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Expérimentation, Recherche d’inspiration (1907-1918)

4. Conception et composition architecturale

4.2.3. Variations du type (1912-1913)

Les deux années qui précèdent le déclenchement des conflits en Europe marquent un développement constant et une consolidation déterminante de l’industrie cinématographique188. Cela se manifeste, entre autres, par une croissance en nombre de salles à travers la ville de Paris. Ainsi peut-on énumérer, en 1912 comme en 1913, non moins de 13 établissements ayant obtenu le permis de construire, ce qui augmente, en deux ans, l’effectif du parc cinématographique parisien de l’équivalent des quatre années précédentes. Sur la conception architecturale, cette nouvelle vague des projets reste représentative de l’ensemble des expériences jusqu’alors accomplies ; elle comprend des exemples caractéristiques de tous les « courants ». En 1912, notamment, un tiers des salles projetées se range encore dans la catégorie des cinémas « primitifs »189, marquant plus ou moins de conformité, tant sur le plan que sur la façade, avec le type Cinéma Exploitation. On retrouve encore des salles sommairement aménagées dans des espèces de hangar (Cinéma Concert National de la rue Clisson, XIIIe ; Cinéma Royal de la rue Tandou, XIXe).

188 Voir Meusy 1993.

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La plupart de ces projets se caractérisent par une disposition simple et souvent « fonctionnelle », semblable à celle des cinémas de Gorges Malo. Cependant restent à signaler certaines différences, souvent de moindre importance et relevant des spécificités des terrains. Les plus remarquables en sont le recours au système de rétroprojection et l’installation de la cabine derrière l’écran, l’emplacement de l’écran du côté de l’entrée de la salle (Grand Cinéma de l’avenue de Saint Ouen, [p. 42]), la disposition du balcon en biais par rapport à l’écran pour conformité aux contours parcellaires (Montcalm Cinéma [p. 49]), et enfin l’abandon du fameux fronton dans la composition de la façade ainsi que l’application d’un maigre décor autour de l’écran (Family Cinéma, rue d’Avron XXe). Du reste, ces projets-là sont, d’une part, implantés au sein des quartiers périphériques notamment dans les arrondissements du nord et de l’est de Paris, et d’autre part, dessinés par des architectes très peu connus sinon anonymes. En fait, seuls les plans des cinémas Family et Montcalm sont signés par leurs architectes, respectivement Léon Garnier et Marcel Quesnel ; celui-ci a élevé, depuis 1903, quelques immeubles dans divers quartiers en particulier vers le

centre-ville ; celui-là a déjà fait un projet d’agrandissement de cinéma dans le XIIIe

arrondissement190.

A cette catégorie des « cinémas primitifs » peut-on opposer celle des « cinémas-théâtres » ou des « cinémas-théâtres cinématographiques ». Ceux-ci, nettement moins nombreux que ceux-là, incarnent en fait le troisième niveau d’influence de l’architecture théâtrale évoqué plus haut. Citons comme premier exemple de ce genre le Cinéma Music Hall Empire, une salle établie, rue du Faubourg Montmartre, par une société éponyme. Celle-ci est constituée avec un capital de 750000Fr, par Lucien Vives et Albert-Charles Aubouin, par ailleurs, deux actionnaires de la société Eclair, productrice de films191. Le projet consiste à aménager une salle de 500 places dans la cour arrière d’un immeuble [p. 45]. Attendu la profondeur de la parcelle, un vestibule d’entrée, un long passage et un « grand vestibule d’entrée » se succèdent pour conduire à la salle, mais ces espaces n’ont rien à voir avec les foyers théâtraux. C’est dans la disposition de la salle que réside le caractère théâtral de l’établissement. Deux promenoirs larges de 4 mètres encadrent les places assises. Celles-ci sont réparties en trois catégories différentes : les « premières » aménagées à l’orchestre, forment deux travées de rangées de 6 places chacune ; les « secondes » sont placées en gradins sur une mezzanine, élément d’ailleurs sans précédent dans un cinéma ; enfin les baignoires et les loges latérales embrassent les « premières ». L’écran est installé, du côté de l’entrée de la salle, sur un « plateau », sorte de grande estrade sous laquelle un espace

190 Bertaut (s.d.), Vol. 14 et 15.

191 Archives de Paris : D31 U3 1463 d. 260, aussi Meusy 2002, pp. 338-339, 451, 518. Précisons par ailleurs que la signature de l’architecte est illisible sur les plans ce qui nous a empêché de l’identifier.

