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Expérimentation, Recherche d’inspiration (1907-1918)

4. Conception et composition architecturale

4.1. Genèse d’un type architectural

4.1.3. Projets contemporains : parallélisme, divergence

L’exploit de la société Cinéma Exploitation et de son architecte, est d’autant plus considérable que leurs salles constituent la moitié des cinémas projetés en 1907. Par ailleurs, pour mieux les apprécier, il faudrait les placer dans leur contexte à travers une analyse comparée avec l’ensemble des cinémas construits à cette époque. Dans la composition des plans, la symétrie et la régularité géométrique de la salle ne semblent guère préoccuper tous les architectes de cinéma autant que Georges Malo. Bien que la configuration des terrains permette souvent l’observation de ces principes sans grand artifice, néanmoins, lorsque les architectes se trouvent face à des parcelles nettement irrégulières, ils se résignent généralement à la « déformation » de la salle. Au cinéma Parisiana, par exemple, malgré la forme biscornue de la parcelle, et les nettes « difformités » engendrées, les contours de la salle coïncident avec son assiette ; et cela dans les deux projets différents qui sont établies pour cette salle par deux architectes distincts, Math

157 Voir supra, p. 48.

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Moreau et Abel Pennequin [Annexes, p. 24]. Dans le Cinématographe Couchat, le même architecte Pennequin, ne dédaigne pas d’annexer une espèce d’appendice à l’arrière de la salle, du côté opposé à l’écran [Annexes, p. 28]. De même, Louis Martignoni, l’architecte de l’Alhambra ne tente pas de camoufler le décalage d’environ 70cm entre les deux portions du mur latéral de la salle de manière à rendre cette dernière proprement rectangulaire ; loin de là, il fait empiéter une billetterie sur la salle ce qui en abolit l’encoignure auparavant orthogonale [Annexes, p. 31]. Par ailleurs, même dans des projets ayant « l’avantage » d’occuper un emplacement parfaitement rectangulaire, on peut relever l’installation de divers locaux (groupe de WC, pièces destinées aux équipements, etc.) dans les angles de la salle aux dépens de la géométrie de celle-ci (Cinéma Brasserie Rochechouart [Annexes, p. 24], Eden Lyrique). Seul Ferdinand Patrix, l’architecte du Grand Cinéma, semble se préoccuper d’assurer à la salle de représentations une forme rigoureusement régulière. A cet effet, il prend le même parti que Georges Malo, consistant à aménager cours et sanitaires dans la partie « difforme » de la parcelle de manière à en obtenir un rectangle presque parfait pour la salle [Annexes, p. 29].

En ce qui concerne l’accès et les sorties de la salle, le parti typique de Cinéma Exploitation est adopté par les trois quarts des projets contemporains ; ainsi, le spectateur pénètre dans la salle face à l’écran et en sort soit par la même voie soit à travers une issue ménagée côté écran ou dans une des parois latérales. Un cas singulier à noter : cinéma de l’Alhambra, une salle étendue normalement à la rue, où deux entrées, l’une vis-à-vis de l’écran, l’autre du côté de ce dernier, sont aménagées [p. 31]. Cette disposition permet de séparer les spectateurs en fonction de leurs places. Deux autres exemples encore contrarient le principe d’entrée dans la salle face à l’écran mais non sans raison. D’une part, l’emplacement en cul-de-sac du Grand Cinéma [p. 29], un terrain allongé parallèlement à la voie publique au bout d’un passage, ne laisse autre choix que l’accès par le flanc de la salle. D’autre part, au Cinéma Parmentier [p. 27], la pente naturelle du terrain, remontant vers le fond de la parcelle, incite les architectes Feuneville et Lesage à installer l’écran du côté de l’entrée ; ainsi, l’inclinaison du plancher de la salle vers l’écran est aisément réalisée. Par conséquent, c’est un quasi « principe » que de mettre le spectateur face à face avec l’écran dès son entrée en salle, principe auquel on ne déroge que si les circonstances l’imposent. La moitié des projets contemporains de ceux de Cinéma Exploitation, ne rend pas compte de la disposition des places et des dégagements. Dans le restant des cas, tout comme dans le cinéma typique de l’architecte Malo, les sièges sont disposés en rangées rectilignes parallèles à l’écran et symétriques par rapport à l’axe longitudinal de la salle. Seule exception : le Parisiana dont le rangement des places porte la marque des contours insolites de la salle ; il se singularise également par la disposition des sièges en quinconce [p. 24]. Un

