas selon lequel un couple a accepté de donner son fils dans le cadre d’une cérémonie de réconciliation à une autre famille dans le but de régler une fois pour toutes des disputes foncières entre elles qui duraient depuis vingt-sept ans. Le geste symbolise l’établissement d’un lien permettant de maintenir continuellement la paix entre les deux familles (Vanuatu Daily Post, « Family Offers Boy as Reconciliation », 23 août 2011, en ligne : [http://www.dailypost.vu/content/family-offers-boy- reconciliation] (accessible le 20 février 2013).

454 Public Prosecutor v. Nawia [2010] VUSC 52.

455 ABC Radio Australia, « Vanuatu Court Condemns Child Compensation », 9 décembre 2013, en ligne :

[http://www.radioaustralia.net.au/international/radio/program/pacific-beat/vanuatu-court-condemns-child- compensation/1231496] (accessible le 9 décembre 2013).

En Papouasie-Nouvelle-Guinée, cette coutume est toujours pratiquée par certaines tribus. Ainsi, dans l’affaire The State v. Non Pable456, l’accusé (un mineur) a reconnu sa culpabilité pour le meurtre de Bar Kapil. Selon les faits, le 29 avril 1998, une dispute a éclaté entre l’accusé, le défunt et d’autres personnes pendant une partie de jeux d’argent dans le village de Karap situé dans la province des hautes terres de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’accusé a violemment frappé le défunt pour avoir volé son argent. Ce dernier est décédé le même jour. Un rapport médical a montré que celui-ci est décédé à la suite d’une perte de quantité importante de sang survenue après la dispute. Les familles ont eu recours à la coutume pour régler leur différend. En effet, pour payer le crime de l’accusé, sa famille et sa tribu ont accepté de donner 20000 kinas (environ 9000 dollars américains), 30 cochons et quatre filles à la famille et à la tribu du défunt.

Devant le tribunal officiel, le juge a accepté la compensation de 20000 kinas et 30 cochons, mais a refusé celle de donner les quatre filles à la famille et à la tribu du défunt. Il a estimé que cette coutume consistant à donner de jeunes filles pour compenser le meurtre est non seulement illégale et inconstitutionnelle, mais aussi contraire aux valeurs de l’humanité. En reconnaissant que la valeur d’une vie humaine ne peut se mesurer et être compensée par l’argent et les cochons, le juge a souligné que l’accusé doit être puni selon la loi457. En considération des circonstances de l’espèce (l’âge mineur de l’accusé, sa coopération avec la police…), le juge a condamné l’accusé à cinq ans d’emprisonnement.

Cette position des tribunaux de la Pouasie-Nouvelle-Guinée a été confirmée plus tard en 2004 dans la décision The Sate v. Karawa458 dans laquelle la Cour a noté que l’avocat de l’accusé a bien fait de ne pas plaider pour une compensation du meurtre qui consisterait à donner la fille de l’accusé à la famille du défunt puisqu’une telle argumentation est contraire à la Constitution de la Papouasie- Nouvelle-Guinée459.

456 The State v. Non Pable, [1999] PGNC 54.

457 Voir aussi Rex Lialu v. The State, [1990] PNGLR 487.

458 The State v. Karawa, [2004] PNGC 137 ; Il existe d’autres cas dans lesquels l’argument de la vengeance coutumière a

été invoqué sans succès : State v. Poroli, [2004] PNGLR 9 ; Public Prosecutor v. Aia Moroi, [1985] PNGLR 78 ; Ure

Hane v. The State, [1982] PNGLR 390.