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est réservé aux musiciens. La cabine est placée à l’arrière de la salle, entre deux courettes, au niveau le plus haut de la mezzanine. Quant au décor, il est marqué par les arcades qui séparent les promenoirs de l’orchestre, encadrent les loges et baignoires et confèrent à la salle un aspect de « théâtre à l’italienne ». Si le nom même de cet établissement, Cinéma Music Hall Empire, révèle sa double destination et explique en partie cette disposition purement théâtrale, il n’en est pas de même pour le Colisée, l’autre exemple des « cinémas théâtres » de 1912. Celui-ci dont la demande d’autorisation de bâtir précise seulement qu’il sera affecté aux « représentations publiques », relève de l’entreprise d’une petite société fondée par Charles Castillan, antiquaire et acteur de théâtre. Le projet consiste à aménager une salle de 600 places à l’intérieur d’un immeuble existant dans une parcelle presque en L, bordant d’un côté l’avenue des Champs Elysées et de l’autre la rue du Colisée. Pour ce faire, il est fait appel à Jacques-Marcel Auburtin, un architecte d’une certaine réputation ; d’une part, fils de François-Alexandre-Emile Auburtin, ancien architecte élève de Constant-Dufeux et l’auteur, entre autres, de la Mairie du XIVe arrondissement de Paris ; d’autre part, lui-même, d’un parcours honorable : élève de Pascal à l’école des Beaux arts, promotion 1890, il est quatre fois logiste, 2e Grand Prix de Rome en 1898 et diplômé deux ans auparavant. A 28 ans, il édifie le Palais des armées de terre et de mer à l’Exposition Universelle de 1900 et, la même année, il est décoré chevalier de la légion d’honneur192. De 1904 à 1910, il construit divers projets à Paris, entre autres : une salle de bal (1904) et une salle de spectacle (1906) dans le IXe arrondissement, et plusieurs hôtels particuliers dans le XVIe193. Le projet de l’architecte Auburtin, le premier cinéma des Champs Elysées, se caractérise, d’abord, par l’importance de ses espaces d’accueil : une galerie-vestibule précède un tambour d’entrée sur l’avenue ; s’ajoutent à clà divers foyers côté rue du Colisée [p. 46]. La salle, elle-même, est marquée par une scène relativement grande quoique non-machinée, par une fosse d’orchestre et une batterie de baignoires parallèles à l’écran. Cependant, le projet d’Auburtin ne diffère guère des cinémas typiques quant à la configuration rectangulaire de la salle et la disposition rectiligne des places. De même, l’accès au balcon se fait sans transition, comme dans les salles Cinéma Exploitation, par deux volées d’escalier latérales. En revanche, la « théâtralité » de la salle est accentuée par la disposition d’un balcon en U composé d’amphithéâtre et de deux galeries latérales dont chacune comporte six loges et une avant-scène. Les ailes évasées du balcon pourraient toutefois témoigner d’un certain effort d’adapter cette forme à une vue plus frontale de l’écran. La cabine de l’opérateur est installée presque au milieu de l’amphithéâtre, ouvrant sur le pallier de sortie du balcon. Si les plans ne rendent pas compte de la décoration de la salle, la façade vient corroborer

192 Delaire 2004, p. 164.

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l’hypothèse de l’approche théâtrale de l’architecte dans la conception du projet. Elle est, comme l’a souligné Jean-Jacques Meusy, copiée à quelques détails près sur la façade du Théâtre d’Amiens194, cela malgré l’aspect fort symbolique de l’ornementation de cette dernière évoquant les différents genres théâtraux [Fig. 17, p. 158]. Dans les programmes de son établissement, Charles Castillan vante cette fidèle imitation en précisant que les allégories ornementales de la façade ont été moulées directement à Amiens195 ; le goût et la volonté du commanditaire aurait donc, partiellement, orienté le choix de l’architecte. D’autant plus que, comme acteur de théâtre, Castillan aurait fort probablement déjà visité et apprécié le théâtre d’Amiens. Quoi qu’il en soit, les projets des deux cinémas que nous venons d’analyser manifestent une indéniable aspiration à l’architecture théâtrale. Malgré la différence des protagonistes, les deux établissements se rapprochent, également, quant à leurs implantations : tous deux installés au sein de quartiers bourgeois sinon aristocratiques, l’un sur les Champs-Elysées, l’autre non loin des grands boulevards. Ceci n’est pas sans appuyer l’hypothèse, déjà évoquée, que l’influence du théâtre sur l’architecture cinématographique émergente serait nettement plus notable dans les quartiers élégants de la ville où la quête du prestige semble trouver la réponse dans l’assimilation à un type classique reconnu et à un modèle déjà établi.