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autre trait commun avec le type Cinéma Exploitation, le nombre de siège par rangée ne dépasse que rarement neuf ; les places forment, suivant la largeur de la salle, deux voire trois travées séparées l’une de l’autre par une allée longitudinale. Cependant, dans le cas singulier du Cinéma Théâtre Voltaire, une salle large de 14m, de longs rangs de 22 sièges, constituent un seul bloc desservi par deux allées latérales [p. 28]. Une nouveauté par rapport aux établissements Cinéma Exploitation réside dans la catégorisation des places, un dispositif mis en œuvre au Grand Cinéma et à l’Alhambra. Ainsi trois classes sont-elles distinguées permettant de pratiquer des tarifs différents. Dans la première salle, en partant de l’écran, les deux premiers rangs sont indiqués comme première classe, les sept suivants comme seconde et le restant des places comme troisième classe [p. 29]. Dans la deuxième

salle, la classification paraît plus sophistiquée et mieux adaptée au spectacle

cinématographique : les dix premiers rangs, les plus proches de l’écran, font la seconde classe, les cinq rangs juste au milieu de la salle constituent la première classe, et enfin les treize rangs à l’arrière de la salle, la troisième. Cette distinction des classes est d’ailleurs complétée par des entrées séparées ; si au Grand Cinéma, on se contente simplement de deux passages distincts dans la même entrée, à l’Alhambra, les entrée sont tout à fait à l’opposées l’une de l’autre : les première et seconde accèdent à la salle du côté de l’écran et la troisième classe par une entrée à l’arrière [p. 31]. On retrouve à l’origine de cette pratique, un principe généralement de rigueur dans les théâtres, d’ailleurs, au Grand Cinéma, il est appliqué dans une logique purement « théâtrale », les places les plus proches de l’écran étant, à tort, supposées meilleures.

La plupart de ces projets ne traite pas la question de la visibilité avec autant d’attention que l’on a remarquée sur les plans typiques de Cinéma Exploitation. Cinq projets sur huit n’ont pas recours à l’inclinaison du plancher ; cela alors même que l’emplacement de l’écran ne semble pas être étudié pour assurer une bonne vue depuis les derniers rangs. Dans les trois cas restant, le sol de la salle est disposé en pente descendant vers l’écran, néanmoins, les résultats en seraient plus ou moins heureux : au Cinématographe Couchat, le plancher de la salle est incliné de 60cm sur une longueur de 30m, ce dont résulte une légère pente vraisemblablement inefficace. Par surcroît, la hauteur sous plafond de la salle est à peine 4m60, ce qui écarte toute hypothèse de surélévation adéquate de l’écran pour remédier à cette faible pente de plancher [p. 28]. Dans la salle du Cinéma Parmentier, en revanche, le parquet est incliné à raison de 10 cm par mètre ; malgré l’installation de l’écran à un mètre seulement en contrehaut du sol, cette pente permet une visibilité acceptable quoique non sans incommodité pour la marche des spectateurs. Au Cinéma Théâtre Voltaire un dispositif singulier est adopté ; le plancher de la salle est composé de deux parties dont l’une, horizontale, du côté de l’écran, et l’autre inclinée sous une pente de 5cm pour mètre, à

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l’arrière [p. 28]. Des dispositions semblables à celle-ci sont plutôt fréquentes dans les théâtres. D’ailleurs, cette salle est la seule de cette année 1907, à être dotée d’une estrade car, comme son nom l’indique, prévue à une double destination. Une dernière remarque sur la disposition des salles : aucune d’elles ne comporte de balcon et cela, alors même qu’elles ne contiennent en moyenne que 500 places, à peine deux tiers de la capacité du plus petit établissement de Cinéma Exploitation, ce qui témoigne de l’écart entre les ambitions de cette société d’avec les projets entrepris au même moment par des particuliers.

L’aménagement de la cabine est également un trait de différenciation de la plupart des projets particuliers du parti typique de l’architecte Malo. Ce dernier place la cabine hors du volume de la salle, surélevée de quelques marches. Les autres architectes, à deux exceptions près, ne voient pas d’inconvénient à installer la cabine à l’intérieur de la salle et au niveau du sol, encore que la plupart ne manquent pas de lui réserver une place sur l’axe de l’écran, adossée au mur d’en face. Seuls Louis Martignoni et Georges Grosset Magagne, les architectes de l’Alhambra et du Cinéma Voltaire, choisissent d’établir la cabine à l’étage. Pour ce faire, celui-là dispose d’un local existant puisqu’il s’agit d’un projet d’aménagement dans le bâti. Celui-ci en revanche, prend le parti de construire, en saillie sur la façade, une cabine en forme de hutte. L’idée de laisser apparaître la cabine sur la façade, réalisée ici de façon plutôt rudimentaire, sera reprise plus tard dans les plus emblématiques des cinémas. En ce qui concerne le hall d’entrée, nous avons vu qu’il est traité dans le cinéma typique soit comme un espace principal, soit comme un élément de régulation formelle ; il joue en tous les cas un rôle non négligeable dans la composition du plan. Dans les autres projets contemporains, le hall se réduit souvent à un passage d’accès à la salle, de proportions restreintes (notamment, Cinéma Brasserie Rochechouart [p. 24], Alhambra [p. 31], Cinéma Théâtre Voltaire [p. 28]). Parfois, il est même inexistant et la salle ouvre sans transition sur le trottoir (Parisiana, Cinéma Parmentier [pp. 24 et 27]). C’est seulement au Grand Cinéma, que le hall occupe une place comparable aux établissements Cinéma Exploitation. Ceci s’expliquerait, en grande partie, par les proportions des salles : d’une part, seul ce dernier cinéma, disposant de 924 places, pourrait rivaliser avec les établissements de ladite société ; d’autre part, les deux salles dépourvues de hall font partie des plus petites avec 200 et 380 places. Quoi qu’il en soit, le hall n’est pas toujours considéré comme un espace indispensable au cinéma ; son existence, sa disposition et ses dimensions dépendent

