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La coutume a aussi des effets néfastes sur les femmes dans le domaine du droit de propriété et des successions. Nous traiterons donc successivement le droit de propriété et le droit coutumier (1) et la succession et le droit coutumier (2). Une précision s’impose en ce qui concerne le droit de propriété. Alors que nous avons déjà abordé plus haut la propriété matrimoniale, il est plutôt question ici de droit de propriété en général. Autrement dit, les femmes disposent-elles d’un droit de propriété dans ces sociétés ?

1) Le droit de propriété et le droit coutumier

Contrairement aux pays occidentaux où la propriété quasi absolue est la pierre angulaire de leurs systèmes, dans les États du Pacifique Sud, en particulier en Mélanésie, le droit de propriété n’est pas personnel même si parfois la possession peut être individuelle. En effet, à l’origine, ces sociétés ne connaissaient pas le concept de la propriété absolue402. Le droit de propriété est appréhendé dans une perspective essentiellement collective. La propriété terrienne est une illustration pertinente.

Ainsi, en matière foncière, le Vanuatu, comme les autres États de la région du Pacifique Sud, attache une grande importance à la terre qui est considérée comme une propriété commune403. En effet, l’article 74 de la Constitution du Vanuatu dispose que « dans la République les règles coutumières constituent le fondement des droits de propriété et d’usage des terres »404. De même, selon l’article 73, « toutes les terres situées dans la République appartiennent aux propriétaires coutumiers indigènes et leur descendance »405. Enfin, l’article 75 énonce que « seuls les citoyens indigènes de la République ayant acquis leurs propriétés selon un système reconnu de tenure foncière détiennent des droits de propriété perpétuelle sur ces propriétés »406.

402 Brown et Corrin, « Conflict in Melanesia », supra note 37, à la page 1348.

403 Voir notre article sur cette question : Morsen Mosses, « Le pluralisme juridique et le droit foncier des propriétaires

coutumiers et des femmes au Vanuatu », (2014) 20 Comparative Law Journal of the Pacific 65, en ligne : http://www.victoria.ac.nz/law/nzacl/CLJP-JDCP%20Vol%2020%202014.aspx (accessible le 15 mars 2015) ; Laurent Chassot, « Être et mal être du droit-foncier à Vanuatu », dans Olivier Barrière et Alain Rochegude dir., Foncier et

environnement en Afrique, Des acteurs au(x) droit(s), Paris, Karthala, 2008, 279, à la page 279 ; Sue Farran, « Land as a

Fundamental Right : A Cautionary Tale », (2009) 40 V.U.W.L.R. 387, à la page 388-389.

404Constitution du Vanuatu, art. 74, supra note 2. 405Constitution du Vanuatu, art. 73, supra note 2. 406Constitution du Vanuatu, art. 75, supra note 2.

Ces dispositions ont guidé l’une des premières politiques du ministre des Terres issues de Land

Policy Communiqué le 24 avril 1980 et ressorties dans la loi Lands Reform Regulation de 1980

selon laquelle, compte tenu de l’importance vitale des terres pour le peuple vanuatais, la propriété foncière doit être collective et non individuelle407. Dans le même sens, une résolution du Sommet sur les terres de 2006408 se lit comme suit : « Le gouvernement doit adopter une loi prévoyant que toutes les terres au Vanuatu sont possédées collectivement (tribu, clan et famille). Il n’existe pas de propriété coutumière foncière individuelle. Tous les membres du groupe coutumier propriétaire terrien (femmes et hommes) doivent participer aux décisions relatives à leur terre ». Cette résolution a été adoptée dans des nouvelles réformes foncières de 2013409 qui ont pour but, entre autres, d’empêcher des transactions foncières individuelles sur des terres coutumières et renforcer la propriété collective de ces terres410.

Dans un article de journal paru après l’adoption de ces réformes, Sue Farran, une universitaire spécialiste du système foncier au Vanuatu, se dit surprise de ne pas voir de réaction des femmes quant à ces nouvelles réformes qui renforcent un système déjà dominé par les hommes411.

En effet, ce concept de propriété collective encourage la domination masculine et désavantage considérablement les femmes. Les femmes n’ont pas de pouvoir dans la coutume et par conséquent, elles participent rarement (voire jamais) à la gestion des terres ou aux décisions concernant les terres coutumières412. De plus, lorsqu’elles se marient, elles quittent leur famille et sont affiliées à celle de leurs époux et n’ont presque pas, voire aucun droit sur les propriétés. Généralement, elles

407 Land Reform Act 1980 Cap 123 ; Regenvanu, « Land Reforms », supra note 39, à la page 64 ; Lunnay et al.,

Review, supra note 242, à la page 10.

408 Le Sommet sur les Terres au Vanuatu, du 25-29 septembre 2006, Port Vila, en ligne :

[http://www.oxfam.org.nz/imgs/pdf/onz_vanuatuland_14feb07.pdf] (accessible le 22 janvier 2014).