Entre les deux catégories des cinémas primitifs et des cinémas théâtraux, se situent presque la moitié des projets de 1912. Leur trait commun réside en ce qu’ils restent tous fidèles à la disposition cinématographique de la salle, tout en se permettant des emprunts plus ou moins importants au répertoire de l’architecture théâtrale. Autrement dit, ils manifestent les deux premiers niveaux d’influence du théâtre mis en évidence dans les cinémas de 1911. Cette série de projets pourrait se diviser en deux groupes dont le premier, plutôt proches des cinémas primitifs, s’en démarque principalement par le décor (Grand Cinéma Buzenval), par la disposition du balcon (Cinéma de l’Hôtel de Ville, Cyrano Cinéma) ou encore par ces deux traits à la fois (Palais Rochechouart). Ce groupe se caractérise soit par l’usage, à l’intérieur de la salle, de pilastres, corniche, moulure et divers encadrements notamment du côté de l’écran (Palais Rochechouart, Grand Cinéma Buzenval), soit par une configuration de balcon avec deux avancées latérales (Cyrano Cinéma, Palais Rochechouart) sinon deux longs bras tendus vers l’écran (Cinéma de l’Hôtel de Ville). Cela n’empêche que chaque projet représente ses propres singularités. Dans les deux salles de plan trapézoïdal, l’installation de l’écran sur la plus grande base ne manque pas d’étonner. Cet agencement va à l’encontre de la logique de visibilité ; les rangées de places

194 Meusy 2002, p. 317.

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s’élargissant au fur et à mesure que l’on s’approche de l’écran, débordent le champ des rayons réfléchis de la projection. Au Palais Rochechouart [p. 43], ce parti pourrait s’expliquer, à la rigueur, par la forme parcellaire aux mitoyens évasés vers le fond, et la volonté de disposer l’accès du balcon côté façade. Dans le cas du Grand Cinéma Buzenval, en revanche, la motivation de cette disposition reste obscure [p. 49]. Le restant des projets se singularisent autrement : le Cinéma de l’Hôtel de ville par l’emplacement de sa cabine dans la charpente de toiture ; le Cyrano Cinéma, par la disposition en oblique des sièges extrêmes des cinq premiers rangs, une tentative d’atténuer l’inconfort des places excentrées [p. 48]. L’une des caractéristiques les plus remarquables de ces projets réside dans l’agencement du balcon en une partie centrale et deux courtes avancées latérales ; une configuration à mi chemin entre la galerie en U et le balcon frontal du type Cinéma Exploitation. Jusque là rarissime, rencontrée seulement, l’année précédente, au Demours ou Ternes Palace, cette disposition devient désormais récurrente. Elle est alors considérée comme la mieux adaptée au spectacle cinématographique, puisqu’elle permet un gain de places par rapport au modèle rectiligne, tout en évitant, à la fois, les sièges trop rapprochés latéralement de l’écran, et l’obstruction de la vue des spectateurs assis aux derniers rangs de l’orchestre. En outre, ce type de balcon en U écorné s’écarte franchement des galeries théâtrales en fer à cheval dont la forme résulte, d’après Ledoux, du « caractère naturel » de