essentiellement de l’importance de la salle et par conséquent des proportions du terrain. Contrairement aux projets de la société Cinéma Exploitation, les plans des cinémas

particuliers ne fournissent aucune indication quant au décor intérieur, ce qui n’est pas pour autant preuve de l’absence de tout traitement décoratif lors de la réalisation des projets.

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Dans l’étude des façades, il faudrait, au préalable, distinguer les établissements qui, édifiés en bordure de la rue, comme ceux de Cinéma Exploitation, occupent toute la largeur de la parcelle, des autres qui, aménagés dans le bâti existant, ne s’en attribuent qu’une partie. Cette dernière catégorie (Cinéma Brasserie Rochechouart [p. 24], Grand Cinéma [p. 29]) se caractérise essentiellement par une façade réduite à un portail d’entrée. Deux autres établissements (Parisiana [p. 24] et Alhambra [p. 31]) ont une façade similaire car tout l’accent y est mis sur l’entrée qui forme un avant-corps sur la paroi de la salle. En revanche, trois projets (Cinéma Parmentier [p. 27], Cinématographe Couchat [p. 28], Cinéma Théâtre Voltaire [p. 28]) s’apparentent plus ou moins à la façade typique de Cinéma Exploitation. Parmi ceux-ci, les deux premiers adoptent une composition semblable : un fronton cintré ou triangulaire surmontant un corps qui comporte les entrées. La façade du Cinéma Parmentier, quoique nettement plus ornementée, se rapproche remarquablement du modèle Cinéma Exploitation. Y a-t-il, là, une inspiration ou imitation ? Difficile de trancher : les dessins respectifs des projets sont signés avec un écart d’une vingtaine de jours seulement, et aucune trace d’un lien quelconque entre les maîtres d’œuvres et d’ouvrages. Les éléments composants et les ornements sont pour la plupart, puisée dans le répertoire classique : fronton de différentes formes, corniche, modillons, triglyphes, guirlandes, pilastres et cariatides, mascarons et bas-reliefs, sont généralement utilisés pour agrémenter l’aspect extérieur des établissements. Seul le Cinéma Théâtre Voltaire dispose d’une façade dépouillée. Peu de ces projets ont une façade aussi parlante que celle des cinémas de l’architecte Malo ; seule, la façade du Cinéma Parmentier est comparable, car couronnée d’un fronton portant l’emblème et le nom de la salle, et marquée par une grande surface réservée aux affiches. Les autres se contentent d’une épigraphe ou d’une inscription sur la frise. Remarquons, toutefois, l’usage de deux éléments qui deviendront un composant quasi incontournable des façades de cinémas, l’un dans le proche avenir, l’autre bien plus tard ; d’une part, les deux drapeaux qui surmontent la façade du Grand Cinéma, hissés de part et d’autre du fronton ; d’autre part, la cabine de projection en saillie sur la façade du Cinéma Voltaire, encore qu’elle évoque, ici, davantage la hutte primitive que le lieu d’un spectacle nouveau !

A côté de ses contemporains, le projet typique de la société Cinéma Exploitation semble procéder d’une meilleure connaissance des exigences du nouveau spectacle. Ceci est-il dû à l’implication personnelle de l’architecte dans le domaine de l’exploitation ? A ses relations privilégiées avec les commanditaires, d’ailleurs ses associés, eux-mêmes profondément engagés dans la cinématographie159 ? On ne dispose d’aucun élément factuel

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pouvant révéler que l’architecte Malo a été plus qu’un simple actionnaire dans les sociétés d’exploitation ; aucune trace d’une contribution quelconque des commanditaires dans la conception architecturale des salles. En tous les cas, la question se pose, à présent, de savoir quel a été le devenir de ce cinéma typique ; y a-t-il une répercussion ou une influence sur les salles à venir ?