409Ministry of Lands, Plan, supra note 244, à la page 4 ; Land Reform Act 2013 ; Customary Land Management Act

2014.

410Ministry of Lands, Plan, supra note 244, à la page 5.

411 Bob Makin, « Land Reform Law », Vanuatu Daily Digest, 18 décembre 2013, en ligne :

[http://vanuatudaily.wordpress.com/2013/12/18/vanuatu-daily-news-digest-18-december-13/] (accessible le 22 janvier 2014).

412 Brown et Corrin, « Conflict in Melanesia », supra note 37, à la page 1345 ; Margaret McMurdo, « Traditional

Pacific Land Rights and International Law : Tensions and Evolution », (2011) Hors-série Vol. XIII Comparative Law Journal of the Pacific, 95, à la page 106-107 ; Voir aussi Sue Farran, « Land Rights and Gender Equality in the Pacific Region », (2005) 11 Austl. Prp. L.J. 131, à la page 134-135 ; Jennifer Corrin, « Customary Land in Solomon Islands : A Victim of Legal Pluralism », (2011) Hors-série Vol. XIII Comparative Law Journal of the Pacific, 221, à la page 227 ; John Muria, « Personal/Common Law Conflict and Women’s Human Rights in the South Pacific : The Solomon Islands Experience » dans Andrew Byrnes, Jane Canors et Lum Bik, dir., Advancing the Human Rights of Women : Using

International Human Rights Standards in Domestic Litigation, Papers and Statements from the Asia/South Pacific Regional Judicial Colloquium, Hong Kong, Commonwealth Secretariat, 20-22 May 1996, 138, à la page 142.

n’acquièrent que des biens sans grande valeur tels les ornements413. Le droit coutumier applicable dans ces États priorise souvent le patriarcat et le maintien du pouvoir masculin. L’héritage est le premier moyen d’acquisition de propriété et en général les femmes ne peuvent hériter des hommes. Même si dans certains rares cas, la propriété foncière peut être transférée suivant la lignée matrilinéaire (donc aux femmes) selon les coutumes des îles et communautés, Sue Farran note que la gestion des terres reste malgré tout aux mains des hommes (frères ou oncles)414. Les femmes vivent habituellement dans les villages de leurs maris ou de leurs pères jusqu’au mariage et n’ont qu’un droit d’usufruitier sur le terrain. On constate donc qu’en matière de propriété, le droit coutumier a pour effet de maintenir les femmes dans une position de subordination, et ce, au profit des intérêts des hommes.

2) La succession et le droit coutumier

Dans la coutume, une femme ne peut hériter de la propriété d’un homme415. La succession coutumière se fait de lignée en lignée selon le statut et la position des personnes et non sur le fondement du droit de propriété en tant que tel. En effet, le droit de propriété n’est pas individuel et le décès laisse celui-ci inchangé.

Au Vanuatu, il est possible pour toute personne de léguer (laisser par testament) sa propriété avant sa mort416. Cependant, rien n’est dit sur la succession des propriétés coutumières. Des difficultés se posent quant à savoir si le testateur peut tester sur des propriétés coutumières. Compte tenu du concept de la propriété collective dans le droit coutumier, il est possible d’affirmer que le testateur ne dispose pas réellement de droit dans la propriété coutumière, en particulier la propriété foncière.

De plus, toujours au Vanuatu, il n’y a pas de loi régissant la succession sans testament. C’est donc la loi coloniale Succession, Probate and Administration Queen’s Regulation417 de 1972 qui s’applique. Selon l’article 6 de cette loi, le principal bénéficiaire de la succession est l’époux(se)

413 Farran, « What is », supra note 37, à la page 1 ; Corrin, « Reconciling Customary Law », supra note 37, à la

page1344.

414 Farran, « What is », supra note 37, à la page 1.

415 Il a été argumenté ainsi dans l’affaire Sasongo v. Beliga (Sasongo, supra note 376) ; Brown et Corrin, « Conflict

in Melanesia », supra note 37, à la page 1344.

416 Wills Act 1969, Cap 55, Vanuatu Consolidated Legislation, art. 2 : « Any person not being an infant and being of

sound mind, memory and understanding may make provision by will for the disposal of the whole or any part of his property, of which he is the sole and total owner, after his death, in accordance with and subject to the provisions of this Act ».

survivant(e) qui a droit à la propriété du défunt(e). Cependant, cette loi ne s’applique pas aux propriétés coutumières, notamment foncières418. La succession des propriétés coutumières passe donc essentiellement aux mains des hommes puisque, comme nous l’avons souligné, les femmes sont rarement propriétaires coutumières. Un tel système non seulement perpétue la subordination des femmes, mais consacre aussi la domination patriarcale.

PARAGRAPHE III : LA PRATIQUE DE RÉCONCILIATION COUTUMIÈRE DANS LA