rassemblement d’une foule196. En tout cas, cette nouvelle forme de balcon est le

dénominateur commun des deux groupes de « cinémas métis » de 1912. Le deuxième groupe des projets intermédiaires entre les cinémas primitifs et théâtraux, se caractérisent par une conception légèrement plus théâtrale. Les exemples en sont l’Artistic Pathé et l’Omnia Cinéma. Ces deux établissements se ressemblent d’abord en ce qu’ils ont comme commanditaire et exploitant des sociétés « satellites » de la Compagnie Pathé. Le premier est, en fait, une nouvelle salle Cinéma Exploitation. Le second appartient à la société Omnia, fondée, à l’instigation d’Edmond Benoit Lévy, en 1906, par une poignée d’élites, avocats, ingénieurs, docteurs en science ou en droit. La nomination initiale de cette compagnie est d’ailleurs assez révélatrice : Société anonyme pour exploiter le cinématographe Pathé frères197. Les deux cinémas sont implantés aux confins du IXe arrondissement ; celui-là vers le nord, non loin de la place Clichy, celui-ci du côté du IIe, au carrefour du boulevard et de la rue Montmartre. La conception du nouvel établissement de Cinéma Exploitation est confiée à Marcel Oudin, architecte qui a construit, depuis 1907, une dizaine de bâtiments à Paris dont le plus remarqué les grands magasins « A l’économie ménagère » dans le XVIIe, achevés

196 Cf. Architecture considérée sous le rapport de l’art, de la législation et des mœurs ; cité in Frantz & Sajous d’Oria 1999, p. 19.

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cette même année 1912198. A partir de cette date, Marcel Oudin débute

une « carrière cinématographique » florissante ; on retrouvera sa signature sur une quinzaine de projets de construction ou de rénovation de salles de cinéma. Pour sa première expérience, il se trouve face à un terrain en quadrilatère tout à fait irrégulier, communicant avec la rue de Douai à travers un passage long d’environ 16m. Au moyen des tracés géométriques et par l’aménagement de diverses dépendances dans les parties difformes de la parcelle (groupe de WC, grand bar, loges d’artistes), l’architecte Oudin parvient à une salle trapézoïdale quasi symétrique [p. 44] ; ce qui rappelle un peu la tradition de la géométrie régulière des salles Cinéma Exploitation. En revanche, le nouveau projet se démarque des anciens par l’existence d’une fosse d’orchestre, une scène, mais surtout une batterie de loges qui occupe tout le front légèrement incurvé du balcon. D’ailleurs, il n’y a aucune autre place au balcon. Ce projet de l’architecte Oudin se singularise aussi par une décoration exubérante dans un esprit Art nouveau, composée d’arcades et de tracés curvilignes, agrémentée de motifs floraux, culminant dans les trois coupoles richement ornementées de la salle [Fig. 11 à 13, p. 157-158]. Ces traits sont plus ou moins partagés par l’Omnia Cinéma. Celui-ci, un établissement inauguré en 1906 sous le nom de Théâtre du cinématographe Pathé199, fait l’objet de rénovation et d’agrandissement en 1912. A cet effet, la société Omnia200 fait appel à l’architecte Auguste Waser. C’est le fils de l’architecte éponyme, décédé en 1902, auteur de nombreuses constructions à Paris entre 1884 et 1900, notamment la boutique Moderne style du boulevard des Italiens201. Auguste Waser fils, pour sa part, a réalisé, depuis 1906, cinq projets dont deux immeubles dans le XIXe arrondissement202. L’emplacement de l’Omnia, au bout de deux passages conduisant au boulevard et à la rue Montmartre, crée des conditions d’implantation semblables à celles de l’Artistic Pathé, sauf que dans le cas de l’Omnia, la partie de parcelle affectée à la salle forme un parfait rectangle. De ce fait, la cabine, la réserve de films et le service d’électricité sont installés en enfilade à l’arrière de la salle, où est également aménagé un escalier latéral conduisant au balcon [p. 45]. Il n’est pas prévu de scène mais une petite fosse d’orchestre. La disposition des places est conçue en fonction des piliers interposés dans la salle. L’agencement du balcon est comparable à celui de l’Artistic Pathé. La principale différence est marquée par l’aile latérale du balcon composée de trois avancées courbes, qui longe la paroi de la salle pour rejoindre le mur du fond. Les plans de l’architecte Waser ne rendent pas compte du décor intérieur. Quant à la façade, elle se résume, comme au Cinéma Artistic, à l’entrée du passage d’accès à la salle, accusant la même tendance Art nouveau

198 Bertaut (s.d.), Vol. 15.

199 Pour une description de cette salle voir Meusy 2002, p. 144.

200 Constituée en 1906 à l’instigation d’Edmond Benoit-Lévy, cette société s’implique dans l’exploitation en province.

201 Fleury 1990, Tome IV, p. 129.

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dans l’ornementation [Fig. 14 à 16, p. 158]. Malgré quelques différences apparentes, le Cinéma Omnia et l’Artistic Pathé incarnent un même courant intermédiaire entre l’imitation de l’architecture théâtrale et le simple emprunt d’éléments théâtraux, un courant qui présage la tentative d’adapter le type théâtral au spectacle cinématographique, tout en observant les tendances esthétiques du jour. Considérant la situation géographique de ces deux établissements, on est amené à reformuler l’hypothèse d’une corrélation entre l’implantation des cinémas et le niveau d’influence de l’architecture théâtrale : de la périphérie au centre, des quartiers populaires vers les quartiers bourgeois, le cinéma se métamorphose progressivement pour ressembler davantage au théâtre, perdant souvent en commodité ce qu’il gagne en prestige.

L’année 1913, comparable à la précédente en nombre de projets, voit la « typologie » ci-dessus mise en évidence se perpétuer. Six projets de cette année peuvent être classés sous le « type primitif » dont certains d’une spontanéité, d’une « rusticité » égale aux premiers cinémas de 1907. En fait partie le Cinéma Combat, avec sa cabine de projection nettement désaxée par rapport à l’écran [p. 56] ; et cette salle appartient pourtant à un « professionnel » du cinéma, Jean Ferret qui a ouvert dès 1907 le Cinéma Brasserie Rochechouart. Autres exemples : le Cinéma de la rue Alexandre Parodi [p. 59] avec son accès de cabine par un escalier-échelle partant de l’intérieur de la salle, ou encore le Casino Cinéma de la Maison blanche avec une disposition très austère [p. 55]. Trois autres cinémas de cette année peuvent être considérés comme des descendants du type Cinéma Exploitation. La recherche de la symétrie et d’une géométrie régulière dans la composition du plan, la cabine extérieure à la salle, un hall d’entrée minimal mais non sans caractère, un maigre décor à l’intérieur de la salle et la composition typique de la façade constituent les principaux traits communs à ces projets. Ils ne manquent pas pour autant de se singulariser chacun d’une façon. Prenons l’exemple du Cinéma Jeanne d’Arc [p. 51 ; Fig. 19-20, p. 159], une salle commandée par une société d’exploitation familiale, Edmond et Eugène Brocard203, à l’architecte Adolphe Gérard. Celui-ci est une figure obscure comme presque tous les bâtisseurs des salles de ce type. On sait de lui qu’il a succédé, en 1905, à l’architecte Eugène Macé, avec qui il avait construit notamment un immeuble, avenue Kleber, tout au début du siècle204. Son projet de cinéma se caractérise d’abord par l’installation de la cabine derrière l’écran, dans la cour arrière de la parcelle ; ensuite, par l’inclinaison du parquet de la salle en contre sens de la pente du terrain. L’aménagement de deux escaliers latéraux à coude dans le hall d’entrée a permis d’assurer l’accès à la salle à son niveau le plus haut et

203 Sur cette société qui se trouvera à la tête de trois autres salles parisiennes, voir Meusy 2002, pp. 348-352 ; Archives de Paris : D31 U3 1456 d. 1230.

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garder une pente descendante vers l’écran. A remarquer également le petit balcon à front rectiligne, et l’encadrement de l’écran par une bande de guirlandes et de médaillon. Dans le même genre, citons le Cinémagic, un établissement que fait édifier le Comte de Viforano, l’avenue de la Motte Piquet [p. 56]. Malgré sa cabine à l’intérieur de la salle, son écran placé du côté de l’entrée et l’encadrement mouluré de l’écran, cette salle n’est pas sans rappeler quelques principes typiques de Cinéma Exploitation, entre autres l’aménagement de diverses dépendances dans les difformités de la parcelle pour obtenir une salle en rectangle symétriquement écorné ; l’absence d’estrade et d’espace réservé aux musiciens, et la simplicité du décor constitué d’une bande de guirlande courant sur les parois de la salle à la naissance de la charpente. Le Cinéma Palace de la rue de Flandre [p. 50] ressemble le plus aux salles Cinéma Exploitation. Hormis l’estrade, la petite fosse d’orchestre et l’encadrement mouluré de l’écran couronné de médaillon, la disposition de cette salle est quasi identique à celle des cinémas de Georges Malo. Ce projet commandé par une petite société, Woronick